L’usage des substances chimiques, notamment le cyanure et le mercure par les orpailleurs à Poura et environnants pollue l’environnement et particulièrement le fleuve Mouhoun.
L’atmosphère est lourde en cette matinée du mardi 19 mars 2019 à Poura, commune rurale, située à environ 180 kilomètres de Ouagadougou, dans la province des Balé. Dans cette bourgade, qui a abrité la Société de recherche et d’exploitation minière du Burkina (SOREMIB), la première mine industrielle du pays, la vie est rythmée par le vrombissement des moulins installés çà et là pour moudre la terre issue des sites miniers. Le bruit de ces engins se mêle à celui des groupes électrogènes utilisés sur les sites d’orpaillage à la périphérie de la ville. Sur les lieux, des orpailleurs engouffrés au fond des trous donnent des coups de pioche à la terre pour la faire «cracher» l’or, tandis que d’autres s’occupent à séparer les résidus du minerai. A l’intérieur de la cité cosmopolite d’environ 16 000 âmes, des mottes de terre censées contenir le précieux métal jaune et d’autres minerais sont visibles… Jeunes, femmes et hommes s’activent au lavage des résidus des minerais d’or, certains aux abords des rues, d’autres dans des concessions. Or, la réglementation interdit le traitement des rejets de substances de mines dans les zones d’habitation et les espaces publics. Zeynabo Ilboudo, la trentenaire, s’adonne à cette activité à son domicile sans aucune mesure de protection. Pendant que son enfant joue à ses côtés, elle s’active autour d’un dispositif traditionnel comprenant une barrique à laquelle est reliée une planche de façon perpendiculaire. Au fur et à mesure qu’elle lave la terre et verse l’eau sur la planche, des tapis disposés sur celle-ci recueillent les résidus fins composés d’or et de sable, pour l’eau, qui en découle pour stagner dans un trou. Le contenu des tapis est ensuite déversé dans un plat. Puis, elle y ajoute du mercure afin de recueillir l’or par amalgamation. A des centaines de mètres plus loin, Souleymane Dianda mène la même activité à longueur de journée devant sa porte. Il affirme que tous ceux qui lavent les résidus de minerais pour en extraire l’or utilisent du mercure. Comment obtiennent-ils ce produit dangereux dont l’usage est proscrit par l’article 77 du Code minier de 2015 ? A cette question, seule dame Ilboudo dévoile qu’elle se ravitaille auprès des acheteurs d’or sans toutefois livrer leurs identités. Si le mercure se vend et s’utilise au grand jour à Poura, c’est le cyanure qui règne en maître à moins de trois kilomètres de la ville, dans la commune de Fara. Là-bas, des orpailleurs traitent des résidus de minerais avec du cyanure dans des bassins creusés (cyanuration) pour en retirer le moindre métal jaune.
Des animaux, victimes du cyanure
Malgré de fortes odeurs nauséabondes qui se dégagent sur les sites et donnent des migraines, les chercheurs d’or ne renoncent pas à leur business. Aux abords du site, d’énormes quantités de terre dépouillée du précieux minerais mais contenant du cyanure sont entreposées. Les orpailleurs ne s’en préoccupent plus. Pour ceux-ci, le cyanure tout comme le mercure ne présente aucun danger. Cette assertion ne rencontre pas l’assentiment de l’éleveur Alassane Soré qui a perdu cinq taureaux et trois vaches après qu’ils ont bu de l’eau sur un site de cyanuration. «En janvier, les enfants ont conduit les animaux en brousse et huit bœufs ont disparu. Le lendemain, je les ai retrouvés à des kilomètres de leur lieu de disparition et à des endroits différents, tous morts. Après investigation, il s’est avéré qu’ils avaient bu de l’eau de cyanure sur un site. Les responsables les ont pris dans des taxis-motos et sont allés les jeter loin afin qu’on ne puisse pas les accuser», relate-t-il. L’infortuné raconte que c’est après moult discussions et une convocation à la police que le propriétaire du site de cyanuration a consenti à reconnaître son tort et à l’indemniser à raison de 225 000 F CFA par tête de taureau et 185 000 FCFA pour chaque vache. «Ces montants sont en dessous des prix de vente des animaux, mais j’ai dû faire avec. Nous demandons aux orpailleurs de protéger les sites de cyanuration avec des grillages afin que les animaux ne puissent pas y accéder», suggère-t-il. Le mercure et le cyanure ne sont pas seulement nocifs pour les animaux.
Deux enfants, sauvés in extrémis
Ils engendrent de nombreuses maladies et peuvent être mortels pour l’homme, foi du responsable du centre médical de Poura, Dr Fatimata Barry. Ces deux produits sont, selon elle, des neurotoxines qui affectent le système nerveux et l’appareil pulmonaire. «Ils causent des malformations congénitales, des maladies respiratoires, de la peau, la toux, l’angine, des migraines …», soutient-elle. Elle affirme que son centre de santé reçoit beaucoup de patients souffrant de ces maux. «Mais le plateau technique ne permet pas de dire avec certitude que c’est le cyanure et le mercure qui sont les agents pathogènes. Toutefois, j’ai déjà traité deux enfants intoxiqués dont les parents ont avoué qu’ils ont bu de l’eau contenant du cyanure. Ils ont été sauvés in extrémis», affirme-t-elle. Au-delà des dangers pour la santé, l’environnement aussi paie un lourd tribut de l’usage des deux produits. Aux dires du chef de service départemental de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique de Poura, François Conombo, le cyanure est un poison violent pour la nature. «Il est démontré sur le plan écologique, que pour chaque gramme d’or obtenu par amalgamation, environ deux grammes de mercure s’échappent dans le milieu ambiant polluant directement les sols, les eaux de surface et souterraines et intoxiquant les animaux terrestres et aquatiques», déclare-t-il. De son avis, l’usage des deux produits à Poura et ses environs est inquiétant au regard de l’ampleur et de la proximité avec le parc des deux Balé qui est traversé par le fleuve Mouhoun. «D’ailleurs le fleuve est beaucoup affecté alors que l’eau de boisson des populations y est puisée. La nappe phréatique de Poura est également touchée», soutient-il.
Des poissons morts…
Abondant dans le même sens, le directeur provincial de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique des Balé, Bernard Bingo, fait savoir qu’au lendemain d’une pluie survenue dans la zone le 17 mars dernier, des poissons, notamment des sardines et des tilapias morts flottaient dans le fleuve. «Au niveau du parc des deux Balé, il y avait également des poissons morts. Cette mortalité est certainement due aux eaux de ruissellements qui ont entrainé les produits toxiques dans le cours d’eau», démontre-t-il.
Malheureusement, poursuit M. Bingo, ces produits sont utilisés dans toutes les localités du pays où se pratique l’orpaillage. Selon les statistiques du ministère en charge de l’environnement, 32 tonnes de mercure s’échappent dans la nature annuellement au Burkina Faso. Aussi, le directeur provincial de l’Eau et de l’Assainissement des Balé, Wendenmy Francis Régis Bingbouré, explique que l’usage du cyanure et du mercure dans l’orpaillage impacte négativement le Mouhoun, engendrant, selon lui, un problème de santé publique. «Heureusement que l’eau coule dans le fleuve et emporte les éléments toxiques minimisant ainsi les risques par rapport à une eau stagnante», relativise-t-il. En outre, il soutient que toutes les dispositions ont été prises par le département et l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) pour fournir aux populations une eau de boisson saine. A ses dires, l’Agence de l’eau du Mouhoun et la police de l’eau veillent au grain afin de préserver le fleuve. «Les deux structures en collaboration avec d’autres partenaires multiplient des séances de sensibilisation pour faire comprendre aux populations la dangerosité de ces produits dont la manipulation leur est interdite», assure-t-il.
Changer le fusil d’épaule
Ces activités sont aussi menées par les services de l’environnement, selon l’inspecteur des eaux et forêts, Bingo. «En plus, nous faisons des contrôles sur les routes pour empêcher la rentrée du cyanure et du mercure sur le territoire national.
Malheureusement, nos frontières sont poreuses et les trafiquants arrivent à déjouer la vigilance de la douane, des forces de défense et de sécurité et des forestiers en passant par la en brousse», regrette-t-il. Qu’à cela ne tienne, M. Bingo soutient que les forestiers font fréquemment des descentes sur les sites de cyanuration. «A notre arrivée c’est la débandade. Les orpailleurs courent et abandonnent leur matériel. Récemment, nous avons mené une opération à Poura au cours de laquelle, nous avons mis la main sur une dizaine de bidons de 20 litres d’acides, des sacs de cyanure et de zinc. Plusieurs personnes ont été interpellées et présentées au procureur. Nous avons infligé des amendes à certaines, des sanctions à d’autres», fait-il savoir. Malgré toutes ces actions, il reconnaît que la pratique a la peau dure dans la localité. Pour lui, cela est dû au fait que l’orpaillage est ancré dans les habitudes à Poura. Loin de se décourager, il annonce que la sensibilisation sera intensifiée. Car, dit-il «il faut coûte que coûte mettre fin à l’usage de ces produits pour éviter un désastre écologique». L’adjudant-chef major des eaux et forêts, Conombo, relève que malgré les textes règlementaires (codes miniers, de l’environnement…) qui interdisent le mercure et le cyanure, les sensibilisations et les sanctions, la pratique perdure. Il serait judicieux, à son avis, de changer le fusil d’épaule. «Il faut permettre aux orpailleurs d’user de ces produits, mais en les organisant, en renforçant leurs capacités et en les soumettant à des cahiers de charges. Ainsi, les sites seront sécurisés», suggère-t-il. Pour justifier sa solution, il explique que quand les forestiers ferment un site de cyanuration, les orpailleurs chassés vont s’installer ailleurs de façon clandestine.
La mairie, impuissante
«Le temps que nous nous en rendions compte pour les déloger, ils ont déjà causé des dégâts. Et le processus se répète indéfiniment. Malheureusement, nous ne pouvons pas être partout et en permanence. Une autre difficulté est que des propriétaires terriens permettent à des orpailleurs de mener leurs activités sur leurs terres moyennant espèces sonnantes et trébuchantes au mépris de la règlementation. Cela rend la lutte compliquée», argumente-t-il. La mairie de Poura a aussi opté pour l’organisation des orpailleurs. Le premier adjoint au maire, Robert Bognini, avance que sa commune a fait appel à l’Agence nationale d’encadrement des exploitations artisanales et semi-artisanales (ANEMASS) pour organiser les orpailleurs. Il espère que cette démarche portera fruit, car la mairie est pour le moment impuissante face au fléau de l’usage des produits toxiques dans l’orpaillage. «Nous sommes conscients des interdictions. Mais, il est difficile de sévir, car c’est la quasi-totalité de la population qui utilise ces produits dangereux. Aussi, depuis la fermeture de la mine de Poura, les populations n’ont trouvé que l’orpaillage comme activité rémunératrice. Il n’y a pas eu d’accompagnement de l’Etat pour cette commune qui a été une école de mine pour le Burkina Faso», dénonce-t-il. Toutefois, il reconnaît que ce «mal nécessaire» cause d’énormes dégâts.
A ses dires, la présence des amas de résidus de minerais partout dans la ville engendre la poussière, rend difficile la circulation car les voies sont obstruées. «La pluie draine la terre sur les passages d’eau et engendre des inondations. Nous ressentons également des effets de la pollution. Dans la brousse, ce sont des trous à n’en pas finir. Les arbres dans les alentours chevillent et les animaux tombent parfois dans les fosses. Un éleveur peulh a même déménagé de Poura à force de perdre ses animaux dans les trous», se désole-t-il.
Rouvrir la mine de Poura
Face à tous ces inconvénients, il avance que le conseil municipal a pris des délibérations pour interdire le lavage à domicile des résidus de minerais et instaurer une taxe de dégradation de l’environnement. «Là encore, les orpailleurs refusent de payer. La mairie ne parvient pas à percevoir des dividendes de l’orpaillage», dit-il l’air impuissant. Au final, il soutient que les responsables de la mairie qui «passent pour des méchants à cause des actions menées contre l’usage de produits dangereux» sont soucieux, mais n’ont pas les moyens pour venir à bout du fléau.
Pour lui, il revient à l’Etat d’entrer en scène par la création d’activités rémunératrices pour la population et la réouverture de la mine de Poura. «Il y a l’or à Poura. La fermeture de la mine avait été annoncée comme un problème économique. 19 ans après, d’énormes quantités d’or sont sorties de Poura sans que cela ne profite ni à la mairie, ni à l’Etat alors que les conséquences sont très lourdes. Si la mine rouvre ses portes, la population sera cadrée et abandonnera l’orpaillage», assure-t-il.
Eliane SOME
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