Comme César franchissant le Rubicon pour aller à la conquête de la Gaule, Alassane Ouattara peut désormais dire que le sort en est jeté, lui qui, répondant aux sollicitations de la base et des élites de son parti, le RHDP, a choisi de défendre les couleurs dudit parti à la prochaine élection présidentielle d’octobre. Le sort, si tant est que cette candidature, que l’on voyait venir au regard du contexte sociopolitique ivoirien, était et sera chahutée pour ne pas dire contestée vivement par une partie de la classe politique qui n’y voit rien moins qu’un parjure, la constitution ivoirienne limitant à deux le nombre de mandats présidentiels pour chaque citoyen.
Ouattara, clament-ils, devrait être forclos et mis hors compétition afin de ne pas « bafouer » les règles et principes démocratiques du pays. Chimères et rêveries, répond-on, dans le camp du « brave tchè » (surnom affectif du président ivoirien) dans la mesure où la nouvelle constitution, adoptée en 2016, a remis les compteurs à zéro offrant du même coup la légalité et la légitimité au président Ouattara dans sa nouvelle quête du graal.
Au-delà de ce débat juridico-politique que cette candidature va susciter, force est de reconnaître qu’Alassane Ouattara n’avait vraiment plus le choix, à l’analyse du profil des candidats déjà connus, d’une part, et de la « réserve » politique du RHDP, de l’autre. Sur le premier point et en attendant de voir ce qu’il adviendra des velléités présidentielles de Laurent Gbagbo, il faut dire que Henri Konan Bédié, qui a déjà été investi par son parti, le PDCI-RDA, n’est pas un poussin d’hivernage que le premier venu peut empêcher de s’installer à nouveau dans le fauteuil le plus prestigieux du Plateau, quartier administratif et politique d’Abidjan.
« Enfant chouchou » et héritier putatif du vieux Houphouët, Konan Bédié que l’on surnomme le prince Akan (l’une des communautés la plus importante du pays) a donc pour lui l’expérience et les réseaux nécessaires pour prendre sa revanche sur un destin contrarié par de sous-officiers et hommes du rang, un soir de décembre 1999. Avec une assise populaire large et certainement le ralliement des « gor » (Gbagbo ou rien) au cas où leur champion serait out pour une raison ou une autre, Bédié a presqu’un boulevard devant lui si donc Ouattara ne se présentait pas.
Car, et, c’est la deuxième raison principale du « revirement » de Ouattara, dans son propre camp, aucun profil similaire à celui de Bédié ne se dégage pour l’heure. Héritier présomptif, Hamed Bakayoko est au cœur d’une affaire judiciaire aux ramifications internationales dont il n’est pas près de sortir. Quant à Patrick Achi, autre dauphin putatif, des considérations socio-culturelles pourront être handicapantes devant un « fils du terroir » comme Konan Bédié. Pour préserver les acquis de son parti et offrir à son successeur une Côte d’Ivoire apaisée et prospère comme il l’a toujours dit, Ouattara ne pouvait donc qu’y aller quitte à ce que sa candidature entraîne une levée de boucliers aussi bien au pays qu’à l’étranger.
La politique ne s’accommode pas ou très peu de la morale, et, nous allons assister donc à la dernière confrontation entre deux hommes qui se connaissent bien, eux qui ont tous grandi à l’ombre du père de la nation ivoirienne et qui ont été alliés ou adversaires politiques farouches, selon les intérêts du moment. Ouattara face à Bédié avec Gbagbo dans le rôle de guest star, la présidentielle d’octobre prochain peut être qualifiée de duel des titans avec, espérons-le, le fair-play qui doit caractériser tout scrutin digne de ce nom. Alea jacta est donc avec l’espoir que la locomotive de l’Afrique occidentale française en sortira par le haut au regard des défis qui assaillent cette partie du continent.
Boubakar SY