Le temps des questionnements

Au lendemain d’un conseil de défense, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé, jeudi 10 juin 2021, la fin de l’opération Barkhane au détour d’une conférence de presse. C’est une option médiane qui a été finalement retenue parmi d’autres éventualités dont celle (vite écartée) du retrait total des troupes françaises. Après avoir suspendu la coopération militaire à la suite « du coup d’Etat dans le coup d’Etat » du colonel Assimi Goïta, soupçonné du péché capital d’accointance avec des mouvances islamistes, la France a franchi un autre pas, qui bien qu’attendu depuis le sommet du G5 Sahel de N’Djamena, ne laisse pas moins interrogateur dans les capitales du Sahel.

En 2013, l’Hexagone était intervenu, à la demande du Mali, insistait-on, avec l’opération baptisée très symboliquement Serval (un animal des savanes africaines connu pour marquer son territoire par son urine) pour stopper l’avancée de colonnes terroristes sur Bamako. Serval s’est muée en quelques années en opération Barkhane (dune de sable mouvant) pour laquelle plus de 5 000 soldats français sont déployés au Sahel depuis 2014 aux côtés du Mali mais aussi de ses voisins devenus progressivement la cible des attaques terroristes.

Au bout d’une dizaine d’années d’efforts conjugués, la menace a gagné du terrain et les attaques sont de plus en plus élaborées avec un bilan humain de plus en plus lourd. C’est le moment que choisit unilatéralement la France de réduire les effectifs de Barkhane, un peu plus d’un an après les avoir augmentés à l’issue du sommet de Pau. Pourquoi maintenant ? Comment la défaillance supposée des armées du Sahel qui a justifié à un moment donné le déclenchement de Serval puis le renforcement de Barkhane est aujourd’hui un des motifs invoqués par la France pour mettre fin à l’opération ?

Que deviendra Barkhane ? Une force d’occupation ? Une force tampon entre le Nord et le Sud?… La réduction annoncée de Barkhane au Sahel suscite de nombreux questionnements. Si elle ne procède pas d’une volonté de la France de redistribuer les cartes dans « la guerre des sables » tout en gardant la main, cette réduction illustre parfaitement la sagesse africaine qui dit que si vous dormez sur la natte d’autrui, c’est que vous êtes par terre.

Au Sahel comme partout sur le continent, les Africains sont de plus en plus convaincus, à l’image du président Kaboré, que « personne en dehors de nous-mêmes, ne viendra nous sauver dans la lutte contre le terrorisme ». Il va sans dire que les armées du Sahel, même si elles se donnaient les moyens de revenir très rapidement à la hauteur de la menace (elles n’ont pas le choix), resteront démunies contre des groupes armés terroristes dont certains sont secrétés, nourris, entretenus et approvisionnés par des mains invisibles.

Les enjeux de politiques intérieures (un sondage IFOP paru en janvier 2021 renseigne que 51% des Français désapprouvent l’opération militaire au Sahel) et la perspective des élections en France ont comme bousculé les priorités du partenaire stratégique dans la lutte contre le terrorisme. Avec 51 « morts pour la France » au Sahel, les Français sont de plus en plus regardants sur la situation.

En tout état de cause, ce désengagement progressif de la France est sans commune mesure avec la réalité de terrain plutôt préoccupante. A cela, il faut ajouter que les préoccupations qui ont motivé l’engagement de la France et certains Européens au Sahel sont prégnantes : la vague migratoire que l’affaissement des Etats sous les coups de boutoirs du terrorisme pourrait provoquer aux frontières sud de l’Europe. Vu sous cet angle, les prochaines élections en France pourraient se jouer loin de l’Hexagone à plusieurs milliers de kilomètres dans le Sahel.

Par Mahamadi TIEGNA
mahamaditiegna@yahoo.fr

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