Les centres hospitaliers universitaires, Yalgado-Ouédraogo à Ouagadougou et Sourou-Sanou à Bobo-Dioulasso sont très fréquentés par les populations. Malgré les efforts consentis par l’Etat, ces établissements restent confrontés à un manque criant de produits et de matériels de soins.
Une vingtaine de patients avec des poches d’eau, le pied ou le bras dans le plâtre, reçoivent des soins à même le sol dans le couloir du service traumatologique du centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo. Même constat aux urgences où le plancher tient lieu de lit pour un autre groupe de patients. Ce sont les conditions dans lesquelles travaille le personnel soignant en ce mois de novembre 2019 pendant les gardes. Depuis plus de deux heures, plusieurs patients, faute de brancards et de…brancardiers, attendent dans le dédale des autres services de l’hôpital. La trentaine bien sonnée, Joël Ouédraogo, l’accompagnant d’une blessée, peine à contenir sa colère face à cette intenable attente. Sa malade, une quarantenaire, Aminata Ouédraogo, a été en effet, admise au service traumatologique après un accident.

Elle doit subir d’urgence des examens sanguins. En attendant l’hypothétique apparition de brancardiers, elle se tortille de douleur. « Elle a des blessures profondes au bras gauche et au pied droit. Après le diagnostic, le médecin a dit qu’elle doit subir une intervention chirurgicale. Malheureusement, nous avons attendu pendant trois heures de temps avant d’avoir un brancard pour l’amener à la radiologie », fulmine Joël Ouédraogo, tout en suivant du regard les brancardiers visiblement exténués par les nombreux transports de patients. A son avis, cette situation peut être à l’origine d’un drame. «Cette lenteur dans la prise en charge des cas urgents est inadmissible, de surcroît dans un hôpital dit de référence. Dans ces conditions, l’on court le risque de se retrouver, à tout moment, avec un cadavre sur les bras», s’est-il inquiété. Autres services, autres difficultés. L’infirmier diplômé d’Etat, Aimé Gohoungo, est lui, désemparé face au manque du strict minimum. Un facteur, selon lui, qui limite le travail au quotidien et pire, impacte négativement sur les gardes. L’air renfrogné, il explique que l’hôpital manque d’alcool et de coton depuis une semaine. « Comment peut-on atteindre un rendement optimal dans ces conditions? Nous n’allons tout de même pas demander aux malades ou leurs accompagnants de nous apporter l’alcool, le coton ou les gants », martèle-t-il.
« C’est très difficile au regard des conditions »
Cela, estime-t-il, amer, peut aggraver l’état de santé des malades, déjà éprouvés par les longues attentes devant les dépôts ou pharmacies. Un médecin qui a requis l’anonymat soutient que le service de la chirurgie est aussi confronté au manque fréquent d’alcool. «Nous essayons de donner le meilleur de nous-mêmes. Mais, il faut avouer que c’est très difficile au regard des conditions. Nous sommes parfois obligés d’accomplir l’impossible à mains nues », souligne-t-il. Il nous est arrivé plusieurs fois, révèle-t-il, de perdre des malades qui auraient pu être sauvés si tous les éléments étaient réunis. Le manque de réactifs au sein de l’hôpital Yalgado oblige, ajoute-t-il, plusieurs patients à se rendre dans des cliniques pour des examens de sang. « C’est une épreuve supplémentaire pour des malades, déjà dans des états critiques », déplore-t-il. Joël Ouédraogo confirme qu’Aminata a dû, elle aussi, faire ses examens sanguins dans une clinique.
«Des dispositions doivent être nécessairement prises pour résoudre cette situation préjudiciable aux malades et à leurs accompagnants », lâche-t-il. Aminata Traoré, une infirmière stagiaire, l’apprendra à ses dépens. Dès les premiers jours de son stage, la jeune femme, auparavant enthousiaste de passer à une autre étape de sa formation, va vite déchanter face aux dures réalités des hôpitaux publics. « En plus des éléments de base, il n’ y avait pas de plateau, un ustensile, pourtant, indispensable pour transporter le matériel de premiers soins vers les salles », dit-elle. Le plateau permet, précise-t-elle, d’emporter en une seule fois, les paires de ciseaux, l’alcool, la bétadine, etc. « Il n’est pas conseillé de les prendre un à un. Car, le temps est compté. Sauver des vies n’attend pas», fait-t-elle savoir. Toutefois, certains services, notamment le service d’imagerie, constituent une exception dans cet océan de difficultés. Le médecin de garde ayant requis l’anonymat se veut, en effet, rassurant. «La machine fonctionne bien. De même, les films sont de qualité », déclare-t-il. A la pédiatrie, la gratuité des soins, bien qu’appréciée par bon nombre de personnes, connaît, cependant, des limites.
« La machine est en panne»
Cinquante ans révolus, Adama Drabo a son fils alité. Il salue cette mesure qui permet aux parents d’avoir gratuitement des soins et des examens sanguins et radiologiques. Mais, il regrette le manque de produits dans les dépôts pharmaceutiques. «La plupart du temps, les produits ne sont pas disponibles. Nous n’avons pas d’autre choix que d’aller nous les procurer à des prix exorbitants dans les pharmacies», soupire le vieil homme, l’air dépité. Le gouvernement doit mettre, estime-t-il, tout en œuvre pour approvisionner les dépôts pharmaceutiques afin de soulager les populations, qui sont majoritairement pauvres. Il pointe, par ailleurs, du doigt les malversations des gérants de dépôt et de certains médecins. «Les autorités et les responsables des hôpitaux doivent être plus regardants et faire un contrôle approfondi des différents stocks. Des agents de santé subtilisent des produits, pour ensuite les revendre », accuse-t-il. Embouchant la même trompette, Alima Balboné, une enseignante pense que le gouvernement doit veiller au respect scrupuleux de la mesure sur la gratuité. Dans le service néphrologique, Assita, une jeune fille de 18 ans souffre d’insuffisance rénale depuis quatre ans. Elle explique, les larmes aux yeux, que l’état avancé de sa maladie nécessite des séances de dialyse en moyenne deux fois par semaine. « Je devais faire ma dialyse avant-hier. Malheureusement, je ne suis pas encore jusque-là, dialysée. La machine est en panne. C’est fréquent à Yalgado », se désole-t-elle. Les machines existantes peinent à couvrir les besoins en dialyse au regard du nombre grandissant de personnes atteintes d’insuffisance rénale.
« Ces machines représentent une source de vie pour les personnes souffrant de ce mal. Sans les séances de dialyse, je ne peux pas vivre normalement. Ma vie dépend d’elles », marmonne-t-elle, avant de lancer un appel au gouvernement pour plus de machines. Comme à l’hôpital Yalgado-Ouédraogo, le centre hospitalier Sourou-Sanou de Bobo-Dioulasso connaît aussi des difficultés. Au service des urgences, les malades, faute de lits disponibles dans les chambres, sont couchés à même le plancher. A l’instar des autres services de cet hôpital de référence de la Cité de Sya, la maternité manque cruellement du strict minimum. Selon la sage-femme, Sylvie Ramdé, hormis la gratuité au profit des femmes enceintes, qui est très salutaire, des outils nécessaires aux soins prénataux et à l’accouchement se font rares. Elle dit être peinée par cette situation qui, pour elle, peut causer le décès des femmes en couche ou leurs bébés. Outre, ces problèmes évoqués, la vétusté des locaux des deux centres hospitaliers dérangent plus d’un patient ou un accompagnateur. Selon Joël Ouédraogo, les bâtiments de Yalgado laissent à désirer. « Pour un hôpital de référence, comme Yalgado, je pense que cela n’honore pas le Burkina Faso. Les bâtiments sont dépassés. Les locaux sont à revoir », affirme l’accompagnant. Il préconise alors une réfection des bâtiments ou la construction de nouveaux édifices répondant aux normes internationales, et particulièrement aux attentes des populations. «La population augmente à une vitesse vertigineuse. Pour une ville qui comptait 100 000 habitants, l’on se retrouve avec deux millions d’habitants », illustre-t-il.
Pour l’enseignant-chercheur à l’Université Joseph-Ki-Zerbo et au CHU de Bogodogo et le secrétaire général du Syndicat des médecins du Burkina (SYMEB), Alfred Ouédraogo, les problèmes évoqués sont dus à plusieurs raisons. D’abord, a-t-il indiqué, Yalgado,tout comme les autres hôpitaux publics, n’a pas de recettes propres pour lui permettre de fonctionner. « Les prix sont dérisoires. L’Etat subventionne mais de façon parcellaire. Ce qui ne couvre pas le gap », dit-il. A ses dires, la question de l’assurance maladie pourrait résoudre le problème comme la gratuité des soins qui a permis à beaucoup d’hôpitaux de survivre.
Revoir l’organisation interne
«Après la césarienne, il y a un paiement direct pour le remboursement », explique Dr Ouédraogo. En plus, poursuit-il l’air sérieux, l’autre élément est le mécanisme de la commande publique. « Si l’on veut payer par exemple, un scanner qui coûte 100 millions F CFA en Europe, une clinique avec les taxes peut l’avoir à 110 millions F CFA mais l’hôpital public va l’obtenir à 200 millions F CFA à cause de l’appel d’offres», détaille-t-il. L’organisation interne de l’hôpital est également à revoir, insiste-t-il. « Il y a 11 blocs et aucun bloc opératoire ne fonctionne sans l’autre. On peut les centraliser pour une gestion efficiente », conseille le docteur. Le défi de la gouvernance est aussi à relever, selon lui.
Concernant les réactifs, il précise que la commande peut prendre six mois voire une année. Le processus prend du temps et la solution idoine, c’est de commander directement avec le fabricant, suggère-t-il.
Pour éviter que les patients soient traités à même le sol, il faut une bonne gestion des lits. « Pendant que des malades sont dans des situations inconfortables, il peut y avoir des lits vides dans d’autres services. Il est donc nécessaire de les utiliser », préconise l’enseignant-chercheur.
Mariam SOMDA