Un insecte, appelé cochenille farineuse, apparu il y a une dizaine d’années dans les régions des Hauts-Bassins et des Cascades, menace de porter un coup dur à la production de la mangue. Si ce phénomène est pour le moment circonscrit dans les villes, les acteurs de la filière craignent sa propagation dans les vergers et souhaitent des solutions rapides.
La plupart des feuilles des manguiers de Bobo-Dioulasso brillent comme si elles étaient aspergées d’huile. Une autre remarque est que ces manguiers ne portent pas assez de fruits ou même pas, et le sol est tapissé d’une substance gluante et collante issue des feuillages. Des insectes de couleur blanche tombent également de ces manguiers et rendent inconfortable toute détente à l’ombre. Dans les domiciles, les services ou à la périphérie de la ville, les manguiers connaissent tous ce problème. A Orodara, à Koloko, dans la province du Kénédougou, à Péni et Toussiana dans le Houet, région des Hauts-Bassins ou encore à Banfora et à Sindou dans la Comoé, région des Cascades, le même phénomène est perceptible. Il est cependant moins présent sur l’axe Ouagadougou-Bobo-Dioulasso où les manguiers présentent un aspect presque normal.

Le phénomène est beaucoup plus prononcé dans les centres urbains que dans les champs comme nous le confirme Jean Pierre Coulibaly, exploitant une dizaine d’hectares de manguiers à Bandougou dans la commune de Orodara. «Nous avons constaté que les manguiers dans les villes sont beaucoup attaqués par des insectes, qui sont moins présents dans les vergers», a-t-il dit. Le chef de service encadrement et développement de la matière première à la société Dafani à Orodara abonde dans le même sens. «Le phénomène est répandu dans les concessions, mais il s’étend de plus en plus dans les vergers, surtout dans la zone de Wéléni dans le Kénédougou. Dans les villes, presque tous les manguiers sont attaqués. L’insecte se propage rapidement à cause des vents ou des abeilles, d’où notre inquiétude de voir les vergers contaminés», a expliqué M. Coulibaly.
Les producteurs inquiets
L’insecte mis en cause est, selon des recherches, la cochenille farineuse. Il serait venue de la Côte d’Ivoire et se serait introduit dans les villes de Niangoloko et Banfora dans les Cascades pour ensuite se propager dans les régions des Hauts-Bassins et d’autres zones de production de mangue. «La cochenille farineuse du manguier encore connue sous le nom scientifique de rastroccocus invadens, est un petit insecte recouvert de poudre blanche qui se nourrit des plantes, en particulier les plantes ornementales, les agrumes, et les manguiers», détaille Remy Dabiré, maître de recherche en entomologie au CNRST/INERA, station de recherche de Farako-Bâ. Selon ses explications, la cochenille farineuse pompe la sève nourricière du manguier en l’affaiblissant. Elle secrète ensuite une substance sucrée et huileuse, le miellat qui est beaucoup appréciée des fourmis et sert de terreau à un champignon noirâtre du nom de fumagine qui se développe sur les feuilles.
Ce champignon finit par couvrir toute la feuille du manguier et l’empêche ainsi de réaliser la photosynthèse, mécanisme par lequel la plante vit. On assiste donc à une diminution de la production et de la productivité de la mangue, ajoute le chercheur. Pour le moment, aucun traitement n’existe, ce qui inquiète les acteurs de la filière mangue. «Ça sera désastreux pour nous si les mouches continuent à s’accroître. On risque d’avoir une année blanche au niveau de la filière mangue si le phénomène persiste. Pourtant, cette filière compte une centaine d’unités de séchage, une vingtaine de centres de conditionnement et d’unités industrielles», alerte le président de l’Association inter professionelle mangue du Burkina (APROMAB), Paul Ouédraogo. Cette inquiétude est partagée par les responsables de Dafani, qui a pour matière première la mangue.
En quête de remède

Le président de l’Associa-tion professionnelle des exportateurs et commerçants de mangues au Burkina Faso, Issiaka Bougoum, par ailleurs Président directeur-général (PD-G) de l’entreprise «Ranch de Koba», spécialisée dans l’exportation de mangues, se fait également des soucis. «Il n’y aura pas de campagne de mangues si les manguiers n’arrivent pas à produire à cause de la cochenille farineuse. J’emploie plus de 200 personnes en pleine campagne et traite avec plus de 200 fournisseurs. La filière génère plus de 14 milliards F CFA comme chiffre d’affaires. Donc, il faut prendre le taureau par les cornes avant que toutes les régions productrices de mangues ne soient affectées».
En plus de la nuisance sur la production, la cochenille farineuse, à cause de la substance qu’elle secrète, ne permet pas à ceux qui ont des manguiers dans leur cours de profiter de l’ombre de ces arbres. Le séjour sous les manguiers sera encore plus inconfortable en cette période de chaleur, à en croire un technicien de l’agriculture à la retraite, Oumarou Tall. La filière mangue joue un rôle important tant sur le plan économique, social qu’alimentaire. Il est alors urgent de trouver des solutions à la cochenille farineuse afin de ne pas la compromettre. Et les propositions sont nombreuses.
Lassina Traoré, producteur à Toussiana dans la province du Houet, propose d’abattre les arbres contaminés. Minata Ouattara, propriétaire d’un verger à Banfora, appelle les responsables du ministère de l’Agriculture à les aider à combattre ce fléau.
Pour Issiaka Bougoum, la cochenille farineuse doit être considérée comme un fléau national, à l’instar des criquets, et combattue comme tel. Selon Paul Ouédraogo, son association est membre du Comité national de lutte contre les mouches de fruits et autres insectes nuisibles. Il compte prendre en compte la cochenille farineuse qui ne figurait pas dans son plan d’actions. La recherche est sur le coup, mais elle est confrontée à un manque de moyens.
«Des activités de recherche étaient engagées, mais n’ont pas abouti par manque de financement. C’est l’occasion pour nous les chercheurs d’interpeller les autorités compétentes, afin qu’elles nous appuient dans la recherche de solution au problème», confie Dr Rémy Dabiré. Au ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles, on rassure que des initiatives ont été prises pour accompagner la recherche. «Il existe un protocole d’accord entre le ministère en charge de l’agriculture et le Centre national de recherches scientifiques et de technologies et dans ce cadre, il est prévu un appui aux activités de recherches sur la cochenille farineuse du manguier», rassure le directeur général de la protection des végétaux et du conditionnement, Dieudonné Ouédraogo.
Il invite tous les acteurs de développement à soutenir l’expertise nationale afin qu’elle puisse faire face à cette menace. En attendant, M. Ouédraogo exhorte les producteurs à bien entretenir les plants, à adopter des comportements de nature à ne pas contaminer les plants sains et à éviter le transport de tout matériel végétal infesté d’une zone à une autre zone non infestée.
Adaman DRABO
Pas d’incidence sur l’homme
La cochenille farineuse n’a pas d’incidence directe sur l’homme. C’est du moins l’assurance que donne Dr Rémy Dabiré, maître de recherche en entomologie au CNRST/INERA, station de recherche de Farako-Bâ à Bobo-Dioulasso.
Elle pose cependant de sérieux problèmes d’hygiène et à la qualité de la mangue car une mangue recouverte de la cochenille farineuse est impropre à la consommation et à la commercialisation.
A.D
La filière mangue en chiffres
Selon les données du ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles, fournies par l’INERA, la superficie réservée aux manguiers en 2017, est de 19 737 hectares dans quatre régions pour une production de 197 372 tonnes environ en 2018, réparties en 35 326,6 tonnes pour les Cascades,138 025,9 tonnes pour les Hauts-Bassins, 12 580,5 tonnes pour le Centre-Ouest et 11 439,2 tonnes pour la Boucle du Mouhoun. L’Union nationale des producteurs des mangues prévoit une production en 2019 de 250 000 tonnes. L’exportation des mangues fraîches est estimée à 5 252 tonnes vendues sur le marché international, 3 290 tonnes sur le marché sous régional et 3 500 tonnes sur le marché national. Le marché international permet d’engranger 3 151 200 000 FCFA de chiffres d’affaires. Ce chiffre est de 3 934 158 970 FCFA sur le marché national. La mangue séchée est de 2 774,257 tonnes en 2018 et de 5 339 tonnes de purée de mangue. Ce maillon de la transformation mobilise à lui seul 12 215 emplois en 2018 dont 91,16% de femmes selon les données de l’APROMAB.
A.D
Du savon en poudre comme palliatif
Pour le moment, il n’y a pas de solution appropriée contre la cochenille farineuse. Des paysans ont développé des initiatives pour essayer de la combattre. Certains utilisent les savons en poudre qu’ils mélangent avec de l’eau pour pulvériser les feuilles des manguiers infectés. Ce traitement semble efficace, mais l’effet selon ceux qui l’ont expérimenté, est de courte durée. Les mouches reviennent quelques temps après. L’un des moyens de lutte qui peut être efficace est la lutte chimique. Mais la question qui se pose au niveau de la recherche est de savoir s’il est judicieux d’utiliser des produits toxiques dans des concessions, avec le risque de provoquer des problèmes de santé publique. Il est donc impérieux d’appuyer la recherche afin de proposer des solutions efficaces et durables aux producteurs.
A.D