Dans un entretien accordé à Sidwaya, hier 11 janvier 2021, le professeur agrégé de droit public et enseignant-chercheur à l’Université Thomas Sankara, Djibrihina Ouédraogo, s’est prononcé sur la composition du nouveau gouvernement.
Sidwaya (S) : Comment analysez-vous la composition du nouveau gouvernement ?
Pr Djibrihina Ouédraogo (D.O) : On peut dire que c’est un gouvernement de large ouverture au regard de la diversité d’origine et de sensibilité des personnes engagées. Il y a forcément des surprises quand on voit la nomination de certains caciques de la vie politiques comme Zéphirin DIABRE et Me SANKARA. Pour le reste, on peut dire que le président du Faso a voulu s’inscrire dans la continuité en reconduisant la charpente du gouvernement précédent.
S : Avez-vous des appréhensions ?
D.O : Non. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer et comme on le dit le vrai maçon se voit au pied du mur. Comme on a l’habitude de le faire dans l’opinion publique, il ne faut pas se livrer à des sentiments pessimistes parce qu’un tel n’aurait pas été plus méritant qu’un tel autre. Après, il faut se rendre à l’évidence que le choix des hommes n’est pas chose aisée. Si on voulait caricaturer, le président du Faso et le Premier ministre se trouvaient dans la situation de deux entraineurs appelés à former l’équipe nationale de football. Evidemment, ils ne peuvent pas appeler tout le monde et sont forcément embarrassés au moment de faire le choix des 23 puis des 11 titulaires. J’ai envie de dire que ce sont les plus méritants qui ont finalement été choisis. A eux alors de démontrer que le président du Faso et son Premier ministre ne se sont pas trompés dans le casting qui a conduit à leur désignation.
S : La présence de plusieurs anciens ministres peut-elle être considérée comme une politique de continuité voulue par le président du Faso ?
D.O : Oui, certainement ! Pour reprendre l’image du sport, on ne change pas une équipe qui gagne. Le président vient d’avoir la confiance renouvelée du peuple. Cette politique de continuité se perçoit dès lors que malgré la politique de grande ouverture, la charpente du gouvernement précédent demeure. Il y a un noyau dur gouvernemental qui n’a pas changé. En effet, les ministères dits régaliens ne changent pas de titulaires. Outre le Premier ministre, les ministres de l’Economie et des Finances, des affaires étrangères, de la Défense, de la sécurité voire de la Fonction publique demeurent.
S : Une dizaine de ministres, dont celui de la Communication, Rémis Dandjinou, de la Santé, Claudine Lougué, des Mines, Oumarou Idani, de l’Habitat, Maurice Bonanet et des Sports, Daouda Adzipiou, n’ont pas été reconduits. Comment interpretez-vous ces départs ?
D.O : Il serait difficile de trouver l’explication objective de tous ces départs pour la simple et bonne raison que nous ne sommes pas dans les têtes du président du Faso et de son Premier ministre. Si on s’autorise alors à la conjecture, il est possible d’avancer deux ou trois idées. La première tient à la real politik. Certains ministres en départ (cas de la Santé ou de la Culture) paient le prix de leur défaite aux législatives. A partir du moment où vous n’avez plus de légitimité électorale, il peut sembler logique de ne pas conserver son fauteuil. Pour certains ministres en départ comme le ministre Bagoro, on pourrait dire qu’il s’agit d’apporter une certaine cure de jouvence au département de la justice concerné en raison de sa longue présence depuis la transition. Plus globalement, on peut dire pour le reste que le travail abattu n’a pas été forcément à la satisfaction du président du Faso et du Premier ministre. Après, il faut être mesuré puisqu’avec les nombreux ralliements à l’APMP et le rabattement des cartes aux élections législatives, il fallait bien faire de la place aux nouveaux alliés. Enfin, il reste l’hypothèse qui paraît moins plausible qu’un ancien ministre décide d’arrêter l’aventure ministérielle pour des convenances personnelles.
S : La principale innovation est la création d’un ministère d’Etat auprès de la Présidence du Faso chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, confié à Zéphirin Diabré. Quel commentaire en faites-vous ?
D.O : C’est à la fois une innovation et une surprise. D’abord sur le ministre désigné. Certes, c’était un secret de polichinelle que le parti UPC serait représenté au Gouvernement, mais on ne pouvait pas imaginer que le premier responsable himself viendrait prendre place. C’est aussi une innovation puisque c’est un nouveau portefeuille ministériel. On fait un peu comme récemment en Côte d’Ivoire. Un ministère de la réconciliation pour une personne venant de l’opposition. Sur ce point, le choix du président paraît judicieux du moment où durant la campagne électorale la plupart des critiques de l’opposition ont porté sur cette thématique. Maintenant, il faut attendre que soit déroulée la feuille de route de ce ministère.
S : Certains critiquent l’entrée au gouvernement de l’ex-chef de file de l’opposition, parlant même de « prostitution politique ». Qu’en pensez-vous ?
D.O : On peut comprendre l’agacement des uns et des autres lorsqu’on sait qu’il s’agit d’une personne qui a incarné ces cinq dernières années la figure de l’opposition. Après, il ne faut pas être si radicale. D’une part, on sait bien que déjà en 2015, le parti au pouvoir avait souhaité que l’UPC puisse se joindre au Gouvernement en tant que membre de la coalition qui avait entrainé le départ du président Blaise COMPAORE. D’autre part, on peut aussi se dire qu’il s’agit d’une stratégie politique, à savoir venir au Gouvernement pour défendre ou faire porter ses idées. N’étant plus chef de file de l’opposition, il est peut-être apparu à Zéphirin que sa voix ne serait plus audible.
S : Parmi les nouveaux ministres, figure aussi Me Bénéwendé Stanislas Sankara, allié de la majorité qui quitte l’Assemblée nationale pour le département de l’Habitat et des Villes. Etes-vous surpris ?
D.O : Un peu. On aurait pu penser qu’il continuerait l’aventure de parlementaire. Mais, après, il y avait surement une volonté de jouer sur un autre levier pour être plus visible et espérer mieux impacter. Il est d’ailleurs vrai que l’essentiel des grandes décisions se prennent et se décident au Gouvernement !
Son entrée dans l’exécutif peut aussi s’expliquer par les résultats du NTD de sorte qu’il ne peut raisonnablement plus bénéficier de la place de 1er vice-président à l’Assemblée nationale. A partir de ce moment, l’entrée au gouvernement devient une option pour garder une influence. Maintenant, il hérite d’un département aux problèmes des plus complexes comme la gestion du foncier.
S : Pourquoi le chef de l’Etat n’a pas respecté son engagement de 30% de femmes dans le gouvernement ?
D.O : Parce qu’il n’en a pas trouvé assez ! Plus sérieusement, le quota n’est pas atteint mais la proportion de femmes est en progression par rapport au gouvernement précédent. La volonté est donc présente même si l’objectif n’est pas encore atteint ! Je dirais même que l’atteinte de l’objectif paraît plus délicate dès lors qu’il y a encore malheureusement très peu de femmes en vue. Au surplus, il ne s’agit pas d’un problème seulement burkinabè. Dans une démocratie comme celle de la France, les critiques sont encore fortes sur le peu de représentativités dans la plupart des institutions.
S : Qu’attendez-vous du gouvernement Dabiré II ?
D.O : Les attentes sont celles du Burkinabè Lambda. La satisfaction des besoins sociaux de base qui passe par plus de cohérence et d’efficacité dans l’action gouvernementale. Il faut par ailleurs relever les défis d’une bonne gestion des finances publiques et mener des politiques durables !
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO