
Dr Remy Palé est le Secrétaire permanent de la Coordination des politiques sectorielles agricoles (SP/CPSA) au ministère de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques. En tant que représentant le ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, le commandant Ismaël Sombié, il a conduit la délégation burkinabè au 19e Forum africain sur les systèmes alimentaires (AFSF 2025), tenu du 31 août au 5 septembre 2025, à Dakar, au Sénégal, sur le thème : « La jeunesse africaine : fer de lance de la collaboration, de l’innovation et de la transformation des systèmes agroalimentaires ». Dans cette interview accordée à Sidwaya, M. Palé dresse le bilan de la participation du Burkina Faso à cette rencontre.
Sidwaya (S) : Quels sont les objectifs du Burkina en venant à ce Forum
de Dakar ?
Remy Palé (R.P.) : Le forum africain sur les systèmes alimentaires est un carrefour pour l’ensemble des pays d’Afrique. C’est un carrefour de partage d’expériences, d’apprentissage, mais aussi de réseautage. Il était donc indiqué que le Burkina y soit, non seulement pour faire connaître ce qu’il fait de mieux, mais aussi apprendre des différents pays qui participent à ce forum, voir ce que nous pouvons capitaliser dans la recherche de notre souveraineté alimentaire et dans le processus de développement endogène que nous avons engagé.
En participant à ce forum, nous avions dans un premier temps l’obligation de porter la voix du Burkina qui a toute sa place dans le concert des nations.
Dans un deuxième temps, accompagner la jeunesse burkinabè venue à ce forum pour faire connaître ses innovations dans les chaines de valeurs des productions agricoles et animales.
Dans un troisième temps, cette participation du Burkina se veut aussi une opportunité de nouer des partenariats avec des pays et des institutions sur les questions d’intérêt pour créer des synergies d’actions visant à consolider le processus de construction de notre système alimentaire. Et au-delà de la cérémonie d’ouverture, nous avons eu la chance de participer à plusieurs rencontres stratégiques.
S : On sait que le Burkina porte actuellement d’ambitieux projets agricoles en matière de souveraineté alimentaire. Concrètement, qu’avez-vous présenté comme expériences burkinabè à ce forum ?
R.P. : Nous avons d’abord mis l’accent sur le fait que nous sommes un pays sahélien dépendant de la pluviométrie. Et pour que nous puissions bâtir notre système alimentaire qui soit robuste et résilient, nous avons besoin de travailler d’abord sur les facteurs de base de la production. Et cela a été la première des choses que nous avons présentée à travers les actions phares au niveau national, inscrites dans l’initiative présidentielle pour l’agriculture et l’autosuffisance alimentaire, mais aussi dans l’Offensive agro-pastorale et halieutique.
Ces actions mettent l’accent d’une part, sur la maîtrise de l’eau, les aménagements hydro-agricoles, la disponibilisation des intrants (semences de variété améliorée et des engrais de qualité), et d’autre part sur les réformes engagées qui ont conduit au développement de tous les instruments nécessaires pour accélérer la souveraineté alimentaire au Burkina Faso. Entre autres, nous avons la création de l’Office national des barrages et des aménagements hydroagricoles (ONBAH) qui est chargé de la réhabilitation de nos retenues d’eau et de la construction de nouveaux barrages.
Nous avons étendu les attributions de la Société nationale d’aménagement des terres et de l’équipement rural (SONATER), pour non seulement faire de l’aménagement des terres, mais aussi la gestion de nos périmètres irrigués. Nous avons également la Société burkinabè d’intrants et de matériels agropastoraux (SOBIMAP) qui est désormais chargée d’assurer l’approvisionnement du pays en engrais de qualité à des prix accessibles.
Ces réformes ont concerné aussi la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS) qui a subi une mutation dans ses attributions et qui devient une centrale d’achat pour réguler le marché des produits de grande consommation, tout en assurant un prix rémunérateur aux producteurs.
L’autre réforme majeure dans le secteur est la création du Fonds Dumu Ka Fa comme instrument de financement des projets agricoles, d’élevage et d’aquaculture. Les dernières réformes concernent la création de Faso-Guulgo, une société de fabrication des aliments pour bétail, volaille et poisson, de Faso-Kosam pour la transformation du lait et de Faso abattoir pour garantir la gestion durable de nos abattoirs et aires d’abattage. Toutes ces réformes font qu’aujourd’hui, le Burkina dispose de tous les instruments de base nécessaire pour amorcer sereinement le processus de sa souveraineté alimentaire.
S : De plus en plus, les questions d’agriculture durable reviennent sur la table des échanges et en la matière, le Burkina dispose d’une stratégie nationale d’agroécologie et fait la promotion des intrants biologiques. Le Burkina a-t-il partagé également cette expérience ?
R.P. : De façon spécifique, la session sur l’agroécologie coïncidait avec d’autres rencontres ministérielles et nous n’avons pas pu prendre part à cet atelier, en tant que représentant du ministre de l’Agriculture. D’autres personnels du ministère et des ONG et associations de développement œuvrant dans ce domaine ont pris part à ces sessions dédiées à l’agroécologie pour pouvoir partager notre expérience.
Pour ma part, nous avons mis à profit les échanges avec les différentes parties prenantes, pour revenir sur l’expérience du Burkina Faso en matière d’agroécologie. Par ailleurs, la société d’Etat, la SOBIMAP, dont je parlais tantôt, met également sur le marché des bio-intrants.
Les pratiques agroécologiques sont promues par notre département en parfaite intelligence avec les ONG, les coopératives, les faitières et les associations de développement. Nous suivons les contacts et partenariats qui se nouent ici avec les jeunes entrepreneurs, étant donné que les produits bio sont très bien demandés à ce forum. J’ai rencontré ici des jeunes Burkinabè dynamiques et innovants qui ont obtenu des partenariats et de retour au Burkina, il s’agira de voir comment les faire bénéficier de nos instruments de politiques publiques agricoles pour soutenir davantage ces initiatives et permettre à ces jeunes Burkinabè d’honorer leurs engagements envers les partenaires commerciaux qu’ils ont pu obtenir ici.
S : De manière concrète, en quoi a consisté la participation du Burkina Faso à ce Forum ?
R.P. : Au-delà de la cérémonie d’ouverture du forum présidé par le Président de la République du Sénégal, Diomaye Faye, et Président de la République du Rwanda, Paul Kagamé, où nous avons représenté le ministre d’Etat, nous avons participé à des sessions ministérielles obligatoires et aux sessions de partage d’expériences.
La première session ministérielle a porté sur l’élevage.
Et le Burkina a pris part à cette session qui avait trois objectifs à savoir créer les meilleures conditions pour un
élevage prospère en Afrique, harmoniser nos mesures et dispositifs juridiques afin de faciliter la transhumance et soutenir la sédentarisation des éleveurs dans nos pays par l’aménagement des espaces passereaux, mais aussi en mettant beaucoup plus l’accent sur la production d’aliments concentrés et la génétique de nos animaux pour tendre vers des races améliorées.
La deuxième session obligatoire était la table-ronde des ministres de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Eau avec les partenaires. Et cette table-ronde visait essentiellement à faire connaître les priorités nationales de différents pays en matière de construction des systèmes alimentaire, partager l’expérience sur les initiatives fonctionnelles, communiquer sur les contraintes et les possibilités de partenariats.
Cette session devrait permettre aux partenaires de prendre connaissance des orientations nationales des pays, de se positionner sur ces priorités et de se réorganiser pour les accompagner. A l’issue de cette session, les partenaires ont réaffirmé leur alignement aux priorités nationales. Et pour le cas spécifique du Burkina Faso, ces priorités sont inscrites dans l’initiative présidentielle, l’offensive agro-pastorale et halieutique qui sont une réponse conjoncturelle et l’Initiative Lijeeguoli qui doit apporter une réponse structurelle aux contraintes du sous-secteur agro-pastoral et halieutique. Nous sommes aussi revenus sur ces éléments lors de la participation du Burkina à cette session.
La dernière session portait sur le commerce et les marchés régionaux. Nous sommes tous d’accord qu’aucun pays ne peut se développer de façon isolée, nous avons besoin d’échanger avec les autres. Il s’agit d’une sorte de panel où nous avons réaffirmé l’orientation actuelle de notre pays de réduire voire annuler la part des produits bruts dans nos échanges commerciaux avec l’extérieur. Le minimum est de faire une transformation primaire pour ajouter de la valeur et créer des emplois. Par ailleurs, ces transformations doivent être orientées prioritairement pour la satisfaction de la consommation intérieure.
C’est le surplus de la consommation nationale qui sera mis sur le marché sous régional de préférence et ensuite international. En sus de ces rencontres obligatoires, nous avons participé à deux autres sessions que sont « la gouvernance des systèmes alimentaires » et « partenariat pour l’avenir : rôle du secteur privé dans l’innovation agroalimentaire ». Nous avons aussi visité les stands d’expositions des innovations des jeunes mais aussi des expositions du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Sécurité alimentaire du Sénégal.
En marge de ces sessions, nous avons eu des échanges avec certains pays notamment le ministre malien de l’Agriculture et le conseiller technique, représentant le ministre nigérien de l’Agriculture. Nous avons également rencontré certaines structures en commençant par la coordination régionale du système des Nations unies où il était question de lever le malentendu sur les flagships du Burkina Faso, notamment celui sur les systèmes alimentaires et agroalimentaires. Cette rencontre a permis d’affirmer et de repositionner le leadership national de l’Etat dans le portage des projets stratégiques, y compris les investissements dans l’agriculture.
Nous avons aussi rencontré Africa Rice qui, avec AGRA, a établi un partenariat pour soutenir la production semencière dans plusieurs pays dont le Burkina. Je me suis donc fait le porte-parole de cette coalition auprès de l’INERA et du ministère en charge de la recherche au Burkina Faso, pour qu’ensemble nous puissions voir comment cette initiative peut être mise à profit afin de soutenir la production semencière dans notre pays.
Cette coalition entre Africa Rice et AGRA devrait permettre donc de booster cette production semencière pour que nous n’ayons plus à faire face à une production insuffisante de semence au Burkina Faso.
J’ai aussi eu la chance de rencontrer le Coordonnateur de la Coalisation pour le développement de la riziculture en Afrique (CARD) basée en Ethiopie. Elle nous avait accompagné dans l’élaboration de la stratégie nationale de développement de la riziculture au Burkina Faso. Elle a une nouvelle phase de programme qui commence et elle souhaite effectivement partager cette expérience avec nous afin que nous puissions voir dans quelle mesure reprendre la collaboration visant à soutenir les initiatives nationales de développement de la riziculture dans notre pays.
Et la dernière rencontre, c’est avec la coordinatrice régionale de la FAO, basée à Dakar au Sénégal. Et avec elle, il a été beaucoup plus question de voir comment s’inscrire dans la vision du leadership national de l’Etat pour la conduite des plans d’investissements pour la filière bétail-viande et la filière aquacole issues des flagships du système des Nations unies dont la FAO coordonne les actions sur les systèmes alimentaires et agroalimentaires.
S : Il y a aussi des jeunes entrepreneurs agricoles burkinabè qui sont à ce forum. Quel bilan peut-on faire à ce niveau ?
R.P : Nous avons accompagné ces jeunes entrepreneurs pour une visite de courtoisie chez l’ambassadeur du Burkina à Dakar, Saidou Maiga. Nous les découvrons pour la plupart ici à Dakar. Ces jeunes sont pleins d’innovations et utilisent mieux les technologies dans l’agriculture que leurs prédécesseurs. Ils peuvent changer la structure de notre agriculture et faire de ce secteur une source d’emplois et de richesses pour les jeunes qui hésitent encore à revenir à la terre, malgré leurs difficultés d’insertion professionnelle avec leurs diplômes.
Et aujourd’hui, ils ont valablement représenté le Burkina Faso à ce Forum. Ils ont présenté des produits de qualité et ont réussi à nouer des contacts. Ils ont besoin d’accompagnement. Nous avons échangé avec eux et avons pris bonne note de bon nombre de leurs besoins. Certains besoins sont pris en compte par les instruments de politiques publiques existantes et d’autres ont besoin d’être muris et traités convenablement.
Aussi, avec la représentante du ministre de la Jeunesse, nous sommes convenus de nous revoir pour créer un cadre d’échanges entre les deux départements ministériels pour plus de synergies d’actions et de mutualiser nos moyens au profit des jeunes entrepreneurs agricoles. Je suis convaincu que si nous accompagnons conséquemment ces jeunes que nous avons vus ici et qui constituent un échantillon des dynamismes des jeunes Burkinabè, ils vont faire preuve d’innovation agricole et changer le visage de notre agriculture.
S : D’une manière globale, le bilan est-il satisfaisant ?
R.P. : Nous sommes très satisfaits de notre participation. Dans un premier temps, nous avons réussi à faire porter la voix du Burkina au sein de ce forum, ce qui a été très salutaire. Deuxièmement, nous avons réussi à nouer des partenariats avec des institutions, des structures de recherche pour nous accompagner, mais aussi à créer un réseau avec l’ensemble des autres pays qui ont pris part aux travaux ici. Troisièmement, nous avons rappelé et réaffirmé la nécessité du respect du leadership national de l’Etat sur les initiatives de développement avec certains partenaires.
Aussi, les jeunes entrepreneurs ont réussi à avoir des contacts d’affaires, à nouer même des marchés. Il y a une jeune entrepreneure dans la transformation agroalimentaire qui a séduit des grandes chaines de distribution au Sénégal qui souhaitent commercialiser ses produits. Nous avons également Fayçal Palenfo de « Faso Poulet » qui a obtenu le deuxième prix du concours d’innovation avec une couveuse solaire. Enfin, nous avons beaucoup appris des autres pays, notamment d’Afrique de l’Est pour bâtir notre système agricole et alimentaire qui doit être durable et résilient. En conclusion, le bilan est très satisfaisant pour le Burkina.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com
(Depuis Dakar, Sénégal)