Maître Souleymane Barro : « Les bons moments sont les temps de consécration de vos élèves que vous avez formés ».

Voilà plus de 30 ans qu’il incarne le Vovinam-Viêt Võ Dao à Bobo-Dioulasso, la ville qui l’a vu naitre et qui a vu naitre ses premiers pas dans cet art martial vietnamien. Maître Souleymane Barro, bientôt 60 ans continue de s’employer avec la même énergie et le même amour à dispenser le savoir comme à ses débuts en 1990.

« Maître Barro est celui qui a le grade le plus élevé à Bobo-Dioulasso. Ceinture noire 5e dan. Il est le directeur technique du district en charge de la qualité de l’enseignement et la conformité des techniques. Je retiens de lui la rigueur dans l’enseignement des techniques et un amour inconditionnel pour le développement de la discipline ». C’est en ces termes que le président du district du Houet de Vovinam-Viêt Võ Dao, Sékou Ouattara, identifie Maître Souleymane Barro, une figure bien connue de la discipline au Burkina Faso.

Et pour bien s’acquitter de ses responsabilités, rien de mieux que le terrain aux dires du concerné âgé aujourd’hui de 57 ans. C’est donc tout naturellement que nous le retrouvons au milieu de ses élèves, plusieurs dizaines, en cet après-midi de mercredi, dans la cour du stade Sangoulé Lamizana à Bobo-Dioulasso. Vêtu de son vo phuc (uniforme bleu), il arpente les rangées, donne de la voix, rectifie la position d’une jambe mal placée par-ci, d’un bras mal tendu par-là, puis, se place devant pour montrer par l’exemple en exécutant quelques gestes.

« Nous sommes actuellement avec les 4-16 ans qui s’entrainent deux fois par semaine. Après nous enchainons à partir de 18h avec les plus de 16 ans qui eux, ont trois séances par semaine. Ce sont en tout une centaine d’apprenants que nous avons », explique Maître Souleymane Barro. Dragon vert, dénomination de son club, est le plus vieux des six clubs de Vovinam-Viêt Võ Dao que compte la ville de Sya.

C’est dans ce club jadis, le seul à l’époque dirigé par Maître Souleymane Thiombiano que le petit garçon des Barro âgé d’à peine 13 ans a fait la connaissance de l’art martial vietnamien au milieu des années 80. « C’était après mon CEP (Certificat d’études primaires). Ce qui s’y passait m’a beaucoup intéressé car j’y ai vu des choses comme celles que je voyais dans les films avec les armes blanches.

Maître Thiombiano m’a beaucoup aidé car je n’avais même pas les moyens de m’acheter les équipements mais il m’a pris et un peu un peu j’ai pu en avoir avec le temps pour bien commencer», se remémore-t-il. C’est ainsi qu’en jonglant entre ses activités auprès de son oncle boucher et les entrainements à partir de 18h, il parvient à se faire une place mais pas sans difficultés.

Son père était réticent dès le départ et lorsque le moment est venu pour le jeune homme d’entamer les compétitions qui devront le conduire hors de la capitale économique, son oncle s’y met aussi. «Mes patrons et principalement mon oncle ne voulait pas me laisser partir. Comme je savais lire et écrire c’est moi qui notais les différentes opérations commerciales de mon oncle et à la fin du mois je faisais les
comptes », se souvient celui-ci.

Mais Souleymane est connu aussi pour sa ténacité. Il tient bon et après moult tractations il réussira à participer plusieurs fois au championnat qu’il remportera. La reconnaissance officielle tardive des structures de la discipline auprès des instances internationales ne lui a cependant pas permis de faire valoir ses compétences à l’international et de passer sereinement ses grades, regrette-il. Il passe la ceinture noire en 1990 et entre 1991 et 1992 il hérite du club comme formateur principal.

Des élèves à la hauteur de l’homme

Du haut de ses 57 ans, l’homme est toujours aussi investi qu’à ses débuts.

Commence ainsi une carrière de formateur qui le fera connaitre les joies qui lui ont échappées en tant qu’athlète notamment à travers les performances de ses élèves qui se comptent désormais par milliers. Pour le premier mondial du Burkina Faso dans la discipline, son poulain Ibrahim Traoré, en 2010, a raté de justesse la plus haute marche du podium en finissant 2e.

Au dernier championnat d’Afrique en novembre 2024, sur les neuf médailles d’or du Burkina, six ont été décrochées par des représentants de son écurie, confie-t-il. Son ancien élève, Salif Koanda, dirige aujourd’hui l’un des clubs de la ville de Bobo-Dioulasso. Champion mondial 2018 en combat (60-65 kg) en Belgique et médaillé d’or en combat au championnat d’Afrique en 2017 et en lutte vietnamienne, il retient de l’homme en presque 15 ans de collaboration, la disponibilité, la ténacité et le dévouement. « Il y a eu des fois où il a été piétiné mais il n’a jamais lâché.

Il ne flatte pas ses collaborateurs ou apprenants car il est porté sur l’excellence. Je me souviens que pendant une séance d’exercices de coups de pieds il s’est approché de moi et m’a dit : « c’est bien ce que tu fais ». J’ai été très ému car des expressions du genre venant du Maitre étaient très rares », confie M. Koanda. « C’est parce que c’est quelqu’un de très discret, qui ne parle pas beaucoup.

On a du mal à savoir ce qu’il pense car renfermé mais c’est quelqu’un de très déterminé et très assidu, disponible pour toutes les sollicitations », précise le directeur technique national de la fédération burkinabè de Vovinam-Viêt Võ Dao, Moussa Nassouri. Surnommé « La force tranquille » du fait de ce caractère, ces efforts lui ont valu plusieurs distinctions au plan national et international. Parmi celles-ci figure la reconnaissance de la nation qui l’a décoré au grade de chevalier de l’Ordre du mérite de la jeunesse et des sports avec agrafe dirigeant en 2009.

Cette abnégation et surtout la rigueur qui caractérise l’homme qui donne l’impression de toujours chercher ses mots n’épargne personne, même pas ses enfants une fois venus au Vovinam-Viêt Võ Dao. Sita Barro l’une de ses dix enfants qui ont tous pratiqué la discipline est ceinture noire 3e dan, médaillée à la coupe du monde Paris 2014. C’est en accompagnant son père au club qu’elle a fini par faire comme ses ainés alors qu’elle n’avait que 5 ans. Elle est aujourd’hui propriétaire de deux clubs de la discipline dans la capitale Ouagadougou.

« C’est un bon papa très aimant mais arrivé au club il devient le Maître et il apprend sans favoritisme. Jusqu’à présent je continue de l’appeler pour des conseils que ce soit pour mes clubs ou pour la pratique », affirme-t-elle. La transmission du savoir occupe une place de choix pour le technicien qui est toujours disponible pour ses anciens élèves. « Il m’a transmis cet amour. C’est lui qui m’a encouragé à créer un club depuis plus de cinq ans. Nous sommes des Maitres d’autres clubs mais lui reste notre grand Maître et lors des rassemblements il nous invite et insiste pour nous laisser travailler et lui ne fait qu’observer cela témoigne de la confiance qu’il a en nous », souligne Salif Koanda.

Toujours en train de se former, Maître Souleymane Barro n’entend pas s’éloigner du Vovinam-Viêt Võ Dao de sitôt. « Je veux continuer et mettre en application ce que je suis
en train de faire dans le cadre de mes travaux de recherches qui portent sur les personnes âgées » tient-il mordicus.

Voro KORAHIRE

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