Contrairement à certains concitoyens qui ont choisi l’Europe, des Burkinabè ont préféré aller en Chine pour tenter l’aventure. Dans ce pays peuplé de plus d’un milliard d’habitants, ils essaient de se faire une place au soleil.
Yiwu est une ville-district de la province du Zheijiang en Chine. Située à deux heures de vol, au Sud de Pékin, la capitale chinoise, elle abrite le plus grand marché au monde. D’ailleurs, elle porte le slogan évocateur, «Un océan de marchandises, un paradis pour les consommateurs». Chaque jour, ce sont près de 3 000 containers qui quittent le port sec de Yiwu pour plusieurs destinations. La ville est le centre d’attraction de commerçants venus des quatre coins du monde. Plus de 30 000 étrangers de nationalités diverses y sont installées et exercent pour la plupart dans le commerce et la restauration. Depuis quelques années, une vingtaine de Burkinabè y ont déposé aussi leurs valises et tentent de tirer leur épingle du jeu dans l’activité commerciale. Moussa Sawadogo fait partie de cette minorité visible dans cette ville cosmopolite.
Il y est arrivé en 2005. Employé dans une succursale d’une entreprise d’un Malien basé dans la ville de Guangzhou au début, il est aujourd’hui à la tête de sa propre société de commerce et de logistique, créée en 2009. Lorsqu’il nous reçoit, ce jeudi 2 mai 2019, dans les locaux de son nouvel appartement acquis récemment à coût de plusieurs centaines de millions F CFA, ses deux portables sonnent incessamment. Les appels viennent de la Chine et d’un peu partout en Afrique. L’entretien est quelquefois interrompu sur notre insistance pour qu’il réponde à certains appels. A l’évocation de son itinéraire, l’on se rend compte que sa vie a été un parcours du combattant. L’homme, tant sollicité, est arrivé comme un simple aventurier. Il voit le jour en 1978, à Vato, dans la province du Bam. Dès sa tendre enfance, il rejoint son oncle maternel à Bobo-Dioulasso où il commence son cursus scolaire. Faute de moyens financiers, son parcours scolaire s’arrête en 1993 en classe de CM2.
Un triste souvenir, qui entraîne un trémolo dans sa voix. En 1996, le cœur vaillant, il emprunte le chemin de la Côte d’Ivoire. Yamoussoukro, la capitale politique, est sa première destination. Sur place, il exerce comme mercier auprès d’un couturier qui l’admire pour son sérieux au travail. Trois ans après, il rejoint Abidjan, la capitale économique. Il y travaille comme conducteur de taxi compteur. Entre temps, il envisage d’émigrer aux Etats-Unis d’Amérique. Le rêve est de courte durée puisqu’il n’obtient pas le visa pour le pays de l’Oncle Sam. Le jeune ambitieux, Moussa Sawadogo, n’en démord pas. Il décide de tenter l’aventure au pays de Confucius. Le visa obtenu à Abidjan, il embarque pour Guangzhou, une ville industrielle chinoise prisée par les commerçants africains.
D’Abidjan à Guangzhou
Les poches vides, il passe ses premières nuits à la belle étoile à Guangzhou où vivent aujourd’hui une centaine de Burkinabè. Lorsque des amis maliens lui proposent de l’héberger, il pousse un ouf de soulagement. Mais cet épisode «doré» est de courte durée. «Parmi mes hôtes, certains fumaient de la drogue, je me suis senti en danger», raconte-t-il. Face à cette situation inconfortable, il préfère regagner la rue pour affronter les nuits froides de Guangzhou. C’est dans cette errance, qu’il frappe à la porte de celui qu’il considère comme son «bienfaiteur», Soungalo Traoré. Un homme d’affaires malien qui avait un commerce dans la ville. A l’évocation de son souvenir, il a une pensée pieuse pour lui puisque ce dernier est décédé. Lorsque M. Sawadogo le sollicite un travail, le Malien lui demande juste sa nationalité.
«Je n’ai jamais été aussi fier de mon pays que ce jour-là. Quand je lui ai répondu que j’étais Burkinabè, M. Traoré m’a simplement dit de venir commencer le travail le lendemain. Le Burkina Faso a été le diplôme exigé pour mon embauche», confie M. Sawadogo. Un travail qui consistait à réceptionner les marchandises et à les répartir en fonction des commandes. Son dynamisme et son sérieux aidant, il apprend le chinois sur le tas et gagne la confiance de son patron en un laps de temps. Celui-ci décide de l’envoyer à Yiwu la même année (2005) pour prêter main forte à un autre employé qui s’occupe de ses affaires.
Après quatre années de fructueuse collaboration et une solide expérience acquise dans le négoce, le jeune Burkinabè décide de fonder son entreprise dénommée Baïwa Trading International Company en 2009. «Baïwa» en chinois signifie «aies confiance en toi». Pour l’homme d’affaires, marié et père de trois enfants, l’on ne peut réussir sans un minimum de confiance en soi. Les activités principales de la société se résument à la logistique, à aider les commerçants burkinabè et d’ailleurs à trouver des marchandises de bonne qualité, à charger leurs containers et à vendre les produits de sa marque. «Nous accompagnons également les commerçants dans la facilitation de leurs affaires avec les Chinois», précise-t-il. Au fil du temps, la société gagne en réputation.
Une clientèle variée
En 2011, à la faveur de la venue massive de commerçants burkinabè dans la ville où a vu le jour le premier traducteur du manifeste du Parti communiste en Chinois, Chen Wangdao, le carnet d’adresses de M. Sawadogo s’étoffe. Par mois, il reçoit entre 100 et 150 commerçants de son pays. En plus de ses compatriotes, il a une clientèle dans d’autres pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la France et le Pakistan. Grâce à son flair aiguisé pour les affaires, le jeune Sawadogo créé une marque dénommée Baïwa qui se décline en des produits variés tels que les plaques et accessoires solaires, les batteries, les ventilateurs et les postes téléviseurs écran LED. En 2018, ce sont plusieurs centaines de milliers de postes téléviseurs de sa marque qu’il écoule en Afrique. Ce qui lui rapporte des recettes de plusieurs centaines de millions F CFA. Même si l’aventure chinoise est une success-story pour lui, M. Sawadogo reste profondément attaché à son pays dans lequel il se rend chaque trimestre. Il investit également dans le domaine immobilier à Ouagadougou.
«Ma réussite en Chine n’a de sens que si j’investis aussi dans mon pays natal. Je garde des liens solides là-bas», précise Moussa Sawadogo. En dix ans d’existence, Baïwa Trading International Company a embauché plusieurs nationalités (Burkinabè, Maliens et Sénégalais). Aujourd’hui, le point focal des Burkinabè de Yiwu emploie dix personnes dans sa société, toutes de nationalité chinoise. Il vient de libérer son dernier concitoyen qui travaillait avec lui. Ce dernier est aujourd’hui installé à son propre compte.
Un exemple qui fait des émules
L’exemple de Moussa Sawadogo fait quelques émules parmi ses concitoyens. Il vient en aide régulièrement à la plupart des compatriotes qui frappent à sa porte. «Je pense que c’est un devoir pour moi qui suis arrivé ici en 2005 de tendre la perche à mes frères qui tentent l’aventure en terre chinoise. C’est étant solidaire avec eux que nous pouvons véritablement être forts et conquérants», argue posément le patron de Baïwa Trading International Company.
En plus de lui, 20 autres Burkinabè sont basés à Yiwu pour mener des activités commerciales. Seydou Ouédraogo est de ceux-là. Natif de Kalsaka dans la province du Yatenga au Nord du Burkina Faso, il a commencé à venir en Chine en 2016 pour ravitailler sa quincaillerie au grand marché de Ouagadougou. Après une année de va-et-vient, M. Ouédraogo, 40 ans, marié et père de cinq enfants, est séduit par les opportunités d’affaires de la ville de Yiwu. Il laisse la gestion de sa quincaillerie à son jeune frère et y dépose ses valises. Petit à petit, lui aussi se fraie un chemin dans le business. Il dispose d’un endroit appelé groupage où il fait le chargement des bagages en direction de son pays natal. «En plus, je vends des marchandises au marché et j’aide les commerçants qui viennent faire leurs achats. Je les accompagne aussi dans les usines pour lancer leurs commandes», détaille M.
Ouédraogo qui applaudit le rétablissement de l’axe Ouaga-Pékin. Si son rêve de résider à Yiwu s’est réalisé, il le doit en partie à son compatriote Moussa Sawadogo. Ses précieux conseils, soutient-il, l’ont amplement aidé à concrétiser son projet de faire du business dans cette localité, une destination touristique. En attendant d’obtenir la carte de résidence, Seydou Ouédraogo est convaincu d’avoir fait un choix judicieux en émigrant en Chine.
«Un pont entre la Chine et le Burkina Faso»
Abdoul Wahab Bonkoungou, lui aussi est un commerçant arrivé récemment de Ouagadougou pour se ravitailler en marchandises. Basé au grand marché de la capitale burkinabè, il vend, entre autres, des ceintures, des casquettes, des vélos pour enfants et biens d’autres articles. Ce sont ces marchandises qu’il vient chercher régulièrement en Chine au moins quatre à cinq fois dans l’année. Il est admiratif de ses compatriotes qui ont fait aussi l’option de faire du business à Yiwu. Sa collaboration avec Moussa Sawadogo, le patron de Baïwa Trading International Company, est vieille de cinq ans. Grâce à celui qu’il considère comme l’hôte des Burkinabè dans la ville, l’obtention de marchandises se passe le plus aisément possible.
«M. Sawadogo est pétri d’expériences en matière de commerce. Il est un pont entre la Chine et le Burkina Faso. Même en étant au pays, vous lancez vos commandes, il vous les fait parvenir sans difficultés», témoigne-t-il avec satisfaction. Bien qu’encore embryonnaire à Yiwu, la communauté burkinabè se distingue aux yeux des autorités locales. La mairie fait l’effort de l’associer à toutes les activités importantes de la ville. «Par exemple, quand la mairie a appris l’arrivée de la délégation de l’ambassade du Burkina Faso en Chine à Yiwu, elle a mis un véhicule à notre disposition pour l’accueil», indique le point focal de la communauté burkinabè. L’intégration entre les communautés africaines dans la ville se renforce aussi au quotidien. En 2018, une coupe d’Afrique des nations a été organisée entre elles.
Le Burkina Faso qui n’avait pas une équipe complète a bénéficié des largesses de son voisin malien. «Notre équipe était soutenue par les Chinois. Finalement, c’est le Nigéria qui est sortie victorieuse de la compétition», relate M. Sawadogo.
Karim BADOLO
(Depuis Pékin en Chine)