Mahamadi Ouédraogo, cinéaste burkinabè vivant en Côte-d’ivoire: « Nous n’allons pas accepter que des politicards viennent nous diviser »

Mahamadi Ouédraogo est un acteur de cinéma. Cinéaste, humoriste et formateur d’acteurs de cinéma, il joue dans plusieurs films comme « les clubs du trésor », « au nom de Dieu »…Il évoque, à travers cet entretien, ses débuts, ses déboires et ses attentes vis-à-vis de l’avenir du cinéma africain.

 Carrefour africain : Tantôt vous êtes à Ouaga,tantôt à Abidjan. Finalement, vous résidez où?

Mahamadi Ouédraogo : Effectivement, durant ces 5 dernières années, moi-même je me demande là où je réside. Tantôt je suis à Abidjan, tantôt à Ouagadougou, mais je suis installé à Abidjan. Une partie de ma famille est basée ici à Abidjan, une autre au Burkina.

On vous voit jouer dans beaucoup de films ivoiro-burkinabè. En quelle année avez-vous commencé à vous intéresser au cinéma ?

C’est depuis 1998 où on faisait du théâtre à l’école et c’est dans la même année que je me suis intégré au groupe. En 2000 j’ai commencé à chercher une école où je pourrais me former. C’est là que je suis allé à AfricArt avec pour directeur artistique le regretté Jean Claude Zago, paix à son âme. Avec lui, j’ai pu bénéficier de sa formation durant 7 à 8 années, pour ne pas dire 9 ans de formation en cinéma, humour et théâtre.

Au bout du compte, vous êtes sorti avec quel diplôme?

Je suis sorti avec un diplôme de formateur d’acteurs et d’artistes comédiens.

Après avoir décroché votre diplôme, vous n’avez pas chômé puisque vous avez été appelé pour le tournage de plusieurs films en Côte d’Ivoire et au Burkina

Oui. J’ai joué dans plusieurs films comme les clubs du trésor de Jean Claude Zago, Au nom de Dieu, Illusion perdue de Yao Bernard qui est le petit frère de Akissi Delta, Jalousie immortelle sous-titré leçon de la vie du même réalisateur, Du jour au lendemain de Adama Roamba dans première et deuxième saison. Il y’en a d’autres mais arrêtons à là.

Dans le récent film de Adama Roamba Du jour au lendemain, vous incarnez quel personnage?

Un jeune rebelle dans sa famille. Je suis artiste-peintre et je n’aime pas que mes parents m’imposent un choix, donc je suis de nature rebelle. Mais dans le film, je m’appelle Robert. C’est un rôle qui était un peu difficile à camper, l’histoire d’un enfant rebelle.

Généralement, le film véhicule un message. En acceptant de jouer ce rôle, que voulez-vous faire passer comme message à l’endroit des cinéphiles?

J’ai accepté de jouer ce rôle parce que de nos jours, nos parents qui vivent dans la bourgeoisie veulent imposer un métier à leurs enfants alors que chacun est né pour suivre un chemin. Le message que j’ai voulu passer c’est de ne pas mettre la pression sur un enfant s’il veut faire autre chose.

On a l’impression que ça ressemble à votre propre histoire, que vous avez été victime de cette pression familiale à un moment donné.

Oui. Mon père et ma maman me disaient de faire ceci ou cela, ils voulaient m’imposer un travail pour lequel je ne me sentirais pas à l’aise. Par exemple, le métier d’acteur que je fais aujourd’hui n’était pas du goût de mes parents et mes proches. Mais j’ai persisté et aujourd’hui voilà ce que ça donne. Même si on n’est pas riche, on est à l’aise et on arrive à subvenir à nos besoins et à soutenir d’autres personnes.

Vous dites bien que vous êtes à l’aise. Donc le métier d’acteur nourrit son homme, que l‘on soit au Burkina ou du côté de la Côte d’Ivoire?

Je m’attendais à cette question. Il faut qu’on soit franc. C’est difficile. Le milieu n’est pas facile. Mais à quelque part, je pense que c’est une question d’organisation personnelle. Aujourd’hui, vous allez voir des artistes vivre au-dessus de leurs moyens, ce n’est pas chose facile. Souvent, on va accuser le diable, les sorciers et autres, mais en réalité, il n’en est rien. Sinon le métier nourrit son homme, ça dépend seulement de comment vous organisez votre vie. D’une part, il ne faut pas avoir cette folie de grandeur parce que vous apparaissez à la télévision.

Bientôt se tiendra à Ouagadougou, le cinquantenaire du FESPACO. Qu’est-ce que vous avez concocté pour ce festival?

Personnellement, je n’ai pas de film à présenter au FESPACO mais je joue dans Ma grande famille de Akissi Delta en tant qu’acteur principal. Donc je pense qu’au FESPACO, nous allons avoir trois épisodes qui vont compétir en séries. Je parie que nous allons remporter au moins ce prix-là. On est en train de travailler dur et au moment opportun, la surprise sera grande. Je serai bel et bien au FESPACO que je n’ai jamais manqué d’ailleurs. Par la grâce de Dieu, l’année prochaine, je pourrai présenter un court métrage.

Justement, parlant de projets personnels en matière de production cinématographique, votre carquois est-il bien rempli?

Au niveau de la Côte d’Ivoire, j’ai une école de formation d’acteurs et je suis scénariste. J’ai 4 films sous la main et je suis en train d’écrire le dernier parce que c’est une histoire réelle. Si tout se passe bien, je ferai de mon mieux pour tourner un court métrage en vue de le présenter au FESPACO 2021. Le thème parle d’une histoire connue de tous, l’enlèvement et les assassinats d’enfants. Mais le véritable moteur de ce scénario, c’est de parler des francs-maçons et les illuminaties. Je veux un peu oser. Car pour une première sortie, il faut oser. Je suis là-dessus et je sais qu’il y a beaucoup de choses qui seront dévoilées.

Vous dites bien que beaucoup de choses seront dévoilées. De quelles informations disposez-vous sur ces sectes qui vous amènent à parler ainsi ?

Je travaille beaucoup dessus. Je prends des informations de gauche à droite et j’essaie de fouiller un peu partout. Parce que vous le savez bien, le franc-maçon c’est le haut niveau et il y a bien de chefs d’Etat ici en Afrique qui pratiquent cela. L’illuminatie, ce sont les illuminés et on les rencontre le plus souvent dans le domaine artistique. Mais toute l’idée est venue du décès de mon petit Bouba qui habitait juste à côté de chez moi à Williams-ville. Je vous laisserai découvrir le film quand j’aurai fini. Ce film est dédié à Bouba et à tous les enfants qui ont été arrachés de manière violente à cette vie.

En termes de production cinématographique, les difficultés sont nombreuses. Lesquelles vous paraissent insurmontables?

Les difficultés sont inhérentes au financement de la production. Parce qu’aujourd’hui, pour avoir un financement, c’est tout à fait un calvaire. Il y a peu de personnes qui acceptent nous aider surtout nous qui sommes en Côte d’Ivoire ici. Il n’y a pas de représentant du ministère de la Culture en tant que tel ici. Moi je suis Burkinabè, mes petits frères ont pris la nationalité ivoirienne, chose que j’ai toujours refusée. Ce que je désire, au moins une reconnaissance de mon ministère de tutelle. Que les autorités de mon pays reconnaissent qu’il y a un jeune burkinabè qui essaie de vendre le Burkina là où il se trouve. On a besoin de ces encouragements et des appuis financiers pour pouvoir réaliser nos projets.

Avant d’accabler les autorités de votre pays par rapport au manque de soutien aux initiatives des jeunes de la diaspora, est-ce que vous leur avez déjà soumis des projets pour demander un financement?

Bien sûr. Il y a une année, j’ai fait une demande de fonds auprès du ministère de la Culture, mais elle est restée sans suite. Je crois qu’il doit y avoir un détachement de ce ministère en Côte d’Ivoire. Je veux dire envoyer cette personne qui connaît bien le milieu, à l’ambassade du Burkina afin qu’elle puisse traiter les dossiers. Nous ne devons pas vendre notre culture seulement en restant chez nous. Il faut aussi sortir du pays pour la vendre. En 2007, j’avais sorti un album et je suis parti à l’ambassade solliciter une aide. Tout ce qu’on m’a dit c’est qu’on peut me soutenir moralement, sinon on n’a pas un budget pour ça.

A vous écouter, nos autorités ne travaillent pas dans le sens de valoriser les talents au niveau des jeunes de la diaspora?

Oui. Mais le véritable problème, c’est parce qu’on n’est pas encore aux élections. Tous les partis politiques, y compris celui au pouvoir, seront là. Ils vont venir solliciter nos voix. Mais après le vote, ils s’en foutent. C’est une mauvaise politique.

Effectivement, vous allez voter à partir de 2020. Comment vous avez accueilli cette nouvelle?

C’est vrai que je ne suis pas politicien mais quand il s’agit du Burkina, je lève la casquette de l’artiste que je suis et parler franchement. C’est la bienvenue car nous allons voter. Le problème, c’est l’esprit qui est derrière cette décision des autorités et de tous les acteurs politiques burkinabè. C’est vrai qu’on avait des problèmes entre nous, mais on arrivait à les gérer. Et quand ces politiciens arrivent, ils vont encore nous diviser. C’est ma peur. Parce que nous sommes à l’étranger et si on est divisé, on devient des personnes vulnérables. Et là c’est très dangereux. Je pense que le politique doit savoir s’introduire dans cette diaspora pour en même temps chercher le pouvoir et consolider l’union entre les Burkinabè de la diaspora. J’ai peur qu’en 2020, des familles et des amis ne se parlent pas à cause de la politique. Pour cela, ils doivent bien étudier le terrain avant de venir parce que pour leurs intérêts égoïstes, certains seront prêts à tout pour gagner. Au-delà de tout cela, je demeure convaincu que la diaspora burkinabè va rester soudée. Nous n’allons pas laisser que des politicards viennent nous diviser davantage ici. Ma lutte, c’est de consolider cette solidarité et ces liens qui unissent les Burkinabè de Côte d’Ivoire.

Le Burkina compte une centaine de partis politiques. Vous militez pour quel parti politique?

Je ne suis militant d’aucun parti politique. Mais ceux qui sont prêts peuvent venir, pourvu qu’ils soient sincères. Je ne veux pas m’affilier à un parti politique, mais je peux soutenir le projet de société d’un parti. Quand je vois que c’est bon, je dirai que c’est bon. Mais vous ne me verrez pas en train de défendre un parti. Je veux soutenir un candidat qui est jeune comme moi. Je n’ai rien à foutre avec cette vieille classe politique. (…) Cette politique au Burkina, c’est de la merde.

Déjà il y a une guéguerre entre l’opposition et le pouvoir à propos du document de vote. La loi exige ne reconnait que la carte d’identité burkinabè et le passeport comme documents de vote. Que devient ceux qui détiennent la carte consulaire comme c’est le cas en Côte d’Ivoire ?

Je pense que ces personnes ont oublié comment elles sont venues au pouvoir. Elles y sont arrivées par une insurrection populaire. C’est grâce à ce peuple vaillant, qui a su anticiper en déjouant le coup d’Etat avant qu’on ne parte d’élections. Normalement, ce pouvoir devrait être dédié à ce peuple. La carte consulaire, d’abord, coûte cher. On la confectionne pour quelqu’un et après, on lui dit qu’elle n’est pas valable. Si on doit confectionner des CNIB pendant qu’on détient la carte consulaire, c’est donner pouvoir à nos détracteurs en l’occurrence la police, de nous réprimer. Je ne suis pas contre cette loi, mais vu notre nombre, combien de temps ils vont mettre pour pouvoir délivrer la carte d’identité aux Burkinabè de Côte d’Ivoire? Quels sont les émissaires qui doivent être là pour confectionner la CNIB? Sur la CNIB c’est bien écrit carte nationale d’identité burkinabè alors qu’elle a été confectionnée en Côte d’Ivoire. Je ne réside pas au Burkina bien que je suis Burkinabè. Les références qu’on va porter sur cette carte, ça sera Burkina ou Côte d’Ivoire?  Et ceux qui sont en profondeur. On veut nous faire payer 2500F. Si c’est ça, remplacez cette carte par la carte consulaire gratuitement. Nous sommes la seule communauté qui paie la carte à 7000F. Mais comme je sais que c’est un business, il n’y a pas de problème. Et j’oubliais. Cette même CNIB, toutes les données sont gérées par SNEIDER, la société qui a le contrat de confection de la carte. Toutes les informations seront traitées au Burkina avant de revenir sur SNEIDER. En fait, je ne comprends rien. Le problème même c’est quoi?

Que tout le monde utilise les mêmes documents de vote.

Malgré ça, nous sommes nombreux. Cette politique me fatigue. Je veux seulement qu’on laisse la diaspora vivre dans la paix et dans l’harmonie comme on l’a toujours été. Je veux profiter lancer un message au président du Faso. Je pense que ses conseillers ne lui disent pas la vérité. Qu’il écoute son peuple et que ce peuple soit son service de renseignement. Le bon informateur, c’est le citoyen lambda qui n’a rien  à voir avec la politique. Un conseiller qui est guidé par ses intérêts personnels ne lui dira jamais la vérité. Parce que les gens disent à chaque moment, président on maîtrise la situation. Alors qu’en réalité, ils ne maîtrisent rien (…)

Peut-être que ceci peut vous inspirer un film ?

Bien sûr. Ça m’inspire beaucoup. Par exemple, le film que je veux réaliser est une illustration parfaite de la réalité. Vous comprenez que pour tourner un film ce n’est pas une mince affaire. Si vous voulez tourner un long métrage comme ça, et vous devez créer le décor et autre, il faut au minimum 700 millions FCFA. Si c’est un film qui doit compétir dans un festival, là, il faut entre 1,5 et 2 milliards FCFA.

2020 est une année électorale au Burkina comme en Côte d’Ivoire. Au regard des remous que cela a suscité en 2010 dans votre pays d’accueil, quelle lecture en faites-vous?

Je le dis et je le répète, la politique ne doit pas nous diviser. Je n’ai pas peur mais je suis inquiet. Inquiet de voir mes frères ivoiriens s’entredéchirer juste pour le pouvoir. Parce que le pouvoir, c’est le peuple et si le peuple est persécuté, vous voyez ce que ça fait. Mon souhait est que tout se passe bien. Je demande au président ivoirien de faire en sorte que les élections se passent dans le calme, dans la douceur et surtout dans la transparence. Et j’invite tous les acteurs politiques à ne pas avoir des propos qui pourront choquer ou diviser encore les Ivoiriens.

Interview réalisée à Abidjan par

Ouamtinga Michel ILBOUDO