Et toi, veux-tu partir avant elle ?

Hier soir, j’ai vu mon voisin marcher comme une feuille volante. Il avait perdu une bonne partie de son embonpoint et la bedaine qu’il aimait caresser en rotant n’était plus rien d’autre qu’un tambour affaissé. Sa voix n’était qu’un écho aphone et atone. Quand il m’a souri, j’ai vu un crâne à la place d’une tête nue, lisse et émaciée.

Vous savez bien que mon voisin est très malade depuis quelque temps. Eh bien, l’homme mène en ce moment le dernier round d’un combat désespéré contre la faucheuse. Hier, il m’a fait une confidence presque les larmes aux yeux : « savez-vous que dans le subconscient de beaucoup de femmes, c’est leur mari qui mourra le premier ? », m’a-t-il soufflé à l’oreille.

J’essayai de l’interrompre pour le ramener à la raison mais il était plus avancé que la raison elle-même. Il persista : « c’est peut-être provocant ou provocateur ; vous pensez que je suis perturbé par l’effet des médicaments, mais c’est éloquent, même patent ! ». C’est vrai, on ne parle pas de ces choses-là dans une chronique. Même dans la vie, on évite d’évoquer ces genres de sujet.

Bref, c’est gênant, c’est frustrant, c’est choquant ! De façon presque normale, dans la tête de certaines femmes, un jour viendra où elles hériteront de tout. Pour ces femmes, c’est l’homme qui meurt toujours le premier et c’est la femme qui reste en vie pour s’occuper des enfants, de la villa et des voitures, du champ ou de la ferme. Alors commencent les calculs mentaux de tous genres ; on additionne, on multiplie, on soustrait avant de diviser. Ainsi, se trament les scénarii, des plus cyniques aux plus iniques ; des plus subtils aux plus débiles. Dès le mariage sa mère ou sa tante lui conseille de signer pour la monogamie.

Entre la séparation de biens et la communauté de biens, le choix est clair. Sur les papiers des parcelles, elle se battra pour que celle que tu prévoies pour ton frère lui revienne et en son nom. La voiture que vous roulez porte déjà son nom par amour. C’est elle qui garde tes papiers importants et elle est au courant de tous les mouvements sur ton compte en banque. De temps en temps, elle fouine dans la pénombre de ta tête en te caressant le bas ventre pour te tirer les marrons du nez et faire ses plans sur ton flanc.

Quand elle est inspirée, dans la causerie elle peut même te dire de planifier vite telle ou telle chose parce qu’on ne sait jamais. Mais comme d’habitude tu ne sais pas grand-chose de son manège, tu videras ton sac sur la paillasse de vérité pour la postérité. Il y en a même qui te toiseront en ces termes : « as-tu pensé au cas où tu ne serais plus là ?

Comment veux-tu que je fasse avec les enfants ? » Cette chronique suscitera peut-être des coliques dans le rang de l’autre moitié du ciel, mais aucune animosité n’anime ma plume. Il y a même d’autres histoires vraies à raconter, mais gardons le gris-gris dans le sac pour son offrande ; je préfère avaler la pilule et point barre ! Mais la vérité est celle-ci : pendant que vous vivez, vivez votre vie avec prévoyance et à titre posthume en toute intelligence.

Pendant que vous êtes en vie parlez-vous de la mort ; de vos morts mutuelle mais avec courage et en toute transparence. De toute façon, nous sommes tous des mortels ; personne n’est éternel et à quoi bon envisager la mort de l’autre en s’abstenant de tirer le linceul sur soi ? Il y a des hommes qui sont prêts à partir et laisser leur femmes avec les enfants, parce qu’ils savent que leur femme est un « Homme ».

Il y a des hommes qui préparent tout de leur vivant avec l’idée et même parfois le souhait ardent de mourir avant leur femme, parce qu’ils savent que leur femmes est digne. Ces hommes ne se retourneront pas un seul instant dans leur tombe, parce qu’ils sont bien couchés sur le bon côté et se reposent bien à trépas. Lorsque vous avez une bonne femme, vous avez tout, vous vivez déjà dans l’antichambre du paradis avant d’amorcer l’ultime voyage à vive allure.

Un vieux sage m’a dit un jour qu’il sait qu’il ne lèguera pas à ses enfants un héritage en étage, mais qu’il priait toujours pour entendre le premier l’appel du ciel et marcher galamment dans les nuages tout de blanc vêtu. Parce que, dit-il, sa femme saura veiller sur son avenir à lui : son honneur ! Avant que je n’aille voir mon voisin, et toi, es-tu suffisamment galant pour faire le saut le premier ? Que penses-tu savoir de ce que l’autre moitié du ciel pourrait penser de ça ? Est-ce que vous en parlez parfois ? Est-ce que vous y pensez souvent ?

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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