Une question sensible

A l’heure où le Burkina Faso vit une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent, une question fait débat : faut-il armer les populations pour faire face aux terroristes ? Très sensible, cette question mérite d’être posée, tant les groupes armés ont fait couler beaucoup de sang et occasionné de nombreux dégâts humains et matériels sous nos cieux. Depuis 2015, année où les attaques terroristes ont débuté, plus de 2 000 personnes (civils et militaires) ont perdu la vie et de nombreux édifices publics et privés ont été détruits. Du fait des exactions des groupes armés, actifs dans les quatre vents du pays, on compte plus d’un million et demi de déplacés internes, selon des chiffres officiels actualisés. La situation est d’autant plus critique que plus de 40% du territoire national échappe au contrôle des autorités. C’est dire que la Nation est menacée dans ses fondements. Malgré la détermination des Forces de défense et de sécurité (FDS) et l’apport inestimable des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), les groupes armés terroristes ont gagné du terrain au Burkina Faso. Les FDS et les VDP mouillent le maillot pour la Nation, mais leurs conditions de travail ne sont pas des plus enviables.

Les FDS sont confrontées à des problèmes d’équipements et de maillage du territoire national. Les VDP manquent également d’armements et ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs attentes. Ces soucis limitent objectivement les actions de ces combattants qui ne baissent pas les bras pour autant. Ils font preuve d’un engagement sans faille pour la défense de la patrie. Les FDS et les VDP font feu de tout bois et parviennent à des résultats encourageants, voire à des exploits. Malgré ces performances à saluer, des leaders d’opinion et des citoyens estiment qu’il faut aller au-delà du tandem FDS-VDP, en armant les populations. Dans leur entendement, il faut donner les moyens aux populations de résister face aux HANI qui, souvent en petit nombre, font fuir tout un village par la force de leurs armes. Entre autres arguments, ils soulignent aussi le fait que les FDS ne peuvent pas toujours réagir à temps pour défendre des populations attaquées. Si elle peut être défendue, la mesure consistant à armer les populations n’est pas à prendre à la légère, peu importe l’autorité. Elle nécessite une analyse sans passion ni émotion, tant elle peut engendrer des conséquences dramatiques. Certains Burkinabè peuvent être tentés d’utiliser les armes fournies à des fins malsaines, ce qui pourrait compliquer davantage la situation du pays.

Les risques de dérapages et de représailles ne sont pas à exclure, avec des populations à majorité sans formation militaire. Convenons alors avec l’ancien ministre de la Sécurité, le colonel Auguste-Denise Barry, que l’on ne saurait armer les populations sans un encadrement strict. « Il faut faire attention à une distribution des armes sans considération de certaines dimensions qui peuvent se retourner contre nous. Cela peut être contreproductif. Nous avons déjà l’expérience sous la Révolution, avec le développement du grand banditisme dans les années 90 », a confié ce très respecté haut gradé, lors d’un panel en août 2022. Des propos à prendre au sérieux dans un Burkina où la violence, tout comme la vie humaine, est devenue banale. Armer les populations n’est pas forcément une mauvaise idée, à condition de prendre les précautions qui s’imposent. C’est une option qui peut avoir un effet positif dans la lutte contre le terrorisme, pour peu qu’il y ait une bonne organisation. Le président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré, qui a appelé les populations à la mobilisation générale pour libérer le pays, ira-t-il dans ce sens ? Wait and see…

Kader Patrick KARANTAO

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