Officier de police major à la retraite, Béatrice Sanon a été l’un des artisans, sinon, la principale actrice de l’arrestation de Sia Popo Prosper, auteur du hold-up de plus de deux milliards F CFA à l’agence nationale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Abidjan, le 27 août 2002. A l’occasion du 8-Mars, Sidwaya s’est entretenu avec cette femme intègre, plus de 20 ans après les faits, sur les circonstances de cette arrestation.
Sidwaya (S) : Depuis quand êtes-vous à la retraite ?
Béatrice Sanon(B.S.) : Je suis admise à faire valoir mes droits à la retraite depuis le 15 octobre 2017. Après 39 ans de service. En effet, j’ai intégré la police en 1977 juste après le BEPC à 18 ans au collège Tounouma filles de Bobo-Dioulasso. J’ai réussi à mon examen avec l’entrée en seconde. J’ai abandonné tout cela pour aller faire le concours de la police parce que la première promotion de la cuvée de femmes policières de 1976 venait d’effectuer sa sortie. J’ai alors décidé de faire le concours de la police.
S : Comment se passe votre vie de retraite ?
B.S. : Je mène de petites activités qui me génèrent un peu de ressources de temps à autre. Je m’occupe également du verger familial à Bobo-Dioulasso.
S : En 2002, vous avez contribué à l’arrestation de Sia Popo Prosper, auteur du hold-up de plus de deux milliards F CFA à l’agence nationale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Abidjan, le 27 août 2002. Pouvez-vous revenir sur le contexte de son arrestation à l’aéroport international de Ouagadougou ?
B.S. : Il faut dire que l’arrestation de monsieur Sia Popo Prosper a été un travail collectif. J’étais l’adjoint du commissaire de police de l’aéroport international de Ouagadougou. Au sein des aéroports travaillent plusieurs acteurs. Nous étions de service ce jour quand des collègues ont constaté que le visa de Sia Popo Prosper n’était pas conforme. Ils l’ont interpellé à l’effet de comprendre. C’est alors que Sia Popo Prosper a expliqué qu’il est venu du Ghana avec un faux visa Schengen en transit au Burkina Faso pour l’Allemagne. Les collègues l’on conduit à mon bureau. Après l’audition de Sia Popo Prosper, j’ai remarqué quatre choses qui m’intriguaient : la courtoisie, l’accent francophone avec un français bien limpide du prévenu qui portait une perruque comme déguisement. J’ai donc décidé de garder le passeport afin d’investiguer. Le lendemain, j’ai consulté un journal ivoirien où figurait le nom et les photos d’un présumé cerveau de l’attaque de la BCEAO. Le nom de Sia Popo Prosper y figurait. Ensuite, nous avons contacté Interpol qui a confirmé la même identité et comme nous étions au samedi, nous avons gardé le passeport et l’invité à revenir lundi. Le lundi à son arrivée, le prévenu s’est débarrassé de sa perruque de déguisement, ensuite, il disait être disposé à offrir une forte somme en échange de la facilitation de son départ vers l’Allemagne. Pour corroborer mes soupçons, j’ai procédé aux fouilles de la valise, où, j’ai découvert une carte nationale d’identité ivoirienne où, est bien écrit Sia Popo Prosper avec une importante somme d’argent. Je l’ai laissé avec la brigade de recherche. Je suis rentrée en ville faire quelques courses. A mon retour, je constate que les collègues s’apprêtaient à lui restituer son passeport et le relaxer sous prétexte que Sia Popo Prosper dit avoir été victime d’escroquerie au Ghana afin d’obtenir le passeport et le visa. C’est alors que j’ai récupéré le passeport et informé les plus hautes autorités de la situation avec un procès-verbal explicitant toute la situation et qui se sont chargées de contacter celles de la Côte d’Ivoire et de la BCEAO. S : Il se disait à l’époque que Sia Popo Prosper vous a proposé de l’argent pour que vous le laissiez prendre son vol pour l’Allemagne. Quand était-il exactement ? B.S. : Le commissaire étant absent pour des raisons de maladie, j’assurais donc l’intérim. Je me faisais assister par un collègue pour échanger avec Sia Popo Prosper. Effectivement, il disait disposer de suffisamment de ressources. La proposition était claire. Il n’y a pas un montant qui avait été fixé. Quand j’ai retenu son passeport dans mon bureau, les agents sont repartis. J’avais la latitude de me servir comme je voulais. Mais cela ne m’a jamais effleuré l’esprit. Cela fait partie des valeurs qu’incarne la Police nationale.
S : La BCEAO ou la Police nationale vous ont-elles récompensé par la suite ?
B.S. : Oui. La BCEAO en l’occurrence, le gouverneur d’alors, monsieur Charles Konan Banny ,est venu traduire la gratitude de son institution aux autorités burkinabè. Et, à cette occasion, il a donné un chèque pour la Police nationale, les deux agents qui ont travaillé avec moi ce jour. Nous avons reçu chacun, un million F CFA. Le montant du chèque, je ne le connais pas. Après, tout le personnel de la police de l’aéroport de Ouagadougou a reçu quelque chose. Je pense que c’est 40 000 F CFA par personne. Ensuite, le gouverneur en repartant a tenu à nous remercier de vive voix à l’aéroport. Au niveau de la police, l’Assemblée nationale d’alors a reçu l’information de ce qu’une équipe de police du Burkina Faso a mis aux arrêts le cerveau du hold-up de plus de deux milliards F CFA de la BCEAO à l’aéroport international de Ouagadougou. La représentation nationale à l’époque a souhaité une récompense de la Nation à toute l’équipe à titre exceptionnel. A ma grande surprise, les deux agents de la brigade de recherches ont été décorés, le 11 décembre 2002. J’ai essayé de comprendre, le pourquoi, nous étions trois à conduire les travaux et ce sont deux agents qui ont été décorés sans moi. Malheureusement, aucune explication ne m’a été donnée. J’ai fini par absorber cette douleur en moi pour dire qu’à l’époque je n’ai pas reçu de récompense venant de la police.
S : Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis son arrestation ?
B.S. : Il n’y a pas eu de changement. J’ai simplement continué à faire mon travail pour lequel, j’ai été engagée à la Police nationale. Ce travail recommande un certain nombre de valeurs qui font que l’on travaille sans calculer dans ce métier. L’équipe de la brigade de recherches qui a suivi de près la situation avait décidé de manifester son mécontentement et qu’elle n’ira pas féliciter les récipiendaires. J’ai convaincu l’équipe de participer aux festivités.
S : Certes, vous étiez déjà médaillée d’honneur de la Police nationale (2000), mais avec l’arrestation de Sia Popo Prosper, certains de vos collègues qui y ont contribué ont été décorés et pas vous. Comment avez-vous perçu ce choix ?
B.S. : Cela m’a fait mal surtout que je n’ai pas eu d’explications. J’ai même versé des larmes à l’époque. J’ai continué de travailler jusqu’à ce que la retraite intervienne.
S : Finalement, l’ASCE/LC vous a décorée en fin 2022. Comment avez-vous accueilli cette décision de l’ASCE/LC ?
B.S. : Ce n’est que justice qui m’a été rendue, effectivement. L’ASCE/LC m’a décorée, le 9 décembre 2022. Cela a été une belle surprise, car je ne m’y attendais plus. C’était au-delà de mes attentes de surcroît, je suis admise à faire valoir mes droits à la retraite depuis 2017. L’injustice a été corrigée, bien que je sois à la retraite. Je suis très reconnaissante à l’ASCE/LC pour avoir corrigé cette injustice. Aussi, je suis reconnaissante à l’actuel directeur général et l’ensemble de son équipe qui m’ont décerné une récompense en janvier 2023 pour le service rendu.
S : Vos responsables de l’époque semblent vous avoir payé en monnaie de singe en ne vous proposant pas à la décoration comme vos deux autres collègues. N’aviez- vous pas regretté par moments votre acte qui a permis d’épingler Sia Popo Prosper ou n’aviez-vous pas dit en votre for intérieur pourquoi, je me suis pas servie et le laisser partir ?
B.S. : Sincèrement, je n’ai pas regretté. Parce que lorsque j’ai vu l’ampleur, l’importance de cette arrestation, je me suis dit que nous avons posé un bon acte. J’étais contente parce que nous ne devions pas échouer. Dieu merci, nous l’avons arrêté à Ouagadougou. Il allait sortir avec notre cachet. Il est rentré au Burkina par Dakola par la route et il y avait le cachet de la police de frontière de Dakola sur son document. A l’aéroport également, il y aurait eu notre cachet de la police. S’il se retrouvait quelque part, il y aurait eu ces traces. Donc, vraiment, je n’ai pas regretté. Ensuite, je me suis dit qu’au niveau de la direction générale, ils n’avaient pas la vraie version de l’affaire. Comme souvent, les patrons sont complices entre eux et n’aiment pas dévoiler les failles. Le DG de la police était en mission en Europe. Lorsque j’ai tenté d’expliquer que les agents sous mes ordres sont en train d’être décorés et moi pas, j’ai vu que cela ne marchait pas. J’ai arrêté pour ne pas être à l’origine d’une mésentente entre les patrons. J’ai dit que ce que j’ai fait, Dieu et l’équipe du jour le savent.
S : Pensez-vous que votre acte a laissé une trace au sein de la police en termes de promotion des valeurs d’intégrité ?
S.B. : A présent oui. Sinon, dans le temps, je ne pense pas que les gens percevaient cela comme un acte d’intégrité. Ils disaient qu’ils avaient bien travaillé et point barre. Certains ne voyaient pas le côté corruption. Mais actuellement, les policiers sont en train de comprendre qu’il faut changer de méthodes de travail, de comportements et abandonner les mauvaises pratiques.
S : Depuis plusieurs années, la Police est fréquemment citée dans les rapports des structures de lutte contre la corruption. Quel est votre message pour vos frères d’armes et la jeune génération ?
S.B .: C’est dommage qu’on se retrouve souvent parmi les cinq premiers services ou institutions citées où règne la corruption. Lorsque j’ai l’occasion d’échanger avec la jeune génération, elle me dit : « Maman, nous sommes venus trouver ces pratiques au sein du corps ». Maintenant, je les exhorte à les abandonner. Un travail discret et sincère est en train d’être fait. J’ai foi en ces anciens qui sont proches de la retraite et qui sont en train d’œuvrer à ce que la police soit revue autrement. J’ai foi en eux. La jeune génération, je l’invite à abandonner ces pratiques. Cela n’honore ni le corps, ni ceux qui sont les acteurs sur le terrain , ni la nation. Le message est en train d’être passé. Et, les premiers responsables travaillent pour cela.
Interview réalisée par Emmanuel BICABA