Des nouveau-nés restent hydratés de la naissance jusqu’à six mois, s’ils sont exclusivement allaités selon les experts de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cette pratique, qui réduirait les risques de cancer de l’ovaire, peine malheureusement à être suivie au Burkina Faso, au regard des réticences des familles.
Ramatou Sawadogo, ménagère, vit à Ouagadougou, avec sa belle-mère et ses co-épouses. Agée de 27 ans, elle est mère de trois enfants dont le dernier, un garçonnet était âgé de plus d’un mois, à notre rencontre, le jeudi 30 mai 2020. Cheveux défaits, elle porte un pagne noué et un tee-shirt de couleur rayée bleue-blanc, Mme Sawadogo, s’active à la cuisine pour le repas du soir. Le nouveau-né au dos de sa grande sœur âgée de 7 ans, s’apprête à boire une décoction contenue dans un canari, déposé sur un autre feu à l’extérieur de la cuisine. La belle-mère, Bibata Soré, assise sur une natte, décortique des arachides. Dame Ramatou, visiblement, s’impatiente pour nous entretenir sur son vécu sur l’Allaitement exclusif (AE). Après quelques hésitations, elle confie que pendant sa première grossesse, elle a été informée par ses copines que l’AE est une méthode naturelle, pour planifier les naissances. Toute joviale, elle attend impatiemment la venue du bébé pour la pratique, car ne supportant plus les effets secondaires des méthodes contraceptives. Mais, cette joie serait de courte durée, car après son accouchement, sa belle-mère accueille le nouveau-né, avec « l’eau de bienvenue ». « A peine sortie de la maternité, la vieille achète un canari et des tisanes pour le gavage et les purges. Elle me rappelle que mon mari a eu les mêmes soins, mais il est bien portant », se souvient-elle avec amertume. Ce fut « un jour noir » pour elle, car elle raconte que toutes les vieilles ont soutenu l’idée de sa belle-mère. Ramatou Sawadogo croit pourtant aux conseils de ses copines, appuyés par ceux des spécialistes de la santé.
Les réticences à l’AE trouveraient leurs origines dans les croyances transmises de génération en génération. Dans des pays chauds et secs comme le Burkina Faso, des familles estimeraient que l’eau est nécessaire à la survie de l’enfant. Malgré ces préjugés, rien n’entame la détermination de beaucoup de femmes, d’outrepasser les croyances des vieilles personnes. En effet, Adissa Kaboré, âgée d’environ 70 ans et vendeuse de céréales à Koudougou, dans la région du Centre-Ouest, dit être « abandonnée » par ses belles-filles lorsqu’elles accouchent.
« Ces dernières ne me rendent visite qu’après six mois, parce qu’elles savent, que je ne pourrais en aucun cas, priver mes petits-fils de cette boisson ‘’bénite’’ », affirme-t-elle.
Le lait contient 88% d’eau
Pour les spécialistes, la pratique de l’AE n’a jamais été la cause de décès des nourrissons. Ils balaient du revers de la main ces croyances non fondées et ils insistent que le lait maternel est composé à 88% d’eau. Le nutritionniste, Ali Bagué, indique qu’un nourrisson n’a pas besoin d’un autre liquide, pour maintenir une chimie corporelle saine et équilibrée. « Même celui qui vit dans un climat très chaud et sec, n’en a pas besoin, car l’eau contenue dans le lait maternel dépasse ses besoins», clarifie-t-il. Pour lui, une mère qui estime que son enfant a soif, doit l’allaiter immédiatement. Le chef du service gynécologie-obstétrique à l’hôpital Yalgado Ouédraogo, Pr Blandine Thiéba, atteste que toutes les femmes peuvent et doivent allaiter, sauf en cas de contre-indications médicales à l’allaitement. Elle argumente que, lorsque les femmes sont bien nourries et que l’enfant allaite, elles produisent du lait en quantité. Au regard de ces raisons scientifiques avancées par les experts de la santé, certaines femmes sont entrées de plain-pied dans l’AE. Awa Sawadogo, élève en classe de 1re D à Téma, dans la région du Nord, localité située à une centaine de kilomètres de Ouagadougou, est de celles-là. Mère d’une fille de cinq mois, nous la trouvions, ce samedi 13 juin 2020, assise sur un tabouret devant sa cour, en train de vendre des arachides sucrées et de couscous du petit mil, emballés dans des sachets. Couverte d’un pagne multicolore, la chevelure déjà bien fournie, la petite est dans les bras de Morphée et jouit d’une parfaite santé, à entendre sa mère, le sourire aux lèvres. Avec l’accord de son époux, Moumouni Sawadogo, animateur à l’Association des jeunes pour le développement au Sahel (AJDS), Awa Sawadogo bannit tous les liquides du quotidien de l’enfant. Et pour cause, elle avance que la fille de sa coépouse, âgée aujourd’hui de six ans, nourri exclusivement au sein jusqu’à six mois, est éveillée et « brillante » à l’école. « C’est la raison pour laquelle, mon mari a voulu que cette méthode s’applique aussi à mon enfant », détaille-t-elle. Rokia Kaboré du village de Lelkoom à Zorgho dans la région du Plateau central, a pratiqué cette méthode avec ses jumelles, qui ont à peine dix mois. Elle dit rendre grâce à Dieu, car ses ‘’kinkirsi’’ (jumeaux en langue mooré), ne souffrent d’aucun mal, à l’opposé de ses trois autres enfants, qui ont été gavés et purgés. L’animatrice de l’association ‘’Songtaab-sidlatim’’ du Ganzourgou, Sophie Kaboré, précise que dans le cadre de la nutrition, des sensibilisations sont menées dans des Groupes d’apprentissage et de suivi des pratiques d’alimentation des nourrissons et du jeune enfant (GASPA).
Des mamans qui gavaient leurs enfants de 0 à 6 mois de décoctions, constate-t-elle, ont désormais compris le bien-fondé de l’AE.
La sage-femme du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Marcoussis dans l’arrondissement 9 de Ouaga-dougou, Haoua Ouédraogo, indique que lors des Consul-tations prénatales (CPN), les seins des femmes sont examinés et des techniques leur sont montrées, pour qu’elles puissent mieux allaiter. A l’en croire, elles doivent revenir les 6e et 42e jour, après l’accouchement et c’est surtout au 42e jour avoue-t-elle, que l’agent de santé, leur parle du cancer de l’ovaire et celui de l’utérus.
La tétée bloque l’ovulation
La gynécologue, Pr Thiéba, confie que pour éviter le cancer de l’ovaire, la 4e cause de décès chez la femme, il faut pratiquer l’AE. Elle explique que l’ovaire est d’abord une glande qui secrète des hormones et lorsque la femme allaite, l’ovaire est au repos et bloque l’ovulation. « Il n’y a plus de sécrétion hormonale. Plus ce blocage dure, plus la femme est protégée contre la survenue du cancer de l’ovaire», justifie-t-elle. Elle fait savoir que toutes les femmes n’ont pas le même cycle menstruel. Certaines peuvent faire deux ans sans voir leurs menstrues pendant l’allaitement et ces dernières ont moins de risques. Chez d’autres par contre, leur cycle reprend au bout de six semaines ou d’un an. Selon elle, les facteurs de risque de cancer sont la puberté précoce, la ménopause tardive, la première grossesse après 35 ans, l’infertilité et l’âge supérieur à 50 ans. Dr Boubakar Touré, également gynécologue obstétricien, ajoute que pendant l’ovulation, l’ovule perce l’ovaire et lorsqu’il est percé, il crée une ulcération. C’est au niveau de cette plaie soutient-il, que vont s’accrocher les substances nocives, pouvant faciliter la survenue du cancer. « Mais l’allaitement empêche tout ce processus. Il est aussi une méthode de contraception pour la femme», se convainc-t-il. Au Burkina Faso, il n’y a pas d’études sur la thématique du ‘’cancer de l’ovaire et allaitement’’, mais Pr Thiéba clarifie que les résultats d’une étude australienne montrent, que les femmes ayant allaité un enfant pendant au moins 13 mois avaient 63% moins de risques de développer une tumeur de l’ovaire que celles qui avaient allaité pendant moins de sept mois. « L’étude publiée a révélé que les femmes ayant eu trois enfants et les a allaités pendant un total de 31 mois, ont diminué le risque de tumeur de 91% », mentionne-t-elle. La chargée de suivi du projet IBFAN, Honorine Baziémo, se réjouit que dans la région du Plateau central, avec ce réseau international d’action pour l’alimentation infantile, il y a une amélioration de la pratique de l’allaitement maternel, qui est passée de 2% à plus de 20%.
Des agents de santé accusés
Les agents de santé ont une influence importante sur les décisions relatives à l’allaitement. Cependant, la majorité des femmes déclarent qu’elles n’ont reçu ou ne reçoivent aucune sensibilisation sur l’AE. Rasmata Ouédraogo, une primipare qui essaie de calmer son nourrisson de trois mois, pleurnichard, avec le sein, fait savoir que c’est après son accouchement, en quittant la maternité que la sage-femme l’a conseillée l’AE. Ramatou Sawadogo se rappelle que de ses trois grossesses, bien qu’elle ne manque pas à ses rendez-vous de pesées, elle n’a reçu aucune information sur ce sujet. La sage-femme du CSPS de Marcoussis, Haoua Ouédraogo, souligne que lors des CPN, il y a des causeries de groupe avec les femmes et les avantages de l’allaitement exclusif pour la mère et l’enfant, leur sont expliqués.
« Mais si, les femmes venaient à affirmer qu’elles ne reçoivent aucune information, cela va attirer l’attention des agents ‘’fautifs’’ et aider à améliorer davantage les causeries-débats », rassure-t-elle. Abondant dans le même sens, sa collègue, Sophie Ouédraogo du CSPS de Bassinko, dans l’arrondissement 8 de Ouagadougou, affirme que toutes les femmes qui viennent pour les CPN, reçoivent les mêmes sensibilisations.
C’est parce qu’elles ne veulent pas pratiquer l’AE, se convainc-t-elle, que ces dernières accusent les agents de santé. « Une femme était venue, paniquée, au CSPS avec son enfant qui avait des difficultés respiratoires, parce que sa belle-mère l’avait gavé. II a failli mourir et son époux a mis toutes les deux en garde. Nous sommes persuadés que si tous les hommes emboîtent le pas, l’objectif de l’AE sera atteint », estime-t-elle.
Pr Thiéba interpelle d’une part, le ministère de la Santé, afin qu’il puisse accompagner davantage les agents en faisant des affiches sur les bienfaits de l’allaitement. D’autre part, elle souhaite que la Société de gynécologues et obstétriciens du Burkina (SOGOB) et l’association des sages-femmes et maïeuticiens, promeuvent l’allaitement pendant la grossesse et après l’accouchement.
Encourager l’AE
Le gynécologue obstétricien, Dr Boubakar Touré, confie que l’allaitement est le premier vaccin pour l’enfant et lui apporte tous les nutriments nécessaires à son développement. Pour lui, il améliore les résultats en matière de développement social, sanitaire et économique.
« L’Allaitement exclusif immunise le nourrisson contre certaines maladies, telles la diarrhée, la pneumonie et réduit les saignements chez la mère », approuve-t-il.
Pr Thiéba renchérit que les enfants nourris au sein sont plus intelligents et une fois adultes, ils ont souvent une tension artérielle et une cholestérolémie plus basses et souffrent plus rarement de surpoids, d’obésité ou de diabète de type 2.
Certaines femmes reconnaissent tous les bienfaits de l’AE, mais il est difficile pour elles, d’allier allaitement et emploi. Parmi ces femmes, Aïda Kouraogo, fonctionnaire de l’Etat. Elle s’est tournée vers le lait artificiel, à la fin de son congé de maternité, puisqu’il fallait, à l’en croire, trouver une alternative pour que l’enfant soit nourrit.
« Je quitte la maison à 7h 30. Je descends à 14h 30 et parfois à 17h. L’enfant ne peut pas attendre toutes ces heures sans téter», précise-t-elle. Face à cette situation, la sage-femme de Bassinko, Sophie Ouédraogo, conseille « l’expression » du lait, en le conservant en toute sécurité dans des conditions d’hygiène. Sophie Ouédraogo et Pr Thiéba suggèrent que l’Etat et les responsables des structures privées aménagent un cadre idéal au sein des services, pour les femmes allaitantes, afin d’améliorer leur rendement au service et sécuriser leur bébé ou à défaut, la gynécologue souhaite que le congé de maternité soit prolongé. Toute chose qui contribuerait à gagner le pari de l’AE au pays des Hommes intègres.
Le conseiller technique en communication pour le changement social et comportemental de l’Initiative Alive and Thrive (A&T), Hippolyte Rouamba, note qu’en Afrique de l’Ouest et du Centre, sept nourrissons sur dix, reçoivent des liquides et aliments.
Alors que la campagne ‘’Plus fort avec le lait maternel uniquement’’ (PFLMU), soutenue par l’UNICEF et l’OMS, dont le lancement a eu lieu en juin 2020, recommande le lait maternel uniquement aux nourrissons au cours des six premiers mois. Elle vise à ce que tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, atteignent l’objectif mondial d’AE de 50% d’ici à 2025.
Afsétou SAWADOGO
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L’AE « sur la bonne voie » au Burkina
Au Burkina Faso, même si la bataille de l’Allaitement exclusif n’est pas encore gagnée, la ministre de la Santé, Pr Claudine Lougué, affirme que le pays semble être sur la bonne voie, car la pratique selon elle, a progressé de 38,2% en 2012 à 59% en 2019. Alors que le pays compte atteindre un taux de 80% à l’horizon 2025, dans le plan de passage à l’échelle de la promotion des pratiques optimales d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (2013-2025). L’UNICEF estime que pour mettre fin à cette pratique de donner l’eau aux bébés avant les six mois, les dirigeants doivent investir dans des politiques et programmes basés sur des données probantes, qui protègent, encouragent et soutiennent l’allaitement. Interdire aussi de promouvoir d’autres aliments ou boissons, présentés comme étant convenables pour les nourrissons. La sage-femme du CSPS de Marcoussis, Haoua Ouédraogo, souhaite que les autorités du Burkina Faso, prennent des mesures strictes, pour que la commercialisation agressive de ces produits soit réglementée et que des publicités soient plus consacrées à l’AE, que les Substituts du lait maternel (SLM).
A.S