C’est une décision qui ne réjouit pas le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Dans une ordonnance datée du 16 mai dernier, la juge d’instruction du Pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris a mis fin aux investigations visant Agathe Habyarimana pour complicité dans le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda. « Il n’existe pas à ce stade d’indices graves et concordants contre Agathe Kanziga Habyarimana qu’elle ait pu être complice d’actes de génocide ou pu participer à une entente en vue de commettre le génocide », a-t-elle conclu. A 82 ans, la veuve du défunt président rwandais Juvénal Habyarimana, sous le coup d’un mandat d’arrêt de son pays depuis 2009, échappe ainsi à une mise en examen.
Elle ne sera pas soumise à un procès, mais est-elle sortie de l’auberge pour autant ? L’histoire retient que c’est l’assassinat du mari d’Agathe Habyarimana en avril 1994, qui avait déclenché le génocide, avec au total 800 000 morts. Ce sont les Tutsis (ethnie minoritaire), qui avaient été massacrés par les forces armées rwandaises et les milices hutus, de l’ethnie d’Agathe Habyarimana et de son défunt époux. Pour les défenseurs des droits de l’homme, la « veuve noire » comme on l’a surnommée, ne peut pas être blanc comme neige dans l’affaire du génocide, vu sa position de première dame à l’époque. Aussi font-ils référence à des mots d’ordre qu’elle aurait pu donner dans l’exécution de certaines victimes. Les plaignants accusent Agathe Habyarimana d’être l’un des dirigeants du premier cercle du pouvoir hutu initiateur du génocide, en l’occurrence « Akazu ». Alors qu’elle croit dur comme fer à l’implication de l’ex-Première dame, la FIDH évoque l’existence de « preuves largement suffi-santes» pour la mettre en examen, mais « balayées au nom d’une prudence judiciaire excessive ».
Si Agathe Habyarimana peut prétendre à un non-lieu à la suite de la décision de la juge d’instruction, la procédure n’est pas encore totalement finie. Ce mercredi 21 mai, une audience à huis clos doit se tenir, à la suite d’une saisine de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris par le Parquet national antiterroriste (PNAT), en vue de la mise en examen d’Agathe Habyarimana « pour entente en vue de commettre un génocide ». Cette audience débouchera-t-elle sur un renvoi devant la justice de dame Agathe ? On peut en douter, au regard de la décision rendue par la juge d’instruction, qui laisse entrevoir la possibilité d’un non-lieu. Si elle déçoit les ayants droit des victimes du génocide de 1994, la décision de non mise en examen d’Agathe Habyarimana interroge sur la capacité des juridictions occidentales à juger des crimes internationaux. La difficulté de rassembler des preuves solides sur des faits commis depuis plusieurs décennies dans d’autres contrées peut être un véritable frein à la manifestation de la vérité. Sans oublier les influences politiques qui ne sont pas à exclure dans ce genre de dossiers.
Le cas d’Agathe Habyarimana pose particulièrement question. Sa présence dans l’Hexagone depuis 1998 met à mal les relations avec le Rwanda qui a vu toutes ses demandes d’extradition refusées. Kigali est en droit de faire grise mine, dans la mesure où Paris ne veut pas renvoyer l’ex-Première dame dans son pays. Alors qu’elle est sous le coup d’un mandat d’arrêt et sans statut légal en terre française, sa demande d’asile n’ayant pas abouti. C’est à croire, que Paris protège Agathe Habyarimana, qui jusque-là s’en sort bien sur le plan judicaire. Cette situation remet sur la table le rôle trouble de la France dans
le génocide, comme l’a indiqué le rapport de mars 2021 de la Commission d’historiens dirigée par Vincent Duclerc. Les enquêteurs n’ont-ils pas parlé de « responsabilités accablantes » de ce pays ?
Kader Patrick KARANTAO