Parcs à karité de la fédération Nununa: Une stratégie endogène de protection d’un « arbre miracle »

?????????

Spécialisée dans la fabrication du beurre de karité, la fédération Nununa, basée à Léo, province de la Sissili, fait face aux exigences du marché international. Depuis 2018, elle ne vend que du beurre certifié biologique. Pour ce faire, elle a délimité, dans des réserves forestières protégées des provinces de la Sissili et du Ziro, des espaces appelés parcs à karité dans lesquels elle collecte ses noix. Une initiative qui contribue non seulement à perpétuer la ressource karité mais aussi à lutter contre le déboisement.

A quelques encablures de Sapouy, dans la province du Ziro, région du Centre-Ouest, un massif forestier force l’admiration. Peuplé de différentes espèces végétales dont le karité, le site s’étend sur une superficie de plus de 400 hectares (ha). A l’intérieur, une portion de 120 ha délimitée par des arbres peints au tronc constitue la chasse gardée de la fédération Nununa. Elle sert de parc à karité pour les femmes de la structure. Une randonnée permet d’évaluer le potentiel de Vitellaria paradoxa (nom scientifique du karité) qui s’y trouve. Plus on avance, plus la population de l’espèce devient abondante. Il y en a de toutes les tailles et de tous les âges. Nous sommes au mois de mai 2022. Certains arbres exhibent déjà leurs fruits, d’autres n’en portent pas. Apparemment, les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs. Alors que les débuts étaient rassurants, aux dires de l’animatrice du parc, Marama Nébié. Nichée entre les villages de Dianzoè, Lou, Sayaro et de Sapouy, cette enclave forestière est sous la protection des services de l’environnement. Une aubaine pour les femmes de la fédération Nununa de collecter des noix saines de karité pour la production du beurre biologique. Plus d’une centaine de femmes issues des quatre villages y trouvent leur pitance quotidienne à travers cette activité de collecte. Mais avant cette cueillette, le parc devrait avoir le quitus d’un organisme de certification qui, d’ailleurs, est coûteux, selon Mme Nébié. Toutefois, informe-t-elle, des techniciens ont déjà audité le site, acquis en 2021 et attesté qu’il répond aux normes. « Comme il n’y a pas de champs à côté, les auditeurs ont permis qu’on collecte les noix en attendant la certification », souligne l’animatrice.

12 parcs à karité dans le Ziro

Autre lieu, même constat. Au Chantier d’aménagement forestier (CAF) de Oupon, à huit kilomètres (km) de Cassou, un autre parc à karité s’étend à perte de vue. Luc Nignan en est l’animateur. A l’entendre, le CAF couvre une superficie de 100 ha dont 18 sont, pour l’instant, destinés à la collecte des noix. A l’entrée nord du parc, bordée d’une piste, on constate une végétation clairsemée et qui s’épaissit au fur et à mesure que l’on progresse vers l’intérieur. La présence du karité est remarquable. Contrairement au premier site, ici, l’abondance des fruits sur certains arbres présage une belle récolte. Seuls les vieux karités et ceux dont les branches ont été élaguées ne suivent pas le rythme. Selon M. Nignan, beaucoup d’arbres ont subi récemment une taille sanitaire parce qu’attaqués par des plantes parasites, appelées Tapinanthus. A l’en croire, ces arbres mettront au minimum trois ans avant de reprendre leur cycle de production. Dans ce parc, aménagé il y a environ cinq ans, plus de 100 femmes, issues de trois coopératives, gagnent leur vie à travers la collecte des noix de karité qu’elles revendent à la fédération.

A l’image de ces deux sites, ils sont une douzaine de parcs de Vitellaria paradoxa qui sont aménagés dans la province du Ziro au profit de la fédération Nununa. Sapouy, Cassou, Bakata et Bougnounou sont les communes de cette province qui abritent ces réserves forestières. Dans la province de la Sissili, on en trouve une vingtaine mais pas tous fonctionnels, selon les services de l’environnement. Abou Tagnan est le représentant de la fondation l’Occitane à Léo, le principal client de la fédération Nununa en matière de commande de beurre biologique. Il fait aussi partie des pères fondateurs des parcs à karité. Pour lui, ce sont des espaces forestiers qui ont un fort potentiel de karité, généralement protégés par l’Etat ou concédés aux communautés locales. C’est dans ces domaines, indique-t-il, que la fédération Nununa a négocié des portions pour en faire les parcs à karité et ramasser des noix biologiques, exemptes d’infections aux produits chimiques. A entendre M. Tagnan, l’idée de créer les parcs est née du constat que les espaces sauvages dans lesquels on récoltait les noix de karité ont commencé à se réduire. La raison, à son avis, est que les agrobusiness men se sont accaparés de vastes terrains où ils ont détruit la flore dont le karité au profit des plantes exotiques. « Du coup, la cueillette sauvage a diminué et on ne peut pas le faire aussi dans les champs à cause de l’utilisation des intrants agricoles tels que les pesticides et les engrais chimiques », déplore M. Tagnan. Alors qu’aujourd’hui, note-t-il, c’est le beurre biologique qui est en vogue sur le marché international au détriment de celui conventionnel qui n’a pratiquement plus de preneur. Face à cette situation, il fallait développer des initiatives pour avoir des amandes saines et partant, du beurre naturel. D’où la création des parcs à karité. En effet, la fédération Nununa a subi une perte énorme en 2018 en voyant son beurre déclassé parce qu’il était contaminé par des produits chimiques. Pourtant, se souvient amèrement sa présidente, Abibata Salia, elle avait acheté les amandes aux prix du biologique, soit 100 F CFA de plus sur le kilogramme. Cela a créé une tension de trésorerie et fait perdre aux dames environ 20% de leur chiffre d’affaires. Depuis lors, avance Mme Salia, Nununa a décidé de ne prendre uniquement que les amandes collectées dans les parcs à karité par les coopératives féminines, formées à cet effet.

La pression anthropique sur les parcs

L’acquisition des parcs a été possible grâce au soutien et à la compréhension des autorités locales et celles en charge de l’environnement. Toutefois, la certification et la protection de ces espaces demeurent l’autre paire de manches. Que ce soit dans la Sissili ou dans le Ziro, la plupart des parcs à karité sont enclins à des menaces de tous ordres. Prélèvement du bois vert, cueillette précoce des noix et surpâturage des animaux sont, entre autres, les violations les plus récurrentes. Sur le site de Oupon, dans la commune de Cassou, le constat est ahurissant. Le parc est constamment agressé, parfois nuitamment, par des populations riveraines qui abattent les arbres au grand dam du comité local de gestion et des forestiers. Les troncs d’arbres coupés, en particulier le karité, visibles par-ci par-là dans le parc témoignent de l’ampleur du massacre. Pour le moment, Luc Nignan préfère jouer la carte de la sensibilisation au motif que les contrevenants sont des ressortissants du village. Mais cela ne saurait perdurer. « Pour finir, on va sévir en appliquant la loi », prévient-il. Du côté de Sapouy, des pratiques similaires sont signalées dans la réserve forestière. La coupe du bois vert, surtout le karité, est quasi fréquente. Le chef de service départemental en charge de l’environnement de Sapouy, Mahamadi Mandé, confirme cet état de fait mais avoue son impuissance. A l’entendre, la proximité du site avec la ville est une porte ouverte pour les visites itératives des humains en quête de bois de chauffe et des animaux en pâture. « Le carburant fait parfois défaut pour qu’on fasse des patrouilles régulières. C’est un handicap pour la protection », révèle-t-il. M. Mandé indique qu’en cas de flagrant délit de coupe, l’intéressé peut être soit verbalisé, soit amendé, soit conduit devant les tribunaux, en fonction de la gravité de la faute.

Outre les contrôles de routine, les parcs à karité bénéficient d’autres aménagements internes qui contribuent à préserver la biodiversité et à garantir la survie du Vitellaria paradoxa. Il s’agit de l’utilisation de pare-feux pour contrer les feux de brousse, de l’installation de ruches pour aider à la productivité de la flore, de la taille sanitaire du karité pour le débarrasser des plantes parasites et du greffage pour améliorer sa productivité. « Les services de l’environnement nous accompagnent dans la formation, l’entretien et le suivi des parcs. Chaque année, nous faisons des semis directs et des greffages pour pérenniser l’arbre à karité », confie Marama Nébié de Sapouy. Les mêmes pratiques sont aussi développées à Cassou. Car, son collègue, Luc Nignan, estime qu’il est plus facile de semer directement le karité que de le reproduire en pépinière. Dans les deux parcs visités, les jeunes pousses de Vitellaria paradoxa se laissent admirer au milieu des autres espèces végétales.

Une initiative saluée

L’initiative de la fédération Nununa de créer les parcs à karité a été unanimement saluée par les défenseurs de l’environnement. En plus de permettre d’avoir des amandes naturelles, laissent-ils entendre, les parcs contribuent à perpétuer le karité qui est une espèce pourvoyeuse de produits forestiers non ligneux. Mieux, renchérit Ali Coulibaly, animateur au CAF de la Sissili, ces parcs contribuent à améliorer la superficie des réserves forestières des deux provinces. Du côté des responsables coutumiers, on assure que les terrains ont été entièrement cédés aux dames pour leur activité de collecte. La décision est irrévocable, aux dires du chef de canton de Sapouy, Mahamadi Nama. Citant le rapport 2020 du second inventaire forestier national, le spécialiste de l’environnement, Mahamadi Mandé, estime le nombre de pieds vivants de karité à 519 416 pour le Ziro contre 1 156 454 pieds pour la Sissili. Concernant la population du Vitellaria paradoxa dans les parcs de Nununa, il informe qu’un inventaire a été fait cette année mais les données sont en cours de traitement.

Au Burkina Faso, le karité est une espèce protégée par le code forestier. Malgré tout, la menace qui pèse sur lui demeure réelle. Prisé par les charbonniers, selon les forestiers, le Vitellaria paradoxa n’échappe pas non plus aux abattages lors de l’ouverture des nouvelles exploitations agricoles. Abou Tagnan dit assister, impuissant, à la coupe abusive du bois vert à Sourou, son village natal, dans le Ziro. Face à la situation, il déclare avoir alerté, à maintes reprises, les autorités en charge de l’environnement au niveau provincial, régional et même central, en vain. « Le déboisement est avancé. Si on n’y prend garde, l’arbre à karité va disparaître, surtout qu’on dit que son bois brûle bien », prévient-il. Alors qu’à l’écouter, les bienfaits du karité, encore appelé « arbre miracle », ne sont plus à démontrer. A travers ses fruits, mentionne M. Tagnan, le karité participe à la sécurité alimentaire des ménages dans les zones rurales. Quant à ses amandes, ajoute-t-il, elles constituent une véritable source de revenus pour nombre de femmes. « En plus de ses vertus thérapeutiques, le beurre de karité intervient dans certains rites et funérailles chez les Nuni », fait savoir Abou. Ali Coulibaly abonde dans le même sens en signalant que brûler un arbre à karité équivaut à brûler le porte-monnaie d’une famille. Et le responsable coutumier de Sapouy, Mahamadi Nama, de conclure que ce sont les arbres qui nous permettent de vivre. Tuer un arbre, pour lui, c’est se tuer soi-même.

Croisade contre la déforestation

Les coutumiers sont unanimes à reconnaitre que les services de l’environnement seuls ne peuvent pas lutter contre le déboisement. C’est pourquoi, de temps à autre, ils mettent la main à la pâte. « Personne à Oupon n’ignore qu’on ne doit pas couper le karité », clame Augustin Batian Nignan, un natif de la localité. En cas d’infraction, déclare-t-il, l’amende fixée par la tradition est soit un bœuf, soit un petit ruminant et des poulets, selon l’ampleur du préjudice. Et le contrevenant a deux options : payer l’amende ou quitter le village. Malheureusement, regrette M. Nignan, avec l’avènement du modernisme, les méthodes traditionnelles de protection des arbres s’appliquent de moins en moins. C’est également l’avis du chef de canton de Sapouy, Mahamadi Nama. A ce qu’il dit, avant, on impliquait les fétiches dans la sauvegarde de l’environnement. Des sacrifices étaient faits sur les autels des ancêtres pour interdire la coupe du karité, selon lui. « Celui qui transgresse les interdits est mordu par un serpent. S’il ne se déclare pas, c’est la mort qui s’ensuit. Pour réparer la faute, l’intéressé apporte un bœuf au cas où il a sciemment agi et un mouton ou une chèvre s’il l’a fait par mégarde. L’animal reçu est offert aux divinités de la brousse », explique le responsable coutumier. De nos jours, relève-t-il, ces pratiques ont été abandonnées parce que le contexte a changé. Mahamadi Nama accuse surtout ses parents qui, obnubilés par l’argent, n’hésitent pas à vendre des centaines d’ha aux agrobusiness men venus de la capitale, Ouagadougou. « Chez nous, la terre ne se vend pas mais l’argent a bouleversé l’ordre social », soupire-t-il.

Même si le karité est traditionnellement protégé dans les champs par les paysans, force est de reconnaitre qu’il pousse encore à l’état sauvage. Selon la croyance populaire, rapporte Abou Tagnan, il était interdit de planter le karité au risque de mourir. Pour lui, d’aucuns disaient qu’il mettait 23 ans avant de produire. Des stéréotypes qui sont actuellement révolus, puisqu’il estime qu’avec la recherche, en huit ans, le Vitellaria paradoxa commence à produire. Au regard du vieillissement des arbres à karité, M. Tagnan recommande aux autorités burkinabè de faire de la régénérescence de l’espèce une priorité.

En attendant, les femmes de la fédération Nununa souhaitent la sécurisation de leurs parcs à karité par des textes afin qu’ils ne soient pas un jour transformés en champs de production agricole.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr