La CEDEAO et le défi guinéen

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a opté pour la fermeté en Guinée. Après les sommets extraordinaires du 8 septembre et de jeudi 16 septembre dernier à Accra, l’organisation a décidé de maintenir la pression sur la junte militaire dirigée par le Colonel Mamady Doumbouya, tombeur de son mentor et désormais ex-président, Alpha Condé.

La décision a été notifiée de vive voix par une délégation de chefs d’Etat de la région et concède une transition politique de six mois dirigée par le nouvel homme fort de Conakry, secondé d’une personnalité civile. Pour le reste, la CEDEAO maintient la suspension du pays de Sékou Touré de toutes ses instances jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel. Elle interdit de voyage, l’ensemble des membres de la junte militaire ainsi que leurs familles, gèle les avoirs des putschistes et exige la libération immédiate de Alpha Condé, toujours détenu dans un lieu tenu secret après le coup d’Etat du 5 septembre 2021.

Quid des concertations nationales « pour une transition inclusive et apaisée » engagées par le Comité national du rassemblement démocratique (CNRD) et qui pourraient conclure à une durée de Transition autre que celle prescrite par la CEDEAO ? Fondamentalement, la fermeté de l’institution sous régionale à l’égard du CNRD en Guinée est compréhensible.

En effet, que ce soit en 1984 ou en 2008, les expériences précédentes de la prise et de la gestion du pouvoir par l’armée, n’ont, en définitive, pas permis de créer les bases d’un état de droit démocratique, de justice et de paix sociale, socles d’un développement véritable dans un pays au sous-sol aux richesses exceptionnelles (la moitié des réserves mondiales du bauxite est en Guinée). Sans préjuger de ce que la junte fera de la Transition actuelle, les populations ont exprimé leur joie et salué la prise du pouvoir par l’armée.

Si la fermeté de la CEDEAO vise à éviter que cette troisième intrusion de l’armée dans la vie politique de l’un des premiers pays décolonisés de l’Afrique ne confine à un éternel recommencement, elle a de fortes chances d’emporter l’adhésion de certains Guinéens. C’est la conviction de l’ancien archevêque de Conakry, Robert Cardinal Sarah, qui conseille aux militaires dans une lettre « de prendre le temps qu’il faut pour la réflexion, la concertation, l’action vraie et pour éviter les erreurs du passé ».

Pour lui, la mise en place de fondamentaux économiques et sociaux solides, capables de soutenir l’édifice Guinée passe avant l’organisation rapide d’élections, qui constitue aux yeux de certains observateurs, un moyen de pression pour remettre en marche le processus politique en vue de sauvegarder des intérêts des populations. On le voit, la CEDEAO a bandé les muscles contre ce énième coup d’Etat en quelques mois dans la sous-région.

Elle a tenu deux sommets extraordinaires qui auraient pu être consacrés à d’autres préoccupations majeures de l’espace communautaire, telle la libre circulation des personnes et des biens qui, malgré les déclarations de bonnes intentions, a du mal à porter les ambitions de « la CEDEAO des peuples ». Un agenda trépidant pour un fléau de coups d’Etat, somme toute évitables et dont la principale raison est connue : les velléités de modification de la clause limitative des mandats présidentiels.

La limitation des mandats a beau être considérée comme antidémocratique, elle a été rendue nécessaire sous nos cieux par les pratiques de conquête et de conservation du pouvoir politique, conçues comme moyens de contrôle de tous les autres pouvoirs. Tant que la CEDEAO ne se donnera pas les moyens de sanctuariser ces dispositions éminemment crisogènes, elle n’en finira pas avec les sommets de crise et ses condamnations-suspensions de principe.

A voir de près, la junte à Conakry est certainement dans une disposition symbolique. Dans une semaine, la Guinée célèbre les 63 ans du NON historique d’un certain Hamed Sékou Touré. Un NON qui trouve écho favorable aujourd’hui dans une Guinée « malmenée » par ses fils et qui fait que le coup d’Etat a reçu comme un OUI massif des Guinéens de 2021, comme pour narguer la communauté.

Par Mahamadi TIEGNA

mahamaditiegna@yahoo.fr

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