Procès Thomas Sankara : « Le coup d’Etat avait été bien préparé », selon le témoin Ousséni Compaoré

Le procès du dossier Thomas Sankara et 12 autres compagnons s’est poursuivi, le mercredi 24 novembre 2021, avec l’interrogatoire des témoins, l’adjudant-chef major, Victor Zongo et le commandant de la gendarmerie, Ousséni Compaoré.

Les témoins, l’adjudant-chef major Victor Zongo et le commandant de la gendarmerie Ousséni Compaoré, ont comparu, le mercredi 24 novembre 2021, au Tribunal militaire délocalisé à la salle des banquets de Ouaga 2000. Le commandant de la gendarmerie au moment des faits et ex-ministre de la Sécurité, Ousséni Compaoré, a livré sa version des faits au Tribunal militaire après l’audition de Victor Zongo. Le témoin Compaoré dans sa déposition a relaté que le 15 octobre 1987, il était à la maison.

Selon Me Farama de la partie civile, l’ex-ministre de la Sécurité est « l’un des témoins cardinaux de ce procès parce qu’il était commandant en chef de la gendarmerie ».

C’est sa femme, a-t-il affirmé, qui est venue l’informer des tirs en ville. Quand il est sorti avec le véhicule de sa femme, il a croisé un commando qui, selon ses dires, venait pour le « tuer », après que des tirs aient été entendus au Conseil de l’Entente (CE). « Il ne m’a pas reconnu parce que j’étais dans la voiture de ma femme », a-t-il soutenu. Pour le reste des évènements qui ont suivi, a-t-il fait savoir, c’est la déclaration du coup d’Etat, les injures proférées contre le président Thomas Sankara et la chasse aux sorcières qui avait été lancée. « Ce qui nous fait penser que cela a été planifié. Parce que ceux qui l’ont exécuté sont du même corps », a-t-il déclaré. A l’entendre, il n’y a pas eu de surprise au regard du déroulement des faits. Pour lui, le coup d’Etat avait été « bien préparé » et il n’y avait pas d’issue. « La boucle était bouclée et l’appareil sécuritaire verrouillé. Le piège s’était refermé sur le président Sankara et sur tous ceux que l’on pensait proches de lui », a-t-il souligné. A en croire le commandant de la gendarmerie, la rumeur selon laquelle Blaise Compaoré est le véritable auteur du coup d’Etat d’août 1983 et Sankara, le principal bénéficiaire avait fini par gangréner l’organe politique. A côté de cela, l’organisation des services de sécurité ne fonctionnait pas comme il se doit, a-t-il indiqué.

« Dans les faits, c’est Blaise Compaoré qui avait l’essentiel et la réalité du pouvoir sécuritaire. Parce qu’il était commandant du Centre national d’entraîne-ment commando (CNEC) et de la première région militaire », a-t-il expliqué. Il a précisé qu’aucune force n’avait cette puissance pour y faire face. La police n’avait pas les moyens et la gendarmerie ne pouvait faire que le renseignement, a-t-il déploré. C’est pourquoi, a-t-il confié, quelque temps avant les évènements, il est allé rencontrer Blaise Compaoré pour lui demander de régler les tensions qui existaient afin d’éviter que le sang ne coule. Blaise Compaoré a semblé, a-t-il confié, être sensible à sa démarche, mais les évènements dramatiques du 15 octobre 87 ont démontré le contraire.

Houphouët et Kamboulé

A la question du parquet militaire de savoir s’il était possible d’arrêter Sankara, il a répondu qu’il était difficile d’imaginer quelqu’un l’arrêter et le mettre en prison. Au regard de ce que représentait l’homme, a-t-il souligné, la réaction populaire était prévisible. « La seule issue pour prendre le pouvoir était son élimination physique. Et il le disait : le jour où Blaise Compaoré envisagerait de faire un coup d’état, ce serait imparable », a rappelé M. Compaoré.

L’ex-ministre de la Sécurité s’est par ailleurs dit choqué que des agents étrangers (Blancs) viennent fouiller des dossiers burkinabè au niveau du renseignement. Pour lui, Blaise Compaoré a bénéficié du soutien de plusieurs chefs d’Etat. « Nous avons des informations claires et sans équivoque de ce que le président Houphouët- Boigny a dit à Jean-Claude Kamboulé (membre de l’opposition burkinabè en exil en Côte d’Ivoire au moment des faits), qu’il a eu quelqu’un pour mettre fin au pouvoir de Sankara », a-t-il relevé. Pour Me Prosper Farama, avocat de la partie civile, l’interrogatoire de Ousséni Compaoré réconforte sa position en ce sens qu’il est l’un des témoins cardinaux de ce procès parce qu’il était commandant en chef de la gendarmerie. « Il recevait toutes les notes d’information collectées par les services de renseigne-ment de la gendarmerie. Il a diligenté certaines infiltra-tions pour recueillir des informations », a-t-il fait savoir. Un aspect très important, selon lui, dans son témoignage est que le complot n’a jamais été une action spontanée d’un groupuscule de militaires qui seraient incontrôlés. A l’en croire, le commandant avait déjà l’information à l’époque que la Côte d’Ivoire, précisément Houphouët Boigny, avait ourdi ce complot d’éjecter Sankara du pouvoir au profit de Blaise Compaoré.

« Son témoignage aussi indique très clairement l’implication de la France parce qu’ils avaient des éléments d’information qui montraient qu’un pays comme la France participait d’une façon ou d’une autre à mettre fin à la Révolution burkinabè », a-t-il relevé. De l’analyse du témoin, a-t-il dit, le pouvoir révolutionnaire de l’époque gênait les deux pays. Avant le commandant Ousséni Compaoré, c’est l’adjudant-chef major de la gendarmerie, Victor Zongo qui était à la barre pour poursuivre son audition. La partie civile est revenue sur quelques éléments de précision entre autres, en lien avec le rôle que le témoin a joué en matière de renseignement au moment des faits, les relations entre le service de renseignement et la table d’écoute. Victor Zongo a précisé qu’il n’y avait pas d’échanges d’informations entre les deux services. Mais, a-t-il fait savoir, il était en de bons termes avec Georges Kaboré du service de renseignement. Car il était mon confident, a-t-il ajouté. « Ce qui permettait d’avoir des informations concernant la table d’écoute, sinon je n’ai j’aimais mis pied dans le service de la table d’écoute », a-t-il affirmé. Le procès reprend avec l’interrogatoire d’autres témoins ce jeudi 25 novembre 2021.

Aly SAWADOGO

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