Disparition de Idriss Déby : « Que ce ne soit pas les prémices d’un chaos », Laurent Kibora, expert en sécurité

Pour l’expert en sécurité, Laurent Kibora, le Tchad peut toujours être d’un grand apport dans la lutte contre l’insécurité au Sahel.

La mort brutale du président tchadien, Idriss Déby Itno, ne finit pas de cristalliser l’attention de plus d’un, en raison de son engagement dans la lutte contre le terrorisme dans l’espace G5 Sahel. Dans cet entretien, Laurent Kibora, chercheur sur les questions sécuritaires liées à l’extrémisme violent et sur la radicalisation revient sur les véritables implications de la disparition du maréchal Déby dans la lutte contre l’hydre terroriste.

Sidwaya (S) : Dans quelles circonstances le président tchadien, Idriss Déby, a-t-il trouvé la mort ?
Laurent Kibora (L.K) : Il nous est revenu que le maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno, est mort à la suite d’une balle qu’il aurait prise sur le front des combats contre les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Il serait mort les armes à la main. Mais, officieusement, d’autres sources disent qu’il s’agit plutôt d’un coup d’Etat déguisé. Il y a même des images sur la toile montrant qu’il aurait été abattu par sa garde rapprochée. Toutefois, je pense qu’il y a trois questions qui méritent d’être posées. Qui gagne dans la mort de Idriss Déby et qui perd dans cette disparition et pourquoi ? D’ores et déjà, nous voyons clairement que nous sommes dans un contexte sous régional d’insécurité chronique et précaire.

La situation sécuritaire se dégrade, en effet de jour en jour avec des attaques terroristes répétées, désorganisant socioéconomiquement les pays qui sont déjà fragiles. Et, il faut le souligner, le Tchad est aussi le maillon fort dans cette lutte. Avec la mort subite de ce président qui était engagé dans la sécurité de la sous-région, nous sommes en droit de nous inquiéter sur l’avenir du G5 Sahel et de la bande sahélo saharienne. Qui gagne alors dans cette situation ? Pour moi, il a été assassiné. C’est un sabotage des efforts tous azimuts que fournissent l’ensemble des pays concernés par l’insécurité. Ces Etats étaient dans une dynamique de résistance victorieuse avec les Centres d’études stratégiques qui sont en train d’être mises en place. Beaucoup d’initiatives sont, en effet, développées dans le sens de vaincre l’insécurité.

Du coup, ces pays perdent un élément-clé. Dans une analyse objective, nous pouvons dire que la mort de Idriss Déby profite à ces groupes armés radicaux et à ceux qui ont intérêt à toujours nous voir dans cette situation de dépendance, de sous-traitance de notre sécurité. C’est devenu la vache laitière de beaucoup d’acteurs. Parmi ces acteurs, certains prétendent être des amis de nos pays en proie à cette hydre mais en réalité, ce n’est pas le cas.

Quand on fait un rapprochement avec la mort du président de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), Sidi Ibrahim Ould Sidati, principal groupe armé signataire de l’accord d’Alger et la disparition du maréchal du Tchad, on peut déduire qu’il y a des mains invisibles qui travaillent de sorte à pouvoir profiter de la situation. Il y a des fournisseurs d’armes qui y gagnent, tout comme les circuits de vente de drogue. Des puissances occidentales ont intérêt à maintenir ces pays sous dépendance continue. Maintenant, les grands perdants, c’est bien sûr le Tchad et les pays sahéliens. Pendant longtemps, le pays a joué le rôle tampon par rapport à l’avancée des groupes radicaux.

S : La mise en place du Conseil militaire de Transition est-elle un coup d’Etat ?

L.K : Oui ! Personnellement, on peut le qualifier de coup d’Etat. La manière ne respecte aucun principe démocratique. Déjà, l’opposition et la société civile contestent ce conseil de transition qui est composé uniquement de militaires. A ce qui se dit, le président de l’Assemblée nationale a décliné l’offre de présider aux destinées du pays.

S : La France a-t-elle lâché le président Deby alors que de par le passé, elle était intervenue pour stopper l’avancée des rebelles ?

L.K. : Je vais aller droit au but en rappelant une célèbre phrase de l’ancien président Charles de Gaule qui disait que la France n’a pas d’amis, mais des intérêts. Et, la politique française est basée sur les intérêts. C’est maintenir son pré-carré sur ses anciennes colonies. Ce qu’il faut aussi ajouter est qu’Idriss Déby, à un moment, a dit non à la France puisse qu’il est aussi un panafricaniste qui aimait son pays. Dire qu’il a été lâché par la France ne souffre pas de débats et on le voit à travers les faits.

S : Pourquoi, la France attachée aux valeurs démocratiques, n’a pas exigé le retour à l’ordre constitutionnel et a plutôt pris acte souhaitant une transition de courte durée ?

L.K. : Il y a des faits qui n’honorent pas la France et c’est comme je venais de le dire. Les faits parlent d’eux-mêmes.

S : Quel peut être l’impact de sa disparition sur la stabilité du Tchad et la lutte contre le terrorisme dans l’espace G5 sahel ?

L.K. : Le premier impact c’est déjà l’arrêt de l’élan que les pays avaient amorcé dans la lutte. Les terroristes risquent de ne plus trouver d’obstacles dans leurs avancées. La disparition du maréchal Déby pourrait stimuler la progression des groupes armés. Et les pays doivent intégrer cette nouvelle donne dans leurs stratégies de défense nationale. Sa perte peut laisser libre champ à ces radicaux qui n’avaient pour seul obstacle que l’armée tchadienne. Ce qui va désorganiser beaucoup de choses en impactant davantage sur les économies des pays du Sahel.

S : Avec cette disparition, le Tchad saura-t-il maintenir le même rôle et la même place dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ?

L.K. : Le Tchad peut toujours maintenir sa place et son rôle à condition qu’il puisse surmonter cette perte. Le Tchad ne se résume pas au président Déby. Le pays est reconnu comme un pays combatif, qui a de la résilience en termes de lutte contre les groupes armées radicaux. Ce que nous souhaitons et demandons est que le Tchad retrouve sa stabilité. C’est-à-dire assurer une transition paisible, organiser des élections transparentes et choisir des personnes qui ne seront pas imposées et seront issues des urnes et également, de mettre en marche toutes les institutions républicaines. Si le Tchad retrouve sa stabilité, les Tachdiens auront toujours ce mécanisme et ce dispositif efficace pour continuer la lutte après Idriss Deby, pour que le pays ne sombre pas dans une guerre civile.

S : La bande sahélo-saharienne a-t-elle des raisons de s’inquiéter de la situation au Tchad, en cas d’enlisement ?

L.K. : En cas d’enlisement de la crise tchadienne, les pays sahéliens risquent de payer le plus lourd tribut. Il y a la Côte d’Ivoire qui est annexée et on ne sait pas quel autre élément déstabilisateur risque d’arriver. Il faut analyser, à travers une vision panoramique. C’est-à-dire il faut prendre les choses ensemble, c’est pourquoi j’ai lié la mort du président du CMA au Mali à l’assassinat du président Idriss Deby. On parlait de dialogue au Mali mais, avec l’assassinat de cette grande figure, cela remet en cause des choses. C’est comme si vous faites deux pas en avant pour faire dix en arrière. Nous craignons que d’autres évènements, dans la sous-région, ne se produisent à la suite. On avait prévenu l’attaque de la Côte d’Ivoire et après cette attaque on voit un dirigeant malien et tchadien assassinés. Il faut que tous ces pays restent vigilants et sachent que l’heure de l’insouciance est finie. Qu’ils considèrent que tout le Sahel est en guerre contre les groupes armés.

S : Donc, on peut dire que la disparition de ce président est une grande perte pour ses pairs ?

L.K. : Oui, c’est une grande perte, pas pour ses pairs uniquement, mais pour tout le Sahel et pour les partenaires des pays sahéliens qui ont des liens étroits avec eux. Si le Sahel va mal, c’est le monde entier qui va mal. Aujourd’hui, nous sommes dans un système de mondialisation où le Sahel détient une grosse part du marché européen, américain et asiatique. D’où, la nécessité d’une union internationale. Il faut que les Nations unies mettent en place des décrets pour que les pays sahéliens soient parmi les premières priorités dans la lutte contre l’insécurité au niveau mondial. Il faut réfléchir afin de voir comment faire face à cette nouvelle perte. Nous devons savoir comment réagir et passer à la survie à travers des stratégies et politiques. Que cette perte ne soit pas les prémices d’un chaos.

S : Les Tchadiens n’ont-ils pas un rôle à jouer dans cette situation ?

L.K. : Ils sont les premiers protagonistes dans cette crise. Ils doivent s’asseoir et avoir un langage franc. Ils ne doivent pas se laisser bloquer par une crise qui peut être instrumentalisée. Ils doivent s’unir et respecter les principes de la bonne démocratie pour vivre en paix. Ainsi, toute l’Afrique pourra avoir des lendemains meilleurs.

Interview réalisée par Soumaïla BONKOUNGOU &
Lati Fatou TARBAGDO
(Stagiaire)

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