Petite île d’environ un hectare abritant quelques 400 âmes, Touroukoro est située dans la commune rurale de Di dans le Sourou. Malgré l’accès difficile du village, le manque d’infrastructures de santé, d’eau potable et d’éducation, de terres cultivables… les habitants tiennent mordicus à leur milieu naturel et rechignent à le quitter pour un nouveau site. Découverte de Touroukoro !
En cette matinée de fin février, il est 8 heures.Le temps est beau lorsque l’équipe de Sidwaya démarre de Di. Joie et impatience animent l’équipe de découvrir Touroukoro, une île méconnue des Burkinabè, contrairement à Toma-île dans la même commune de Di. Le trajet Di-Nyassa-Débé, longue d’une vingtaine de Km, ne dure que trente minutes. Arrivés à Débé, nous ne sommes plus qu’à trois kilomètres de l’eau qui sépare l’île de la terre ferme. Mais hélas, il faut quitter le confort du véhicule qui ne peut plus aller de l’avant, car un pont qui permettait de traverser une mare a cédé depuis 2013.
« Un chemin de croix » pour accéder à l’île
Un plongeon est inévitable. Le courage manque. C’est la phase d’observation de l’eau. C’est ainsi que deux hommes, un cinquantenaire et un jeune en partance aussi pour Touroukoro arrivent au bord de l’eau juché chacun sur son vélo. L’eau n’est pas profonde, nous disent-ils en guise d’encouragement avec le sourire aux lèvres. Pantalons retroussés, vélo perché sur les épaules et chaussures en mains, ils commencent la traversée de l’eau. Nous suivons leur exemple avec précaution, manquant parfois de tomber dans l’eau à causes des trous dans la mare. Au fur et à mesure que nous avançons, le niveau de l’or bleu monte jusqu’aux hanches de ceux qui ont la taille moyenne.
Après ce « bain » forcé, c’est le début d’une marche pénible sur des chemins escamotés par les sabots des bœufs et truffés de trous et de restes asséchés de plants de céréales. Pendant la saison pluvieuse, le fleuve arrive jusqu’au pont, les pirogues aussi, relate Brahima Koné, notre jeune compagnon d’infortune. « En saison sèche, l’eau tarit, les bœufs y font des va-et-vient à la recherche de leur pitance. Résultats, le sol est très accidenté et oblige un déplacement lent et prudent au risque de se blesser », explique-t-il. Trempés et le corps en sueur, nous voyons le bout du tunnel après 45 minutes de « chemin de croix ». Nous sommes au bord de l’eau. Des pirogues avec à bord des hommes, des femmes, quelques-unes avec des bébés au dos déferlent.
Certains se rendent à Débé pour travailler dans des champs tandis que d’autres vont y faire des courses. C’est dans cette ambiance qu’un homme très grand de taille avec une silhouette fine est visible à l’horizon, manoeuvrant avec dextérité sa longue pirogue. C’est le président du Conseil villageois du développement (CVD), Oumar Sery. Après une vingtaine de minutes, il est enfin à notre niveau et nous prenons place dans son moyen de transport indispensable pour accéder à Touroukoro. Le CVD, avec son long bois lui servant de pagaie, conduit « son bolide » sur un chemin bien tracé entre les touffes d’herbes courtes et longues qui parsèment l’eau. Le paysage est beau mais la peur nous empêche de visualiser pleinement les merveilles de dame nature. Crispation et peur.
Tout mouvement pouvant faire chavirer la pirogue est évité. Les assurances du conducteur ne rassurent guère. Nous sommes enfin sur l’île. Il est 10h18 et avec un ouf de soulagement, nous foulons la terre de Touroukoro. De nombreux hommes, femmes et enfants nous accueillent, ravis de recevoir des étrangers qui se font rares dans cette partie du Burkina Faso, à en croire le CVD à cause de l’accès difficile au village.
Des inondations à répétitions…
S’en suivent alors les formalités de politesse chez le chef de village Hamidou Séry. Sexagénaire portant bien le poids de son âge, ce dernier allongé dans sa chaise se montre peu bavard et laisse le soin à des notables réunis pour la circonstance nous parler du village. L’ancien conseiller, Moussa Séry révèle que le village est habité par quatre grandes familles que sont les Séry, les Gorou, les Drabo et les Konaté. Les quelque 400 âmes qui y vivent sont toutes de l’ethnie dafing et de religion musulmane. Place maintenant à la découverte des lieux. Notre guide Ouahabou Séry est âgé de 17 ans. Après avoir « quitté » l’école en classe de CM2, il s’est reconverti en agent communautaire de santé grâce à sa petite connaissance du français.
En huit minutes, le tour de l’île est bouclé. Touroukoro est une toute petite île, de forme circulaire d’environ un hectare selon le Président de la délégation spéciale de Di, Hamidou Traoré et de trois hectares selon les habitants. Les maisons, construites en banco mais couvertes de tôle, sont côte à côte. Chaque millimètre carré est exploité. L’absence de mur empêche de définir les limites des concessions qui s’entremêlent. Dans tous les habitats, les femmes s’activent qui, pour préparer le repas qui, pour fumer le poisson. A côté d’elles, des groupuscules de jeunes prennent le thé, les enfants s’amusent et leurs cris s’entremêlent à ceux de nombreux moutons, ânes et poules qui vivent en promiscuité avec leurs propriétaires. Des ordures forment de petites collines par endroit aux abords de l’eau.
Des sacs de 100 kilogrammes remplis de sables sont superposés tout aux alentours du village. Le guide nous informe que le sable et les ordures servent à barrer le passage à l’eau. Par ailleurs, les ravages de l’or bleu sont visibles sur certaines maisons situées juste au bord du fleuve, d’autres ont été abandonnées. « Pendant la saison pluvieuse, nous sommes constamment inondés. Nos effets et provisions sont détruits. Nous passons des heures à évacuer l’eau des maisons, y dormir après est très dur à cause du froid », révèle avec cependant un air passible la première femme du CVD, Azita Gorou. Quarantenaire, mère de cinq enfants, celle-ci s’affaire à préparer le déjeuner.
Aucun accès à l’eau potable et à l’assainissement
Aucune infrastructure d’eau potable, d’éducation ou de santé n’est visible. Pas de WC non plus. Juste quelques toilettes d’infortune pour se doucher ont été construites et les eaux sales ruissellent directement dans le fleuve. « Nous déféquons dans l’eau, y jetons des ordures, faisons la lessive et la vaisselle. Cela ne pose aucun problème de pollution. Car l’eau ruisselle. Aussi nous allons au milieu du fleuve pour prélever notre eau de boisson car elle y est propre », soutient dame Gorou avec assurance. L’eau de boisson ne cause-t-elle pas de maladies ? Le jeune Séry avance que souvent des habitants souffrent de maux de ventre et de dysenterie. « Mais avec quelques comprimés, le problème est rapidement résolu. C’est surtout le paludisme qui nous fatigue beaucoup», explique-t-il.
Où sont enterrés vos morts? A cette question, Ouahabou Séry nous informe que les morts sont ensevelis dans les concessions et les espaces disponibles. « Nous avons marché même sur des tombes », affirme-t-il. C’est donc avec consternation que nous poursuivons la découverte de l’île. Après le tour du village, Abibata Drabo, une jeune dame pétillante, mariée, son unique enfant au dos nous raconte le quotidien des femmes de l’île pendant qu’elle fume du poisson. « Le matin, après la prière, les femmes font le ménage et préparent le petit déjeuner. Elles vont ensuite pécher. Au retour, elles fument le poisson, préparent le déjeuner, ensuite le dîner. Pour payer les condiments ou vendre notre poisson nous allons au marché de Débé, de Dî ou à Tougan. Nous ne faisons pas de travaux champêtres, c’est l’affaire des hommes. De plus, c’est eux qui vont chercher le bois pour nous », confie-t-elle toute joyeuse. Quid des questions de santé et d’accouchement des femmes ? Elle nous répond que les habitants se rendent dans le village de Débé pour les soins de santé.
L’échec scolaire est inévitable…
« C’est là-bas aussi que les femmes accouchent. Si le travail d’une femme commence tard dans la nuit et qu’on ne peut pas l’amener à Débé, alors, elle accouche ici. Il y a des vieilles femmes qui l’aident. Dieu merci, il n’y a jusque- là pas eu de problèmes », indique-t-elle avec fierté. L’un des problèmes majeurs de son village, dit-elle, est la scolarisation des enfants. Selon ses dires, presque tous les enfants qui ont été scolarisés ont abandonné l’école. « Nous confions nos enfants à nos parents qui sont à Débé. A défaut de les maltraiter, ceux-ci les laissent à eux-mêmes. Ainsi nos enfants échouent à l’école, certains deviennent des bandits. Nous sommes obligés de les ramener à Touroukoro. Ce qui fait que très peu d’enfants, moins de 5% sont scolarisés, », regrette-t-elle.
Le CVD, et les notables du village ajoutent le manque de terres cultivables depuis l’aménagement du périmètre irrigué de Dî en 2014. « Avant, nous cultivions le riz pendant la saison sèche quand l’eau diminue, à quelques encablures du village. Maintenant le niveau du fleuve ne baisse plus car les vannes sont fermées. Au moment où on les ouvre, il ne reste plus assez de temps avant les premières pluies et l’eau détruit nos cultures. Or, nous n’avons pas de champs ni dans le périmètre aménagé ni ailleurs. Nous ne faisons plus que la pêche alors que le poisson se fait de plus en plus rare dans le Sourou.», se lamente le conseiller. Il ajoute que les inondations à répétitions leurs rendent la vie difficile. « La faim commence à s’installer dans le village et pendant la saison pluvieuse, il faut être constamment sur ses gardes pour surveiller les enfants au risque que l’eau les emporte.
Cela use les nerfs », se plaint-il. Justement, au regard de toutes ces difficultés qu’ils vivent, les premiers responsables de la commune ont érigé un nouveau village à deux kilomètres de Débé pour les habitants de Touroukoro. Sur les lieux, un forage a été réalisé mais à peine une dizaine de maisons a été construite. Les habitants de Touroukoro ne semblent pas prêts à déménager. Mais pourquoi donc ?
Le refus catégorique de quitter l’île
Le CVD rétorque que Touroukoro est la terre de leurs ancêtres. « Imaginer de vivre ailleurs est difficile pour nous. Mais pour l’avenir de nos enfants, nous demandons qu’une école soit bâtie là-bas et que l’Etat nous donne les moyens pour construire des maisons. En ce moment, une partie du village notamment les enfants et quelques adultes déménageront dans le nouveau village et d’autres resterons ici. Car, nous ne pouvons pas abandonner notre île, même au péril de notre vie», dit-il, formel. Si les habitants ne veulent pas quitter Touroukoro, le PDS Traoré ne l’entend pas de cette oreille même si l’usage de la force n’est pas encore de mise. « Il n’y a pas d’espaces pour y construire des infrastructures sociaux et des forages.
Même si c’était possible, comment transporterait-on les machines de forages sur l’île ? », s’interroge-t-il, avant d’ajouter qu’une école sera bientôt construite sur le nouveau site. Il poursuit en disant que comme c’est une île, les agents de santé refusent d’y aller. Les policiers également rejettent l’idée de s’y rendre pour délivrer des Cartes nationale d’identité burkinabè (CNIB). « C’est nous qui nous y rendons de temps en temps pour établir des actes de naissance pour les enfants. Leur situation est vraiment compliquée et la solution réside dans leur déplacement.
Certes, ils ne veulent pas mais avec les désagréments de plus en plus nombreux que l’eau leur cause, nous avons espoir qu’ils finiront par prendre la sage décision de libérer les lieux », souhaite-t-il. Il certifie que la délégation spéciale est prête à soutenir les habitants de Touroukoro dans la limite de ses moyens pour le déménagement. Il soutient qu’il est prévu dans le plan quinquennal de la délégation spéciale de la commune rurale de Di d’ériger une ligne touristique Di-Toma-île-Débé Touroukoro. Après quelques heures sur l’île, nous revoilà dans la pirogue pour Di. Il est 17H 32.
Eliane SOME
(some.ella@yahoo.fr)
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Les femmes, otages de l’île
Sur l’île de Touroukoro, l’activité des femmes se résument aux travaux ménagers et à la pêche. « Elles ne cultivent pas, ne partent pas en brousse chercher du bois et sont nanties grâce aux revenus qu’elles tirent de la pêche. C’est pourquoi, les commerçants d’articles de femmes se bousculent à Touroukoro et font de bonnes affaires », relate le président de la délégation spéciale de Di, Hamidou Traoré. Il soutient que quand elles se marient à des hommes d’autres villages, elles ne supportent pas longtemps les travaux champêtres et la pauvreté. « Elles quittent donc leur foyer et rejoignent leur île natale », déclare-t-il. Des propos que Mariam Gorou, revenue dans son village après un mariage furtif à Débé, corrobore. « La vie était compliquée là-bas. Car leur mode de vie est très différent du mien. C’est pourquoi, je suis revenue chez moi », explique-t-elle le regard fuyant.
E.S.