Moi aussi, je cède mon salaire !

Ça y est, c’est décidé ! Comme un capitaine qui crache sur l’aubaine, moi aussi, je cède mon salaire aux déshérités jusqu’en 2025. C’est juste quelques billets de mille mais je les cède quand même. En vérité, ce n’est pas une pige de prestige, mais je suis prêt à tendre la tige à ceux qui n’ont pas eu la chance de monter. Tant pis pour moi si c’est dur et si je rase les murs ; peu importe si je n’ai rien à mettre sous les dents qui grincent ; je suis prêt à serrer les dents. Moi aussi, je veux entrer dans l’histoire, avec ou sans gloire. Moi aussi, je suis un patriote et pas des moindres.

Vous pouvez ne pas me croire, ce n’est pas mon problème ! Vous pouvez raconter des bobards sur les tares que je n’ai pas, ce ne sont pas mes oignons ! Je ne cèderai à aucune élucubration des aigris de la Nation. Tant pis pour ceux qui pensent que c’est de la pub politicienne. Dommage pour les jaloux qui voient en ma prouesse un placement à long terme. Haro à mes farouches opposants qui voient en cette annonce une chronique de trop. En 2023, reversez ma pige de misère aux enfants de l’enfer sur terre qui pullulent dans nos rues. En 2024, balancez-la à toutes ces femmes qui balaient le macadam pour une poignée de quartz salvatrice.

En 2025, faites-en don à toutes ces veuves en larmes qui balaient la poussière des moulins pour le pain quotidien des orphelins qui meurent de faim. Ne me demandez surtout pas pourquoi ce subit sursaut philanthropique. Je vous l’ai déjà dit : je suis un patriote et j’ai toujours aimé mon pays. On ne donne pas parce qu’on a. On ne prête pas main forte, parce qu’on est fort. On ne soutient pas parce qu’on est solide. Très souvent, on donne plus avec le cœur qu’avec les mains. Malheureusement, l’homme est un être égoïste. Depuis l’extinction de l’espèce intègre, le Burkinabè ne prêche que pour sa chapelle. Il ne pense qu’à son nombril, parfois, même au péril du semblable qui manque du peu. Très souvent, notre intégrité se limite à notre nationalité. Au-delà de la « CNIB », être Burkinabè dans les faits est un titre au rabais. Etre Burkinabè ne se mérite plus ; être Burkinabè s’achète via un simple T-shirt estampillé des couleurs nationales.

Etre Burkinabè, c’est enfiler une camelote vendue à l’arrachée, marquée du sceau d’un « burkindlim » peu sublime. L’intégrité vraie ne se bombe pas le torse pour agir. Elle ne claironne pas sa dignité sur tous les toits. Elle agit ! Dans ce pays, il y a des gens qui touchent des millions par mois, mais ils n’ont jamais tendu une pièce de 100F CFA au malvoyant qui tâtonne au feu. Il y a des gens qui thésaurisent chaque jour des cantines de fortune, sans être capables de tendre un billet de 1000 F CFA au voisin qui agonise. Devant leur porte, il y a le portrait-robot d’un véloce berger allemand assorti de la mention « Accès interdit aux mendiants et aux vendeurs ambulants ». Ces Burkinabè n’ont plus besoin de quelqu’un pour être heureux. Ces « hommes intègres » n’ont besoin de rien pour combler leur bonheur. Ils n’ont jamais ressenti les cris de solitude de l’orphelin. Ils ne savent même pas qu’on peut perdre son père et sa mère. Ils ont presque tout, au point de rivaliser de bonheur et de grandeur avec les dieux. Ils sont presque immortels, jusqu’au jour où ils manquent de jeunes pour creuser leur tombe. Le détenteur d’argent qui ne rend pas service aux indigents est un perdant. Chapeau à toutes âmes sensibles qui s’ouvrent aux autres pour mieux se sentir dans leur peau. Heureux ceux qui donnent sans compter aux pauvres ; ils seront riches de récompenses.

Peu importe si votre élan de générosité est jugé trop large pour entrer dans le cœur des méchants. Peu importe si votre humanisme est traité de factice. Tant pis si l’on attribue à vos chaudes larmes sincères le faciès du crocodile qui « deale » les yeux ouverts en eau trouble. Tant pis pour les ragots qui peignent tout en noir pour mieux voir clair. Même le bienfait est parfois sujet à caution, aussi vrai soit-il. De toute façon, les bénéficiaires de nos largesses se moquent de l’étendue de nos intentions. Ils ne cherchent même pas à entrer dans les détails, car le diable s’y trouve. Ils nous remercient en larmes, du fond du cœur, pour l’espoir que nous avons apporté. Ils nous sont reconnaissants pour notre geste compatissant. La solidarité n’a pas de frontière. Nul n’a le monopole de la générosité. Alors, rivalisons de bienfait ! Lançons-nous dans une course de vitesse pour être le premier à sauver l’âme en détresse. Battons-nous les uns pour les autres, malgré nos différences et nos divergences. Hamadou Hampaté Bâ ne disait-il pas que le tapis doit sa beauté à ses couleurs ? Moi aussi, je cède ma pige ! Qui dit mieux ?

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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