L’Emir du Yagha, Boureima Ly, est porte-parole d’un groupe de pression composé, entre autres, de leaders religieux et d’ONG, qui mène un plaidoyer en faveur de la prise en compte des attentes des populations des régions du Sahel et du Nord, bénéficiaires du Programme d’urgence pour le Sahel (PUS). Dans cet entretien, il revient sur la mise en œuvre de ce programme et la lutte contre le terrorisme.
Sidwaya (S) : Depuis quelques années, la province du Yagha essuie des attaques. Une situation qui affecte la vie des populations…
Boureima Ly (B.L.) : C’est depuis courant novembre 2017 que le Yagha vit dans l’insécurité. Cela a démarré par des écrits en arabe que l’on affichait dans les écoles avec des menaces de les fermer. Par la suite des enseignants ont été agressés. La première école victime se situe à Datambi dans la commune de Bundolé. Cette attaque a occasionné le départ massif de la population de Datambi, dont environ 80% s’est déplacé vers Sebba. Ensuite, les institutions de l’Etat ont été prises à partie, notamment les commissariats. Après, ils s’en prenaient à tout leader qu’il soit religieux ou élu. Les leaders coutumiers eux ont été victimes d’enlèvement, mais certains d’entre eux ont eu la chance d’être libérés.
Durant toute l’année 2018, il était difficile d’aller à l’intérieur de la province du Yagha. Il n’y avait que deux communes qui étaient épargnées, Titabé et Tankou. A partir de 2019, l’insécurité s’est généralisée à la suite de l’attaque de la communauté protestante de Sebba. Depuis lors, toutes les écoles et les autres services de l’Etat ont fermé. C’était le sauve qui peut. Il faut souligner que seuls les services de la santé avec les CSPS dans les communes fonctionnaient normalement.
L’attaque de Sebba, le 29 février 2020 a contribué également à renforcer le sentiment d’insécurité au sein de la population. Le Yagha était devenu une vraie zone rouge. Actuellement, il y a une sorte d’accalmie. L’accalmie c’est que l’on ne voit plus comme d’habitude un voisin tué ou un frère décapité devant soi, mais l’insécurité n’a pas bougé d’un iota. Et les gens restent hantés par les tirs ça et là.
S : Pourquoi êtes-vous resté alors que tout le monde partait ?
B.L. : C’est vrai que j’ai subi beaucoup de pressions d’amis pour quitter Sebba, mais j’ai toujours répondu que le jour où il faudra quitter je le ferai. Je me sens en sécurité chez moi et je n’ai pas reçu de menace, même s’il est vrai que je ne peux plus me déplacer comme je le veux à l’intérieur de la province.
S : N’êtes-vous pas un peu frustré face à la situation que vivent les populations dans des régions en proie à l’insécurité comme le Yagha ?
B.L. : Je suis quand même un peu frustré, lorsque j’entends des gens de Ouagadougou ou d’ailleurs dire qu’il n’y a aucune partie du territoire qui échappe au contrôle de l’Etat, alors que nous sommes pratiquement pris en otage.
Cela fait encore plus mal quand j’entends que ce sont les membres d’une communauté qui sont les terroristes, alors qu’ils font partie de ceux qui ont le plus subi ce terrorisme.
Ce n’est pas une histoire d’ethnie, mais de croyance. Voyez-vous, ce sont des nouveaux musulmans qui sont entrés dans la religion et qui exagèrent. Il y a des gens qui pensent qu’ils sont venus pour redresser la religion. Il y a d’autres qui ont accumulé des frustrations et qui veulent se venger.
S : Les actions des Forces de défense et de sécurité (FDS) sont engagées sur le terrain. Comment appréciez-vous leur travail ?
B.L. : Pour moi, les FDS sont composées des militaires et des gendarmes, parce que depuis l’attaque du 29 février 2019, la police n’est plus à Sebba. L’arrivée des militaires autour du 20 mars 2020 à Sebba a apporté un répit. Mais les voyages restent toujours difficiles. Il y a eu un autre détachement militaire en février 2021 installé à Mansila, la plus grande ville du Yagha en terme de population et celle qui a subi le plus, les actes terroristes.
S : Depuis plus d’un an, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) sont aussi au front. Quelle appréciation faites-vous de leur travail ?
B.L. : De façon générale, le Yaghabè ne se presse pas pour adhérer à une nouvelle opinion ou à une décision. Les gens sont très méfiants, surtout que beaucoup ont reçu des menaces. Le recrutement des VDP a été très difficile et a pris beaucoup de temps. Mais quand même, un petit nombre a été recruté d’abord à Sebba et tout dernièrement à Mansila à la suite de l’arrivée du détachement. Les VDP sont encadrés par l’armée et la gendarmerie. Pour le moment, il n’y pas d’écarts de conduite de leur part. On les a exhortés à être très professionnels, surtout que ceux qui nous attaquent sont des fils de la zone qui n’ont aucune formation professionnelle et ne respectent rien. Et s’il y a des déviances au niveau des VDP, cela peut porter un grand coup à la sécurité.
S : Pour favoriser le développement de la région et lutter contre l’insécurité le gouvernement a mis en place le Programme d’urgence pour le Sahel (PUS) dont votre région est bénéficiaire. Comment appréciez-vous la mise en œuvre de ce programme ?
B.L. : La zone du Sahel a été beaucoup appuyée par les partenaires, à travers une méthode de mise qui est celle participative. Alors qu’avec le PUS, comme son nom l’indique, il s’agit d’un programme d’urgence. On ne pouvait pas passer par les procédures habituelles.
Au début donc, beaucoup étaient sceptiques, le programme était méconnu, mais à force de multiplier les cadres d’expression et d’échanges, les populations y ont finalement adhéré. Il faut dire que le projet Voix de paix, exécuté par l’ONG Equal acces international, a facilité l’implication des populations dans le PUS, grâce aux émissions diffusées par les radios locales. Cette ONG a d’ailleurs toujours appuyé les médias et les radios communautaires.
Malgré l’insécurité, ils ont échangé aussi avec les leaders.
En raison de l’insécurité, certaines zones n’ont pas pu bénéficier des infrastructures prévues, mais là où c’était possible, des infrastructures ont été réalisées. C’est ainsi que beaucoup de marchés et de forages ont été implantés. La province, qui en a le plus bénéficié est le Séno. Hormis Gorgadji qui était en plein dans l’insécurité, les cinq autres communes jouissaient d’une relative sécurité. Le programme lancé en 2017 à Tongomael arrive à terme en 2021 et comme l’accalmie est revenue dans certaines zones, pour nous il y a lieu de continuer les actions qui étaient prévues.
C’est pour cela que nous avons recensé toutes les préoccupations des populations dans un rapport que nous avons remis au ministère de l’Economie, des Finances et du Développement en juillet 2020. C’est le sens de notre plaidoyer auprès des autorités compétentes. Partant de là, en mars 2021, nous avons été reçus par la ministre déléguée à l’Aménagement du territoire qui nous a donné le retour de nos doléances.
S : Vous avez participé, dans le cadre du projet Voix de paix, à la compilation des attentes des populations des régions du Sahel et du Nord par rapport à la réalisation du PUS. Quelles ont été vos principales attentes ?
B.L. : D’abord, il y a la maîtrise de l’eau. Ce volet était pris en compte par le PUS mais pas de la façon attendue par la population. Le Sahel est la zone d’élevage à ciel ouvert, il faut donc des forages pastoraux. Le maraîchage y est très développé et procure des revenus à beaucoup de femmes.
Du reste, le Sahel ne manque pas d’eau de surface, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Dans le Yagha par exemple, il y a 72 bas-fonds, 3 affluents du Niger et l’un des plus grands lacs du Burkina, celui de Higa. A cela s’ajoute le barrage de Niapsi construit depuis les années 1963 mais qui n’a jamais été aménagé avec de grandes berges que l’on pourrait exploiter.
La deuxième attente concerne l’autonomisation surtout des femmes et des jeunes. La femme sahélienne a toujours fait son commerce. Le lait appartient à la femme, il lui revient d’enlever une portion pour la famille et le reste est vendu sous forme de lait frais, caillé ou même de beurre. Si on met en place quelques unités légères pour la transformation du lait cela pourrait contribuer à leur épanouissement.
L’autonomisation des jeunes est aussi importante, parce qu’on le sait, le poumon d’un pays c’est sa jeunesse. Quand un adversaire veut ralentir les efforts de développement d’un pays, il s’attaque à sa jeunesse. Elle ne peut pas être inactive. Si l’Etat n’arrive pas à les occuper, les autres vont le faire. Il y a donc lieu de créer des activités génératrices de revenus pour occuper la jeunesse. Les opportunités existent mais il faut un minimum pour les saisir. Un peu partout, il y a les caisses populaires qui peuvent donner des crédits aux jeunes mais c’est surtout la garantie qui pose problème. L’Etat devrait intervenir pour inciter des structures de l’Etat et de la société civile à prendre en charge cette garantie. Cela va faire gagner des revenus aux jeunes mécontents qui représentent une bombe pour leur pays, s’ils sont dans l’oisiveté totale.
Une autre attente des populations qu’on ne cesse de répéter concerne les infrastructures routières. Il y a lieu de désenclaver le chef-lieu de la région et les chefs-lieux de province. Il y a juste trois axes à bitumer. Le plus long est l’axe Dori-Djibo qui fait 200 km. Ensuite il y a Dori-Sebba, 100 km et Dori-Gorom, 57 km. Si ces 3 voies venaient à être bitumées, non seulement on va éviter les mines posées par nos détracteurs mais cela va faciliter la circulation.
Les techniciens le disent, le Sahel n’est pas pauvre mais il y a lieu de mettre en place un minimum d’infrastructures pour booster le développement de la région.
Puisque la sécurité revient progressivement, il faut voir comment organiser le retour des personnes déplacées internes dans leurs sites d’origine. C’est un processus qui n’est pas facile, parce que celui qui a quitté a tout perdu : son grenier est brûlé, ses animaux ont disparu.
Etant donné qu’on ne peut pas évoluer dans une clairière, tout est à reconstruire. On ne pouvait pas parler de cela avant, parce que les gens cherchaient à sauver leur vie, beaucoup ont vu leur fils mourir devant eux, ils ne pouvaient donc pas s’occuper des animaux. Maintenant qu’il y a une paix relative, il faut que ces animaux soient là pour reprendre la vie. Les dons de sac de mil sont bien, mais on doit dépasser cela pour faire en sorte que les déplacés aient de quoi vivre décemment chez eux.
En dernière position, je reviens sur la sécurité. Il faut un minimum de sécurité pour que toutes les attentes puissent se réaliser, parce que jusque-là, il reste beaucoup à faire. Si je prends l’exemple de la province du Yagha, il faudrait que chaque commune ait un détachement militaire, ne serait-ce que pour encadrer les volontaires issus de la population. Je n’ai pas dit que c’est l’arme qui va donner la paix. Le problème que nous avons maintenant, c’est que ce ne sont plus des étrangers mais nos propres fils mécontents pour plusieurs raisons qui nous attaquent. Franchement dit, au Yagha c’est un problème religieux qui se pose.
Les groupes armés imposent une manière de s’habiller (la burqa qu’ils vendent à 2 000 F CFA) et si la sécurité n’est pas présente, les gens sont obligés de suivre leur volonté ou de se déplacer. Si un déplacé a un minimum de sécurité, il va retourner chez lui, parce que chaque jour que Dieu fait, il perd davantage.
S : Comment appréciez-vous la prise en compte de ces attentes dans la programmation des activités élaborées par le gouvernement en 2021 ?
B.L. : En tout cas, si les actions prévues dans la programmation 2021 du PUS venaient à se mener, 80% de nos attentes vont être prises en compte. Nous avons même reçu le document de programmation.
Les actions prévues se recoupent effectivement avec nos attentes compilées dans le document que nous avons remis en juillet 2020. Et nous en sommes satisfaits.
S : Quelles sont les suggestions pour améliorer la mise en œuvre du PUS ?
B.L. : Equal Acess est en train de boucler le projet Voix de paix. Pourtant, j’aurai voulu que le groupe de pression constitué par les représentants des populations soit maintenu afin de continuer le plaidoyer. La situation reste aléatoire.
En fonction du degré sécuritaire, les préoccupations changent.
Je voudrais que des concertations soient menées davantage pour suivre l’exécution pas à pas du PUS.
L’Etat a beaucoup à faire et nous avons peur qu’il ne finisse par oublier nos préoccupations devant les nombreuses sollicitations.
S : Quelles sont les suggestions qui permettront selon vous de mieux lutter contre l’insécurité ?
B.L. : La paix va revenir, c’est certain ! Mais je ne saurai dire quand. Pour que la sécurité revienne, il faut que les gens acceptent de changer à tous les niveaux. Tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir religieux, économique ou même de la part de l’Etat doivent changer de comportement.
Le terrorisme est venu pour nous faire changer de comportement. Pour faire revenir ceux qui ont pris les armes contre leurs propres familles, la solution vient de nous-mêmes. De manière concrète, tout leader qui a une portion de pouvoir doit l’exécuter de façon exemplaire et mesurée.
Les pratiques anciennes qui consistent à racquetter les villageois ou à abuser de son pouvoir doivent cesser. Personne ne doit rester indifférent face à l’injustice d’un concitoyen.
A défaut de pouvoir réparer, il faut au moins dénoncer l’injustice lorsque l’on en est témoin.
Interview réalisée par
Nadège YE