Périmètre bocager de Filly, dans le Yatenga: Autrefois terre dégradée, aujourd’hui, objet de convoitise

La région du Nord est en proie aux effets néfastes du changement climatique. Appauvrissement des sols, rareté des pluies et désertification sont autant de fléaux qui menacent la sécurité alimentaire. Pour y faire face, les populations  ont adopté plusieurs techniques de résilience. Outre le zaï, les demi-lunes ou les cordons pierreux qui sont, entre autres, les méthodes traditionnelles de récupération des terres dégradées, il faut désormais compter avec le bocage qui est en expérimentation. Une technique d’importance capitale mais qui reste encore peu connue des paysans. 

En ce mois de septembre 2019, la saison des pluies bat toujours son plein à Filly, localité située à une quinzaine de kilomètres de Ouahigouya, dans la région du Nord. Pas de répit pour les paysans qui luttent inlassablement contre les dernières mauvaises herbes des champs. Malgré les averses, la chaleur se fait accablante. Daouda Ouédraogo et les membres de sa famille viennent de terminer leur part de travail journalier dans leur champ. Les visages dégoulinant de sueur, ils s’empressent de s’abriter sous un arbre. Le sorgho, au stade de montaison-épiaison, affiche une bonne physionomie. La technique culturale utilisée est le zaï. Mais il n’est pas pratiqué sur n’importe quel terrain. Daouda et 35 autres ménages partagent un périmètre bocager (wégoubri en langue mooré) de 86 hectares (ha). A l’Est du village, se dresse un vaste domaine verdoyant. Devant l’ouvrage, le visiteur est, de prime abord, émerveillé par le rempart de végétaux qui s’étend à perte de vue pour protéger l’espace borné. Les 86 ha sont entourés par une haie mixte, composée de grillage de protection, d’arbres et d’arbustes locaux. Ces espèces ligneuses sont constituées, entre autres, de Cassia sieberiana (Koumbrissaka en mooré), de Combretum micrantum (Randga en mooré), de Piliostigma reticulatum (Bagandé en mooré), de Guierra senegalensis (Wilinwiga en mooré) et d’Acacia macrostachia (Zamenega en mooré). Dès que l’on franchit le portail de la « muraille verte », on est accueilli par une végétation luxuriante. Des hautes herbes, des arbres et arbustes, des champs de cultures, des oiseaux, des animaux domestiques et sauvages se disputent l’espace, subdivisé en 108 parcelles de 0,75 ha chacune. Lesdites parcelles sont délimitées par des haies vives, des diguettes et séparées au milieu par des ligneux, encore appelés arbres d’axe. Les zones basses des parcelles sont équipées de petites mares qui captent les excédents d’eau de ruissellement pour les infiltrer dans le sol. Une sorte de forêt galerie se forme tout autour de ces points d’eau qui constituent également des abreuvoirs pour les animaux. Les parcelles sont destinées à l’agriculture mais tous les 36 ménages n’ont pas encore intégré le site. Celles non encore mises en valeur s’apparentent de nos jours à une forêt. Difficile de s’y frayer un passage, tellement les végétaux ont eu le temps de pousser pêle-mêle et de grandir. Autrefois nu, cet espace fait aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises aussi bien de la part des hommes que des animaux. Il force tout simplement l’admiration.

Le bocage sahélien est un concept nouveau d’aménagement rural promu par l’ONG Terre Verte. A Filly, il est mis en œuvre par l’association Wémanegré, créée en avril 2007 et regroupant cinq villages (Filly et ses bourgades environnantes). Le bocage est une technique qui vise, selon les explications du directeur de la ferme-pilote de Filly, Pamoussa Sawadogo, à récupérer les terres dégradées par des aménagements à grande échelle, pouvant aller jusqu’à 100 ha et plus.

 Une technique sécurisante

Des aménagements qui, pour lui, consistent à faire un démembrement des terres en lots et en parcelles, lesquelles sont entourées de haies vives et de diguettes. Les haies vives sont mises en place dans des tranchées, creusées par la force des bras. Daouda Ouédraogo fait partie des premiers occupants du bocage. Cela fait dix années consécutives qu’il cultive ses trois parcelles qui lui sont dévolues. Depuis lors, le jeune paysan de 37 ans dit ne pas avoir de regret. « J’ai de bons rendements. Chaque année, je récolte entre 5 et 6 charretées de sorgho et entre 3 et 4 sacs de 100 kilogrammes (kg) de niébé », se réjouit-il. C’est à force de persévérance que le trentenaire a atteint ces résultats, les débuts ayant été laborieux, selon lui. « Quand je commençais, le terrain était tellement nu que je me demandais si quelque chose allait y pousser », se souvient-il.  De nos jours, ce terrain jadis « stérile » que ses parents avaient abandonné depuis longtemps est redevenu fertile grâce au bocage. Cette année, outre le sorgho, Daouda produit du niébé, du sésame et de l’oseille qui sont tous prometteurs. Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit des responsables de la ferme-pilote et de leur nouvelle technique de récupération des sols nus qu’il qualifie de salvatrice. « Mes parents cultivaient ici jusqu’à ce que la terre se dégrade. Mais grâce au bocage, elle a été restaurée », indique Daouda. Outre les céréales, il possède aussi des arbres plantés dont les feuilles et fruits de certains sont comestibles. Plus de 20 pieds de baobab peuplent son domaine. « Les feuilles de baobab que j’ai déjà récoltées peuvent remplir un sac de 100 kg. Elles servent à la préparation de la sauce. Si c’était hors du bocage, je n’allais jamais pouvoir préserver mes plantes contre les attaques des animaux », affirme-t-il. Hamidou Savadogo, 57 ans, est aussi un occupant du périmètre bocager. Contrairement à Daouda, ce quinquagénaire a commencé la mise en valeur de son lot, il y a de cela sept ans. Lui non plus n’a pas de regret. A l’écouter, le travail dans le bocage est très bénéfique car les rendements sont nettement meilleurs et les animaux domestiques arrivent à avoir facilement de l’herbe pour brouter. Hamidou produit du sorgho, du maïs et du niébé. Malgré la dizaine de personnes qui l’aide, le démarrage tardif des pluies dans la zone l’a un peu pénalisé. Le sorgho et le maïs sont toujours au stade de montaison. Après trois semis, son champ de mil a été complété par des repiquages. Toutefois, l’espoir est permis, à en croire le vieux Hamidou. Lui aussi applique à la lettre les techniques enseignées par les responsables de la ferme-pilote : utilisation du zaï, entretien des haies vives, plantation des arbres d’axe, rotation des cultures… Des pieds de karité, de néré, de tamarinier, de kapokier à fleurs rouges, de prunier, entre autres, sont visibles dans son exploitation. « Nous avons des champs ailleurs, mais la différence avec ceux qui sont dans le bocage est nette », atteste M. Savadogo.

 Un champ-école pour mieux enseigner

En vue de montrer l’exemple aux paysans, les responsables de la ferme-pilote disposent d’un champ-école dans le bocage. Des haies vives aux arbres d’axe, en passant par la rotation des cultures et leur entretien, tout est presque parfait. Du petit mil et du sorgho sont cultivés sur deux parcelles tandis qu’une autre est consacrée aux légumineuses comme le niébé, l’oseille, le sésame et l’arachide. La quatrième parcelle est laissée en jachère et sert aussi au pâturage rationnel des animaux, à l’aide d’un fil électrique. Cette année, les responsables de la ferme-pilote ne sont pas totalement satisfaits de leur champ-école, aux dires de notre guide, Samuel Sawadogo. Les caprices pluviométriques en début de saison sont encore pointés du doigt. « Pour le sorgho, nous l’avons semé quatre fois et on a complété par un repiquage », déplore-t-il. N’empêche, les spéculations se présentent relativement bien. Le guide estime entre 16 et 20 sacs de 100 kg de sorgho et 3 sacs de 100 kg de niébé récoltés annuellement dans le champ-école.

Dans le bocage, rien n’est fait au hasard. Au fur et à mesure que les arbres d’axe grandissent, ceux éparpillés dans les parcelles sont progressivement éliminés pour faciliter plus tard les travaux mécanisés. Les bords des petites mares sont matérialisés par des haies de pruniers (Nobga en mooré), en guise de garde-fou. « C’est pour éviter que les tracteurs ne tombent dans les trous lors des travaux de labour », explique Samuel. Quant aux haies vives, ajoute-t-il, elles sont taillées tous les trois ans pour les maintenir à niveau. Cet entretien est offert, pour l’instant, gratuitement à tous les occupants du bocage.

Le directeur de la ferme, Pamoussa Sawadogo, dit être satisfait des résultats déjà atteints. Car, à l’entendre, lorsqu’on mettait en place le bocage, l’on pouvait apercevoir un lièvre courir à des centaines de mètres. Mais aujourd’hui, le milieu a repris vie. Pour ce biochimiste de formation, l’objectif du périmètre bocager est de redonner vie à la terre et permettre une agriculture durable, porteuse de richesses et d’avenir. Le Directeur régional (DR) de l’agriculture et des aménagements hydro-agricoles du Nord, Adama Boro, loue également cette nouvelle technique qu’il trouve intéressante en termes de résultats. Selon lui, la région du Nord est devenue un laboratoire de mise en œuvre des techniques de conservation des eaux et des sols et de défense et restauration des sols. Les cordons pierreux, le zaï, les demi-lunes, la régénération naturelle assistée et le sous solage qui consiste à briser la croûte du sol avec des engins motorisés assez lourds, sont les techniques les plus connues et couramment pratiquées dans la zone. « Le bocage entre dans la lignée de la régénération naturelle assistée mais il n’est pas beaucoup connu par les populations. Il nous appartient de voir dans quelles mesures on pourra le vulgariser pour qu’il vienne renforcer le paquet de techniques et de technologies actuellement mises en œuvre dans la région », indique M. Boro. Est-ce la meilleure technique de restauration des sols arides ? Le DR préfère parler de complémentarité entre les techniques dont chacune, avec sa spécificité, apporte un plus dans le développement des cultures. C’est également l’avis du directeur de la ferme qui estime qu’il n’y a pas de technique meilleure. « Seulement, le bocage offre un cadre durable. Le zaï, les cordons pierreux et les demi-lunes y sont aussi pratiqués. C’est un paquet de techniques », précise-t-il.

 Le bocage, un domaine transversal

Au regard de l’importance et de la spécificité du périmètre bocager, M. Boro pense qu’il faut le démultiplier au profit du plus grand nombre de producteurs. A l’entendre, le domaine d’intervention du bocage est transversal parce qu’il prend en compte des aspects liés à l’agriculture, à l’environnement et aux ressources animales. C’est pourquoi il constitue, à son avis, un centre d’intérêt pour les différents secteurs du développement rural. « S’il y a la possibilité de créer un cadre de réflexion ou de partenariat, ce sera plus intéressant », mentionne M. Boro.

A Filly, informe le directeur de la ferme-pilote, un premier périmètre bocager de 23 ha a été aménagé en 2008 tandis que celui de 86 ha l’a été en 2009.  En 2014, c’est un autre de 66 ha qui voit le jour à Gourbaré dans la commune rurale de Oula. « A ce jour, nous avons 175 ha de bocage aménagé, sans compter les 15 ha de la ferme-pilote qui est le siège de l’association », détaille-t-il.

La réalisation d’un bocage n’est pas à la portée de tous. Il coûte entre 300 000 et 400 000 F CFA environ par hectare, selon les estimations de Pamoussa Sawadogo. Alors qu’à Filly, chaque ménage doit s’acquitter de seulement 20 000 F CFA pour bénéficier d’un aménagement de plus de 2 ha. Un cadeau, selon le directeur de la ferme pour qui, l’intérêt du bocage est qu’il profite à plusieurs générations, une fois installé.

Un autre périmètre bocager de 30 ha, avance-t-il, est également en projet pour être aménagé à Filly. Le souhait de la ferme est que tous les habitants du village puissent s’approprier la technique et cultiver désormais dans des bocages. Un rêve qui risque de prendre encore du temps à se réaliser au regard de l’incompréhension et de la méfiance que certains paysans manifestent vis-à-vis du projet. « Au départ, certaines populations pensaient que nous sommes à Filly pour faire de l’accaparement des terres. Mais 12 ans après, elles ont  commencé à comprendre que ce n’est pas le cas. Même si la méfiance est en train de se dissiper au fil du temps et des sensibilisations, elle est toujours présente et cela constitue un handicap pour nous », souligne le directeur de la ferme-pilote. D’ailleurs, rappelle-t-il, si Terre Verte a apporté le bocage à Filly, c’est parce qu’en début de l’année 2000, une délégation du village a visité la ferme-mère de Guiè, dans le Plateau central, et a été émerveillée par la technique. C’est pourquoi, elle en a fait la demande. Par conséquent, tranche Pamoussa Sawadogo, tous les demandeurs sont obligés de se constituer en association inter-villages avant d’en être bénéficiaires.

Aux autorités compétentes, il lance un appel afin que le bocage soit intégré comme une politique d’aménagement des terres au Burkina Faso et que celles qui sont aménagées soient consignées au cadastre en vue de leur protection.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr

 


Des prix pour stimuler les occupants du bocage

En vue d’inciter les paysans partageant le périmètre bocager à se conformer aux techniques qui leur sont enseignées, les responsables de la ferme-pilote ont institué des prix d’excellence à cet effet. Avec des critères de notation, des techniciens sillonnent les parcelles chaque mois d’août pour des contrôles. Les diguettes, les haies vives, les arbres d’axe, l’entretien des champs, la rotation des cultures, l’utilisation de la fumure organique, la non pratique des brûlis…, tout passe au peigne fin. Ceux qui se seront distingués par de bonnes notes sont récompensés avec du matériel agricole. Aux dires de Daouda Ouédraogo, cela fait trois ans qu’il n’a plus acheté d’outils de travail grâce à ces prix.

M.K