Edouard Ouédraogo, Directeur de publication de L’Observateur Paalga : « Ce journal a été l’alpha et l’omega de la naissance de la liberté d’expression au Burkina Faso »

Pour le directeur de publication, Edouard Ouédraogo, la célébration de ce jubilé d’or est une forme de résilience à l’image du FESPACO et bien d’autres manifestations.

Le journal L’Observateur Paalga célèbre son cinquantenaire cette année. A l’occasion de ce jubilé d’or, le Directeur de publication (DP) Edouard Ouédraogo a accordé une interview à Sidwaya. Le jubilé d’or, la situation de la presse burkinabè et la conduite de la Transition sont entre autres sujets sur lesquels le DP a partagé sa vision.

Sidwaya (S) : Pouvez-vous revenir brièvement sur les circonstances de la création de L’Observateur Paalga ?

Edouard Ouédraogo (E.O.) : J’en ai largement parlé dans mon ouvrage « Heurs et malheurs de la politique et du journalisme au Burkina Faso. Quelles leçons ?”. Dans le cadre d’une interview comme celle-là, cela va être trop barbant de vouloir revenir de manière extensive sur la question.

Ce que je peux dire c’est qu’au moment de la création de L’Observateur dans les années 1970, il s’est trouvé que nous étions dans une situation à la fois politique, économique et surtout sociologique qui nécessitait la création à l’intention des Voltaïques, d’un espace d’expression et de liberté, un espace dans lequel tous ceux qui avaient quelque chose à dire ou qui avaient des motifs d’insatisfaction, des sentiments de frustration vis-à-vis soit de l’administration, soit de ses démembrements ou de tel corps constitué de l’ Etat, un espace de liberté à travers lequel les gens puissent s’exprimer en toute liberté.

C’est ce qui a incité à la création du journal, L’Observateur, parce que bien sûr, la loi 20/AN du 31 août 1959 autorisait la création d’un journal, d’un quotidien, ou d’un hebdomadaire. Il n’y avait pas d’objection légale pour qu’un journal comme L’Observateur naisse. Mais, il fallait simplement exploiter ce créneau légal qui permettait qu’on puisse créer un organe d’information et c’est ce que nous avons fait.

S : L’Observateur Paalga existe depuis un demi-siècle. Quel bilan peut-on dresser ?

E.O. : Le bilan, c’est peut-être à l’histoire de le traiter. Peut-être qu’à l’occasion des différentes activités que nous entendons mener dans le cadre du cinquantenaire que nous célébrons ce mois, nous aurons l’occasion d’en parler longuement. Le fait même que cinquante années après, ce journal existe toujours, c’est déjà un élément parlant du bilan.

Ce que nous pouvons dire, toute modestie vue, ce journal a été à la base pour ne pas dire l’Alpha et l’Omega de la naissance de la liberté d’expression au Burkina Faso et le début de l’enracinement d’une culture démocratique dans notre pays. Il y a une cinquantaine d’années, quand nous nous apprêtions à lancer L’Observateur, nous nous sommes beaucoup appuyés sur ce qu’on appelait à l’époque le Service de l’information avec vos papas comme Kalifa Koné, Emile Bassono, François Bassolé, Blaise Belemviré et Georges Yago. Nous nous sommes appuyés sur eux confraternellement.

Ils nous ont beaucoup conseillés même assistés sur le plan par exemple de la documentation. Quand nous étions à court de photos, c’est au Service de l’information que nous allions les chercher. On nous les donnait gracieusement. Le directeur de l’information à l’époque Monsieur Kalifa Koné nous a beaucoup conseillé avec insistance de nous faire installer un téléscripteur. C’était l’instrument de travail de tout journal. Un appareil qui envoyait à intervalle régulier, des informations de l’Agence France presse où nous étions abonnés.

Nous avons fait ce choix pour des raisons évidentes. Quand je me retrouve avec Sidwaya, il y a toute cette histoire qui me revient à l’esprit. Donc, nous sommes doublement confrères.

S : Avez-vous des motifs d’insatisfaction cinquante années après ?

E.O.: Cinquante années après, d’abord moi-même, je suis toujours là ! J’en rends grâce à la providence. Un certain nombre de ceux qui ont participé à l’épopée du journal sont là. Et, nous sommes heureux de constater que la presse burkinabè que nous connaissons aujourd’hui a été, qu’on le veuille ou non, plus ou moins formatée par la ligne éditoriale tracée par L’Observateur.

Qu’est-ce que L’Observateur avait comme ligne éditoriale ? C’était d’être un journal d’information générale, de service public, mais surtout un journal ouvert à toute forme d’expression, à toute sensibilité politique, économique, philosophique, idéologique et autre. Pas de discrimination ! Nos pages étaient largement ouvertes à tout le monde. Donc, nous n’étions pas un journal d’opinion qui avait des objectifs idéologiques qu’il poursuivait à l’exclusion des autres.

Nous avons voulu faire dans l’inclusion. Nous acceptions tout le monde y compris les opinions et les formations politiques ou les chapelles de pensées dont nous ne partagions pas l’orientation. Mais nous pensions que notre rôle, c’était justement de donner la parole à tout ce monde.

S : L’incendie de L’Observateur sous la Révolution restera une page noire de la presse burkinabè et de votre journal en particulier. Qui, selon vous, est à la base de cet acte ?

E.O.: On ne peut pas de manière catégorique indexer les coupables. Disons que l’incendie est intervenu dans un contexte révolutionnaire. C’était un contexte qui était beaucoup plus porté par la propagande, l’idéologie que par le type de journalisme que nous prônions, dont nous étions les représentants et dont les révolutionnaires, quand ils n’étaient pas au pouvoir, avaient largement bénéficié.

Puisque Thomas Sankara, lorsqu’il était jeune lieutenant, a été même notre dépositaire à Pô. Parce qu’à l’époque en bon marxiste, il savait tout le parti que son courant pouvait tirer d’un journal comme L’Observateur. Mais une fois qu’ils sont parvenus au pouvoir, ils ont estimé que L’Observateur avait fini de jouer son rôle historique et qu’à partir du moment où la Révolution a triomphé, un journal comme celui-là n’avait pas sa place et qu’il fallait maintenant encourager plutôt l’éclosion d’un journalisme de mobilisation, de sensibilisation et de conscientisation du peuple.

Sidwaya est né un peu dans cette ambiance ,le 5 avril 1984 et je crois que dans sa manchette, c’était mis Journal de mobilisation et de conscientisation du peuple. Vous voyez donc l’orientation ! Ce n’était pas du tout l’orientation de L’Observateur qui était un journal d’information général.

S : Comment L’Observateur a vécu cette période jusqu’à renaitre de ses cendres ?

E.O.: C’était difficile puisque pendant sept bonnes années, nous avons connu la traversée du désert. Quand il y a eu la rectification, nous avons pensé qu’il y avait une décrispation en faveur de laquelle, le journal pouvait renaitre de ses cendres. C’est en ce moment que nous avons compris que c’étaient les révolutionnaires qui avaient incendié le journal puisque même sous la rectification, nous avons voulu reprendre la publication du journal, cela n’a pas été facile.

Nous avons essayé de forcer la main des nouvelles autorités en lançant un numéro en janvier 1989. Cela a été un tollé. Disons qu’il y a eu deux mouvements ; dans l’opinion ,cela a été une explosion incroyable de joie parce que quand les gens ont vu ce journal, le 29 janvier 1989, dans les kiosques, ils se sont dits : la liberté est revenue et la ville bouillonnait ce jour-là. Mais évidemment du côté de ceux qui étaient au pouvoir, c’était le Front populaire, une espèce de variante de la révolution, ils ne l’entendaient pas de cette oreille.

Il y a eu une cabale montée de toute pièce avec des condamnations et les conséquences en ont été que la SONABEL a été réquisitionnée pour venir couper le courant à L’Observateur. Ils ne se sont pas contentés pour couper le fil classique. Ils ont décroché la ligne qui alimentait le journal pour être sûrs qu’on ne pourrait plus paraitre. Il a fallu attendre qu’une nouvelle loi naisse régissant la presse.

Quand cette loi est née, elle avait bien pris soin de mettre quelque part que tout journal ayant cessé de paraitre pendant au moins un an est tenu de demander une nouvelle autorisation avant de pouvoir paraitre. Donc c’est ce qu’on appelle une loi « Art Aunimen ». Elle visait L’Observateur.

A partir de ce moment, nous étions obligés de demander une nouvelle autorisation pour pouvoir paraitre puisqu’à partir de cette nouvelle loi, l’ancienne loi de 1959 sous laquelle nous paraissions était caduque ; donc notre autorisation de paraitre était caduque. Il fallait maintenant recommencer. Nous avons recommencé et une des conditions pour qu’on puisse reparaitre était de changer de nom parce que le nom L’Observateur rappelait un passé condamné par la Révolution.

C’est pour cela que nous avions mis L’Observateur Paalga. Au niveau du ministère de l’Administration territoriale, notamment à la Direction des libertés, il y avait des gens qui disaient que c’est le mot Observateur qu’il fallait bannir. Mais finalement il faut reconnaitre qu’en février 1991, au moment où nous reparaissions, la conjoncture internationale avait totalement changé.

Le mur de Berlin était tombé. Le discours de La Baule avait eu lieu et les gouvernements africains étaient tenus de démocratiser, de favoriser le pluralisme, c’est dans ce contexte que nous avons pu finalement reparaitre le 15 février 1991 sous la manchette de L’Observateur Paalga.

S : Sous quel signe est placé le cinquantenaire de L’Observateur Paalga ?

E.O. : En principe, cela devrait être sous le signe de la joie, la jubilation même, puisqu’il s’agit d’un jubilé. Mais ce sera à la limite, de l’inconscience que de dire que nous allons jubiler pour plusieurs raisons. D’abord, cet anniversaire intervient dans un contexte national qui n’est pas du tout à la fête. Quand nous savons tous l’insécurité qui gangrène notre pays avec ses conséquences humanitaires, sanitaires et autres, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser.

Personne aujourd’hui au Burkina n’a le cœur à la fête. Mais si nous avons tenu à marquer les événements, c’est une forme de résilience tout comme on a tenu à ce que le FESPACO, la Semaine nationale de la culture et autant d’actes de résilience aient lieu face à ces obscurs qui veulent que tout cela cesse au Burkina Faso. Nous avons aussi pensé qu’à notre modeste niveau, ne fût-ce que de façon vraiment symbolique, il faut marquer cet anniversaire.

C’est pour cela que nous avons choisi de le marquer essentiellement par un colloque international qui va réfléchir sur le défi que représente pour les médias traditionnels, les médias classiques et le numérique. Que faire face à la dominance, à l’omnipotence des réseaux sociaux qui font qu’aujourd’hui, nous journalistes professionnels n’avons plus le monopole de l’information.

Tout le monde est devenu journaliste et comme on dit, il en est de l’information comme de la monnaie. En matière financière, on dit que la mauvaise monnaie chasse la bonne. En information, la mauvaise information chasse la bonne. Avec les réseaux sociaux où s’improvisent toutes sortes d’informateurs, de journalistes, la presse classique n’a plus pignon sur rue. Les réseaux sociaux offrent ces produits gratuitement.

Cette stèle fixée dans l’enceinte du journal indique les différentes péripéties que L’Observateur Paalga a traversées.

C’est de la consommation rapide ; comme on le dit, c’est la malbouffe face aux journaux classiques qui veulent faire de l’information, c’est-à-dire recouper, contextualiser avec une certaine valeur ajoutée. Cela a un coût, mais cela n’intéresse plus les gens ; donc résultats, que ce soit au Burkina, dans les pays voisins ou ailleurs dans les pays développés à commencer ces derniers, cela se traduit évidemment par une baisse drastique non seulement des recettes de vente, mais aussi de publicité qui sont le nerf de la guerre.

Un journal ne peut pas vivre conséquemment sans publicité. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous avons pensé qu’à l’occasion de cet anniversaire, c’est bon que nous puissions convoquer, à Ouagadougou, les sommités de journalisme et de l’information pour réfléchir sur le parti que nous pouvons tirer de cette nouvelle donne à savoir l’omniprésence du numérique. Qu’est-ce que nous pouvons en tirer comme opportunité ? Comment pouvons-nous résister face à la croupière que ce numérique est en train de tailler à la presse ?

S : En dehors du colloque international qu’est-ce qui est prévu comme principales activités ?

E.O.: Il y aura également en marge de ce cinquantenaire, une journée portes ouvertes. Selon bien sûr l’accompagnement de nos partenaires, il y aura un geste de solidarité vis-à-vis des premières victimes du terrorisme que sont les familles de ceux qui sont morts, de ceux qui ont versé leur sang sur le champ de la reconquête de notre territoire et les personnes déplacées qui surchargent bien sûr nos centres urbains.

S : Que pensez-vous de l’évolution de la presse burkinabè ?

E.O.: La presse burkinabè, si l’on en croit au classement de Reporter sans frontière, également les différentes revues de la presse sur les chaînes internationales comme RFI, la BBC, etc. nous sommes quand même une presse de référence. Nous étions jusqu’à une date récente, une presse de référence. Non pas que nous soyons meilleurs journalistes qu’ailleurs, mais, nous sommes assez professionnels. Nous faisons vraiment un journalisme d’informations générales, de service public.

Nous ne pratiquons pas un journalisme d’opinion même si chaque journal a son opinion et même si à un moment donné il y a eu un journal qui s’est appelé L’Opinion. Mais c’était un journal d’informations générales même s’il a ses propres opinions. Ce qui fait une des grandes particularités de la presse écrite, c’est que nous faisons beaucoup dans le transversal.

J’entends par là que nous ne faisons pas du narcissisme, du nombrilisme. Nous ne nous intéressons pas seulement à ce qui se passe chez nous. Nous nous intéressons à ce qui se passe autour de nous, dans les pays voisins voire au-delà. C’est ce qui fait une des particularités de la presse burkinabè.

S : De nombreux journalistes ont fait leurs armes à travers des stages à L’Observateur Paalga. Comment appréciez-vous leur travail sur le terrain ?

E.O.: Disons que cela a été toujours avec plaisir que nous accueillons les stagiaires parce que non seulement ce sont des bras, mais aussi des sensibilités, c’est autant d’expériences pour nous-mêmes. Ils viennent avec un certain savoir-faire et surtout la nouvelle génération vient avec une connaissance et une maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication, des connaissances qui ne sont pas du tout les nôtres.

Si vous me prenez là, je suis totalement analphabète. Je dis souvent que je suis au « bantaré »1 en ce qui concerne ces nouvelles technologies de l’information et de la communication. Chaque fois que nous recevons des journalistes qui viennent de cette nouvelle vague, c’est autant de plumes nouvelles qui viennent enrichir nos contenus rédactionnels et quand par la suite ils vont ailleurs et qu’ils assument des responsabilités, nous nous sentons plus ou moins parties prenantes de ce qu’ils sont devenus.

C’est avec plaisir que nous contemplons et apprécions ce qu’ils font. Il y en a même qui étaient là qui ont travaillé ici et ils sont allés lancer leur propre organe de presse. C’est cette mobilité qui fait la beauté de notre métier.

S : Depuis l’avènement de la Transition la question de la liberté de presse et d’expression fait débat. D’aucuns n’hésitent pas à parler de tentative de musellement de la presse. Qu’en pensez-vous ?

E.O.: Sur le plan institutionnel, je ne suis pas témoin d’une mesure prise par les autorités en tant que telles contre des organes de presse ou contre des journalistes. Mais, il y a une ambiance générale qui est là notamment sous le MPSR II. Les partisans du nouveau président ne sont pas conscients que ce qu’ils font n’est pas forcement productif pour son régime. Il y a une ambiance d’intolérance, d’inquisition dans les réseaux sociaux.

Ce ne sont pas des gens qui osent utiliser les canaux classiques (la télévision, la presse écrite, la radio, etc.) pour s’exprimer et défendre leurs idées. Ce sont les réseaux sociaux dont nous connaissons tous l’ampleur et dans les langues nationales. Je peux dire que j’ai suivi quand même l’évolution de ce pays. On n’a pratiquement jamais vu cette ambiance de chasse aux sorcières. Ce n’est pas seulement contre les journalistes, c’est contre les leaders d’opinion à commencer par les partis politiques, les Organisations de la société civile (OSC) qui ne se sentent plus libres de penser comme c’était le cas de par le passé.

Et ce qu’on peut peut-être reprocher au régime en place, c’est le laisser-faire. Sinon, évidemment, nous sommes dans une situation de guerre et la loi permet un certain nombre de choses. Le gouvernement a décrété l’état d’urgence dans certaines zones et d’une manière générale, il a décrété la mobilisation générale et la mise en garde. Mais tout cela n’est pas assorti de décrets et d’arrêtés d’application qui disent franchement voilà ce qu’il faut faire, voilà ce qu’il ne faut pas faire. Par exemple sous la 2e et la 3e République, il y avait la liberté d’expression.

Mais à un moment donné, ils (les gouvernants de l’époque, Ndlr) l’ont encadrée par une commission interministérielle de contrôle de la presse. Donc, les journaux savaient exactement ce qu’il fallait faire. Ce n’est pas les contenus que l’on contrôlait. Mais c’était un contrôle a posteriori. On n’empêchait pas d’écrire, mais après le gouvernement se réservait le droit de pouvoir saisir le journal. L’Observateur a été saisi à plusieurs reprises surtout sous la 3e République.

Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut instaurer parce que c’est liberticide, mais en ce moment on savait exactement où mettre les pieds. En dehors de cette commission, il n’y avait pas autre chose, personne n’était menacée. Aujourd’hui, ce n’est pas la loi qui menace. Ce sont ceux qui sont dehors qui ne savent même pas ce que la loi dit et ne dit pas, qui menacent, qui sont capables d’aller s’en prendre soit à des OSC, soit à des partis politiques ou à des organes de presse ou même à des journalistes, qu’ils peuvent suspecter ou accuser de ne pas ramer dans le même sens qu’eux.

S : Des médias burkinabè font l’objet de critiques en ces temps de Transition. Est-ce le rôle de la presse d’accompagner une Transition notamment dans ce contexte de lutte contre l’insécurité ?

E.O.: Cela dépend. Normalement si on est un journal d’informations générales qui croit œuvrer pour la démocratie, qui pense qu’il n’y a que la démocratie, comme le disait Churchill « la démocratie est le pire des régimes à l’exception des autres », c’est-à-dire que les élections pluralistes restent encore le mode de dévolution, le moins mauvais pour l’accession au pouvoir, c’est ce que les journaux d’informations générales encouragent l’accession au pouvoir par les urnes.

Donc en principe, comme tout bon démocrate, nous sommes contre la prise du pouvoir par les armes. Mais, il y a des situations de fait. Si un régime de Transition est là, nous apprécions les circonstances. Le rôle, c’est aussi de ne pas condamner à priori et de juger sur pièce. Si le régime explique pourquoi il est venu par les armes et trace sa feuille de route, on commence à le juger sur cette base.

S’il dit être venu pour la récupération de l’intégrité territoriale, le retour des personnes déplacées internes dans leurs régions d’origine, on juge cette Transition sur cette feuille de route. S’il prend aussi des engagements avec la communauté internationale en disant par exemple que je retournerai dans les casernes dans tel délai, ce sont aussi des éléments de la feuille de route qui permettent de juger ou d’apprécier la Transition. D’une manière générale, on ne peut dire qu’on soutient ou pas. Mais on juge et on apprécie la Transition en fonction de sa feuille de route.

S : Dans le contexte actuel marqué par l’insécurité, le gouvernement a-t-il tord de demander aux médias de l’accompagner dans ses efforts ?

E.O.: Si ces efforts visent vraiment au recouvrement de l’intégrité du territoire, il n’y a pas ce Burkinabè qui peut être contre. Rappelez-vous une de nos manchettes qui est peut-être passée inaperçue, quand le gouvernement avait envisagé de ponctionner 1% des revenus pour soutenir l’effort de guerre. Dans l’édition qui a suivi, à L’Observateur, nous avons dit que nous sommes à 200% pour cette opération.

Je ne sais si notre manchette a eu l’effet que nous avions souhaité. Mais, nous y croyions simplement parce que le directeur de L’Observateur a vécu quand même d’autres situations. Nous avons vécu 1974, quand il y a eu le malheureux conflit avec le Mali et que la Haute-Volta s’est retrouvée totalement désarmée. Nous n’avions pratiquement pas de pétoire, à plus forte raison un bon fusil. Qu’est-ce qu’il a fallu ?

Les fonctionnaires ont donné 50% chacun de leur salaire. Les travailleurs du privé ont fait autant. Les opérateurs économiques y compris les commerçants ont donné un certain montant de leurs chiffres d’affaires et même ceux qui sont dans l’informel ont donné l’équivalent de la patente pour l’effort de guerre. En six mois, nous avons comblé le déficit en armement que nous accusions face à nos frères de l’autre côté.

Nous nous souvenons encore de cette époque. Quand la patrie est en danger, quand il y a péril en la demeure, il faut accepter un certain nombre de sacrifices. Donc, nous avons dit que nous étions à 200% pour cette perspective de renflouement du fonds de soutien à l’effort de guerre. Malheureusement cela n’a pas prospéré. Mais c’est pour dire que nous sommes les premiers à souhaiter que le régime réussisse dans sa politique de reconquête de l’intégrité du territoire et du retour des déplacés internes dans leurs régions d’origine.

S : Vous avez écrit un ouvrage intitulé “Heurs et malheurs de la politique et du journalisme au Burkina Faso. Quelles leçons ?” Pensez-vous que les journalistes, les politiques et le peuple burkinabè ont tiré leçons de notre histoire politique ?

E.O.: Un des malheurs de la politique et du journalisme au Burkina Faso, ce n’est pas un livre qui peut changer les mœurs ou un pays. Un livre c’est une petite lueur qu’on sème dans les ténèbres, pour reprendre le titre d’un poème que vous avez peut-être lu sur les bancs des lycées et collèges. C’est comme une bouteille à la mer. On lance. Il y en a qui l’attrape. D’autres passent à côté. Ils se posent la question qu’est-ce qui flotte.

Il y a beaucoup de références dans ce livre pour comprendre ne serait-ce que chronologiquement un certain nombre d’évènements. Mais dire qu’il y a eu un changement total, non. Je ne pense pas qu’il y ait qualitativement un changement grâce à ce livre.

S : Comment appréciez-vous la lutte engagée contre le terrorisme par les autorités de la Transition.

E.O.: Je pense que les autorités ont le dos au mur, elles n’ont pas le choix que de réussir. Nous aussi, nous n’avons autre choix que de souhaiter qu’elles réussissent. Si nous devons encore recommencer, nous aurons atteint le fond du fond. Nous ne souhaitons pas cela. Nous souhaitons que les actions qui sont entreprises aboutissent rapidement à la reconquête du territoire et au retour des déplacés dans leur localité d’origine.

Pour cela, il faut qu’on cultive un certain sentiment d’union, qu’on travaille dans un esprit d’inclusion que d’exclusion. Il n’y a pas de bon et de mauvais Burkinabè dans cette affaire. Que le pouvoir essaie de discipliner ceux qu’il croit le servir en menaçant et en voulant instaurer un régime d’inquisition dans ce pays. Ils ne sont pas les seuls à aimer le Burkina Faso. Même ceux qu’ils menacent.

Il faut que nous ayons une politique d’union sacrée où il n’y a pas d’exclusion sauf si effectivement, vous prenez la main dans le sac, des gens qui rament à contre-courant, qui ont un lien avec l’ennemi. Là aussi, la loi est là pour les sanctionner. Ce n’est pas à des individus de s’arroger le droit de faire justice.

Selon moi, il ne faut pas oublier un des points qui devrait figurer sur la feuille de route de n’importe quel régime de Transition, l’esprit de réconciliation nationale. Il faut travailler à cela en se disant que tous ceux qui sont passés, chacun a essayé de faire quelque chose. Peut-être qu’il n’a pas pu aller jusqu’au bout, mais personne n’a totalement démérité.

Ceux qui sont là aujourd’hui auraient tort de croire qu’ils sont les seuls sauveurs. Ils ne sauveront pas seuls le Burkina Faso, ils vont le sauver avec nous tous dans l’inclusion.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

Imelda BATIONO (Stagiaire)

« bantaré »1 : Alphabétisation en langue nationale

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