L’insécurité que vit le Burkina Faso depuis quelques années a des répercussions sur le secteur de l’élevage. L’approvisionnement des centres urbains en viande, en poisson, en lait ou en œufs est devenu difficile avec pour conséquence, une hausse des prix de ces produits sur les différents marchés. Sidwaya en a fait le constat à quelques jours des fêtes de fin d’année 2022, dans la ville de Banfora, capitale de la région des Cascades.
Le marché de Banfora, chef-lieu de la région des Cascades, grouille de monde, ce mardi 20 décembre 2022, à quelques jours des fêtes de fin d’année. A la boucherie de ce principal centre commercial de la cité du Paysan noir, les travailleurs de la viande découpent les morceaux sur leurs étals. Au coin de la boucherie, une dame discute le prix d’un morceau de viande. Après quelques minutes, des morceaux sont emballés et mis dans un sachet pour la dame qui sort des lieux, le visage fermé.
Il s’agit de Salimata Sidibé, une ménagère venue faire le marché pour sa cuisine du jour. « La viande est devenue chère. Le demi-kilogramme fait 1 500 F CFA. Si ton mari te donne 1000 F pour le « nansongo » (ndlr, la popotte en langue dioula), vous voyez ce que ça donne. On se débrouille avec 1 000 F CFA et à défaut de la viande, on se rabat sur le poisson. La viande est devenue un luxe », se lamente la ménagère. Une autre cliente, Adjara Zerbo, rencontrée sur les lieux, est restée sans voix lorsque nous lui avons demandé le prix du kilogramme de viande qu’elle venait d’acheter après de rudes négociations avec le boucher.
« Humm ! », nous lance-t-elle, avant de se faufiler entre les bouchers rassemblés à la porte de la boucherie avec leur viande en main, guettant d’éventuels clients. Pour les occupants de la boucherie du marché de Banfora comme Boukary Louga, le prix de la viande a considérablement augmenté ces dernières années. « Avant, nous vendions le kilogramme à 600 F. Ensuite, ce prix est passé à 1 500 F pour atteindre aujourd’hui 3 000 F. Tout le monde ne peut plus acheter la viande », fait-il savoir.
La volaille et le poisson aussi
Boukary Louga poursuit en précisant qu’il y a quelques années de cela, il pouvait abattre 28 bœufs par jour. De nos jours, regrette-t-il, il peine à écouler 6 bœufs, parce que les animaux se font rares. C’est la même explication que donne Nassirou Ogalé, vendeur de viande devant un maquis à Banfora. « Je pouvais vendre 5 moutons par jour. Aujourd’hui, je ne parviens même pas à vendre 2, car la viande est chère et les clients nous fuient.
Les moutons sont devenus rares et nous n’arrivons même pas à en avoir. C’est dur ! », s’exclame-t-il. C’est le même avis que partage cet éleveur (que nous avons volontairement tu le nom) rencontré dans sa ferme dans un village à quelques encablures de Banfora. Le marché de bétail de cette localité, située sur l’axe Banfora-Mangodara est pratiquement vide, alors qu’à cette même période de l’année, il bondait d’animaux, à en croire les gérants. Au marché de volaille de Banfora, la situation n’est pas meilleure.
Ceux qui y viennent pour s’approvisionner en poulets ou autres volailles les trouvent « inaccessibles ». « Les poulets coûtent cher. C’est dur, mon ami. Comment allons-nous faire pour les fêtes ? », s’interroge un client. Pourtant, les vendeurs de volaille s’en défendent. « Ce n’est pas notre faute Nous n’arrivons plus à avoir les poulets dans nos sites d’approvisionnement », tente d’expliquer Fongombié Soma. Les prix, selon lui, varient entre 4 000 et 5 000 F CFA le poulet.
« Nous vendons le poulet autour de 5 000 F. Il n’y a pas de prix fixe », dit-il. Son voisin, Kiekelé Héma, ajoute que lui aussi n’arrive plus à écouler 50 poulets par jour, alors qu’auparavant, il pouvait en écouler 200. La viande (bétail et volaille) n’est pas la seule denrée inaccessible à Banfora. En effet, l’approvisionnement en poisson est aussi difficile, obligeant certains restaurateurs à intégrer dans leur menu, le poisson importé en lieu et place du poisson d’eau douce.
« Nos plus grands fournisseurs en poisson d’eau douce viennent de Mangodara où la situation sécuritaire s’est dégradée. Nous sommes alors obligés de nous rabattre sur le poisson importé que certains clients n’aiment pas. Nous avons des soucis avec le poisson d’eau douce et la volaille. Pour la viande de bœuf, les bouchers arrivent à nous satisfaire pour le moment », relate Mahoua Diao, promotrice d’un restaurant dans la cité du Paysan noir.
De l’avis du directeur provincial des Ressources animales et halieutiques de la Comoé, Salifou Barry, l’arrêt de la pêche dans le barrage de Mangodara et dans certaines mares du fait de l’insécurité, en est la cause. Cette raréfaction du poisson, signifie-t-il, a obligé les consommateurs à se tourner vers le poisson importé.
Le lait, victime collatérale
Outre le poisson, le lait est aussi l’un des produits de l’élevage qui manque sur le marché tant pour la consommation que pour les unités de transformation. Et ce, au point que les 22 laiteries que compte la région n’arrivent pas à avoir, ne serait-ce que 10% de leurs besoins en lait, selon les chiffres de la Plateforme innovation lait des Cascades. A entendre les acteurs de la filière lait, les collecteurs n’arrivent pas à récupérer le lait au niveau des centres de collecte dans les zones rurales pour ravitailler la ville de Banfora.
« La collecte du lait est devenue impossible dans les zones d’approvisionnement », révèle le président de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane, Idrissa Tall, par ailleurs membre de la Plateforme. Le déplacement des animaux vers d’autres contrées a des répercussions sur la production du lait, si l’on se fie à Idrissa Tall. « Du fait de l’insécurité, les éleveurs se sont enfuis avec les vaches laitières. Aussi, les agriculteurs n’ont pas pu produire assez de fourrage pour l’alimentation des vaches. Ce qui a considérablement diminué la production de lait », regrette-t-il.
L’insécurité et rien d’autre
Le manque et la cherté de la viande, des poulets, du poisson, du lait et même des œufs sont dus à l’insécurité dans la région des Cascades. Cette insécurité est ainsi indexée par les différents acteurs de la filière de l’élevage qui l’accusent d’avoir mis un frein à leurs activités. « A cause de l’insécurité, nous ne pouvons plus tourner dans les villages pour acheter les animaux. Les rares que nous trouvons sont chers et ne sont pas de bonne qualité. De par le passé, je pouvais ramener en ville près de 150 bœufs par jour.
Aujourd’hui, je ne peux même pas avoir 40 parce que nos déplacements sont très limités », justifie Salifou Soré, commerçant de bétail. Kiekelé Héma souligne que du fait de l’insécurité, les grandes zones de production de volaille sont difficiles, voire quasi-impossibles d’accès. Tout comme le maillon de la commercialisation des produits de l’élevage, la production est aussi grippée par l’insécurité.
Les éleveurs n’arrivent plus à exercer correctement leurs activités. C’est le cas de cet éleveur (qui a requis l’anonymat) d’un village à quelques kilomètres de Banfora Il dit avoir été contraint de diminuer sa production de volaille pour ne pas se tourner les pouces, parce que le sac d’aliments pour volaille est passé de 3 000 à 8 000 F CFA. Selon ses confidences, les éleveurs de sa zone désertent leur ferme la nuit tombée, à cause de l’insécurité.
« Certains éleveurs sont portés disparus et d’autres ont simplement préféré fuir », précise-t-il. C’est aussi ce que fait savoir le président de la filière bétail-viande des Cascades, Daouda Yarbanga. « Les éleveurs ont abandonné leur village pour aller dans les pays voisins. D’autres viennent en ville et ont des difficultés pour exercer leurs activités parce que les conditions ne sont pas adaptées. Beaucoup ont perdu leur troupeau et ont été carrément ruinés », confirme-t-il. Il ajoute que par exemple, 38 bœufs d’un des membres de la filière se sont échappés de leur enclos.
« Le propriétaire s’est résigné à aller à leur recherche à cause de l’insécurité. Un éleveur de la zone de Sidéradougou a même perdu une centaine de ses animaux », explique-t-il. Pour le directeur provincial des Ressources animales et halieutiques de la Comoé, Salifou Barry, des études n’ont pas encore été faites sur l’effet de l’insécurité sur la production, mais la situation demeure inquiétante.
Les animaux sans suivi sanitaire
L’insécurité, note-t-il, a entrainé le déplacement des éleveurs vers les pays voisins, notamment la Côte d’Ivoire, le Ghana ou dans certaines zones où les conditions de production ne sont malheureusement pas propices. Les services de l’élevage, foi du directeur provincial, n’arrivent plus à faire le suivi sanitaire des bêtes et à apporter des appuis en intrants aux éleveurs. « Tous ces facteurs peuvent provoquer des pertes d’animaux », déplore M. Barry.
Pour lui, le déplacement des populations a aussi entrainé une baisse de la production céréalière, surtout le maïs qui constitue l’aliment de base de la volaille locale ou moderne. « Les prix du maïs sont alors devenus inaccessibles. Beaucoup d’éleveurs ont de ce fait abandonné l’élevage des poules parce qu’ils n’arrivent pas à avoir la matière première. Du coup, il y a manque d’œufs de consommation et de poules sur les marchés », dit-il.
Face à cet impact négatif de l’insécurité, les différents acteurs de la filière élevage de Banfora et les consommateurs n’ont qu’un seul souhait : le retour de la paix et de la sécurité afin que les éleveurs, les commerçants de bétail et tous ceux qui vivent de l’élevage puissent reprendre correctement leurs activités.
Adaman DRABO