Je veux accoucher, mais j’ai peur de la table !
Si j’avais su que cette table était si redoutable et que personne ne serait comptable de l’état de « l’épave » coupable, j’aurais même renoncé à ce projet d’enfant. Si j’avais su que ton destin était scellé à une table instable et incapable, bancale et fatale, je l’aurais contournée pour te délivrer de tout mal. Si j’étais là, je leur dirais que la table était déjà dans une mauvaise passe et que tu pouvais passer de vie à trépas. Si j’étais là, je retiendrais l’épouvantable table coupable par-ci et par-là ; je ne serais jamais las de rester jusqu’à ce que le bébé soit là. Si j’étais là, je collerais les fissures, j’adapterais l’armature à ta stature, je t’éviterais la mésaventure de la cassure, avant même que les augures ne trahissent le dessein malsain de la bavure ou de l’accident.
Si j’étais là, je remettrais tout à plat, j’apporterais à la sauvette une natte, peu importe s’il n’y a pas de drap ou de coussin ; tant pis s’il n’y a ni appui ni attache, je te tiendrais jusqu’au bout du travail, vaille que vaille. Hier, nos mères accouchaient sur des tas d’ordures sans la moindre égratignure ! Pourquoi aujourd’hui, meurent-elles en couches, parfois avant même qu’on ne les touche ? De nos jours, on ne peut même plus regarder le ventre de sa femme végéter avec plaisir. Quand on pense qu’une femme enceinte est une bombe sous nos tropiques, un kamikaze en puissance, on ne peut que pleurer. Mais jusqu’à quand allons-nous enterrer ces dames qui meurent avec une vie dans les entrailles ?
Pendant combien de temps va-t-on clamer et acclamer la santé de la mère et de l’enfant, quand elles montent sur une table pour continuer au ciel ? La prochaine victime, c’est qui ? C’est toi, c’est moi ! Il n’y a rien de pire que de sourire à sa femme à l’entrée de la maternité pour aller l’attendre à la sortie de la morgue. Oui, nous sommes amers, nous sommes même sévères et rien ne sert de nous dire que cela peut arriver. Cela ne doit pas arriver !
Tant pis si cette chronique doit me coûter la tige de la pige, l’essentiel est qu’on pige. De toute façon, il y a longtemps que je veux démissionner et rentrer chez moi. On ne peut pas se taire sur le drame. On ne doit pas fermer les yeux sur la tragédie.
Je ne savais pas que la formule « plus rien ne sera comme avant » était une simple figure de style. Je ne savais pas qu’on pouvait vanter une politique sanitaire sur une tombe. Je ne savais pas qu’on pouvait dire que tout va bien en s’appuyant sur une table d’étable bancale et fatale. Je ne savais pas qu’une âme pouvait s’éteindre avec fracas et sans tracas, juste pour avoir commis le péché mortel de donner la vie. Je ne savais pas que l’accouchement était un danger pour la femme et qu’à cause d’une table, on pouvait passer à table avec l’ange Gabriel. Il faut taper du poing sur la table et sauver la prochaine parturiente. Il faut situer les responsabilités, sans complaisance et tirer les leçons sur les débris de cette table.
Et même si on ne pourra jamais recoller les morceaux, on aura au moins le mérite de sauver la femme de « Patarbtaalé » ou de Tartempion, ces gens qui ne peuvent pas aller accoucher sur des tables en or. En attendant que les tables de nos hôpitaux sans chapiteaux soient vues et revues, gageons que plus jamais aucune femme ne « fera tonneau » en clando, sans même avoir eu le temps de pousser à fond : attention ça vient vite, je veux accoucher ! J’ai peur de la table, donnez-moi une natte !
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr