Lutte contre le terrorisme : « le bout du tunnel n’est plus loin », Sita Djerma, ancien maire de Toéni dans le Sourou

Sita Djerma, administrateur maritime et diplômé en relations internationales : « Plus rien ne s’oppose désormais, objectivement du moins, à la mutualisation, en toute confiance des forces nationales engagées dans la bataille contre le terrorisme au Sahel ».

L’ancien maire de la commune rurale de Toéni (province du Sourou), Sita Djerma évoque, dans cette interview, les questions sécuritaires, la contribution des chefs coutumiers à la mobilisation populaire par rapport aux nouveaux enjeux géostratégiques, la gestion de la Transition burkinabè et également les questions internationales. A ce propos, l’administrateur des affaires maritimes et diplômé des relations internationales, aborde les enjeux internationaux des nouvelles dynamiques en Afrique marquées par des coups d’Etat au Sahel comme en Afrique centrale, en passant par la Guinée.

Honoré Kirakoya (H.K) : La situation sécuritaire du Burkina et de la région du Sahel en général fait couler beaucoup d’encre et de salive. Comment analysez-vous celle du Burkina depuis un certain temps?

Sita Djerma (S.D) : Ces réactions auxquelles vous faites référence sont généralement celles des organisations de la société civile qui font floraison dans notre sous-région et au Burkina en particulier. Souvent pour soutenir le pouvoir, parfois pour le discréditer. Je suis de la génération de ceux qui n’ont plus aucune raison objective de jouer ni les “vuvuzelas” ni les détracteurs patentés, relevant qu’ils sont tous deux de la même espèce. Cependant, je suis acquis à la conviction qu’avec le gouvernement d’Ibrahim Traoré, nous jouons notre dernière cartouche.

J’ai du mal à imaginer un seul instant une situation où mon pays retournerait à la case départ. Ce serait un drame. Nous avons eu le “faux-départ” de Paul Henri Sandaogo Damiba. L’équipe Traoré est arrivée dans les conditions que l’on sait, avec les résultats encourageants déjà enregistrés mais déjà des voix s’élèvent pour dénoncer son incompétence. Mais à mon avis, tout cela relève plus de la politique politicienne dont tant de milieux dans ce pays sont devenus coutumiers.

Que de raisons valables d’exiger une alternative. Au risque donc de me répéter, je suggérerais humblement à nos compatriotes de savoir raison garder. Cet appel est valable y compris pour tous ceux qui, aux lendemains d’un coup de force, jettent un regard prospecteur pour s’assurer que leurs hommes sont aux commandes et qui poussent aussitôt des cris d’orfraie à la moindre déception à la suite de cet audit. Comme si tout le monde avait vocation à devenir président du Faso.

Quand même! Comme dirait l’autre. De la claire conscience que nous aurons que notre sort collectif repose sur le succès de la mission que se sont donnée les jeunes capitaines, dépendra l’union sacrée nécessaire. Cette union sacrée qui ne se décrète pas et le pouvoir Roch Marc Christian Kaboré en a fait l’amère expérience. Accessoirement, je suis de ceux qui pensent également que la Transition ne devra jamais être prise à défaut sur la question de l’inclusion. La suspicion d’indignité des politiques, selon une approche qui a beaucoup de mal d’ailleurs à s’appliquer en toute équité, n’est pas légitime à mes yeux.

Notons que dans son principe même, la Transition n’a de justification que le rétablissement de l’Etat de droit, tôt ou tard. Etat de droit dont les partis sont les acteurs incontournables. A ce propos, il serait illusoire de prétendre “reprendre les affaires là où on les avait laissées” comme certains de nos compatriotes semblent le penser et qui fourbissent leurs armes et piaffent d’impatience.

Ce serait commettre une grave erreur car les Burkinabè dans leur large majorité ne me semblent plus vouloir de nos « djandjoba » arrosés au seul motif qu’on a gagné les élections et que cette seule légitimité suffit. Notre pays, et nous sommes nombreux à en être convaincus, a besoin de refondation. C’est dire que la Transition a encore du pain sur la planche pour ce travail de refondation. Je crois pour ma part que cette tâche devra incomber à la Transition au titre du deuxième chantier après la reconquête de notre territoire et de notre souveraineté.

Quitte à reculer les échéances électorales. Le format actuel d’accession, de légitimation et de gestion du pouvoir ne favorise guère l’appropriation du pouvoir par la majorité. Notre système, sauf mutation profonde, donne mécaniquement le pouvoir à celui qui a le plus d’argent, qu’il a le plus souvent acquis par spoliation ou d’autres voies tout aussi illégitimes et le procès Dabilgou en témoigne éloquemment. Par ailleurs, la kyrielle de partis politiques, sans nous autoriser à aller aussi loin que Patrice Talon au Bénin, appelle forcément à la réflexion.

Plus globalement, et nous le savons, nul n’émerge sans efforts, sans sacrifices. Les ruptures actuelles et à venir, encore une fois sans dogmatisme aucun et sans faux-fuyant, sont une belle occasion pour se repositionner. Dans ces perspectives, il y a la question névralgique de la monnaie. Tous les experts dotés de bon sens s’accordent à le dire, c’est une question trop sérieuse pour être traitée dans la précipitation et la passion. Mais c’est le passage obligé.

Encore une fois : “tôt ou tard”. Et plutôt tôt que tard car notre capacité à nous prendre en charge et à engager les futures générations vers leur émancipation en dépend. C’est comme une opération chirurgicale que l’on redoute mais qui est absolument nécessaire. Et que l’on ne saurait différer trop longtemps. Mais il faut y mettre une condition massue qui est celle de la rigueur et du sérieux de nos institutions et des hommes et des femmes chargés de les animer.

Je prends le risque d’affirmer que nos régimes démocratiques tels que nous les connaissons sont congénitalement incompétents à gérer une telle mutation car cela reviendrait pour eux à se tirer une balle dans la jambe. Seul un régime transitoire, autoritaire à hauteur de nécessité, est capable de nous conduire vers un tel lendemain. Quitte à ce que les politiques prennent par la suite le relais. Pierre Claver Damiba le disait récemment sur les antennes nationales et il a pour cette fois absolument raison, aucun Etat n’a amorcé son développement dans la démocratie. Et je conviens par ailleurs avec lui, au risque de choquer certains de mes amis que la démocratie à la vérité est un régime de fin de parcours, pas de début.

H.K : Le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, a engagé des chantiers importants pour une prise en charge de la situation sécuritaire. Comment vous voyez l’évolution des choses?

S.D : C’est vrai que de nouvelles initiatives ont récemment été prises qui sont relatives au théâtre des opérations. Je voudrais pour ma part mentionner la création entre autres d’un détachement à Tougan et Nouna pour répondre à l’impérieuse nécessité de juguler la percée terroriste et lever le blocus mis en place dans ces deux provinces. Nous saluons ces initiatives à leur juste valeur et invitons les populations à faire preuve de patience quoique leurs récriminations soient fondées.

C’est d’ailleurs le sens du travail effectué depuis un certain temps par le Comité provincial de crise en appui au Sourou en abrégé CPCAS, une autre initiative des chefs de canton du Sourou cette fois-ci. Les efforts de la Transition pour réaliser la libération du territoire devront s’accompagner de la bonne collaboration des populations. Je ne nie pas que cela est plus facile à dire qu’à faire, venant moi-même d’une commune presque entièrement assiégée à la seule exception de son chef-lieu Toéni aux allures de bastion inexpugnable comme la Gaulle de Vercingétorix au milieu de cette partie de l’Europe sous occupation romaine.

Ce cas de résilience et de résistance exemplaire, comme d’autres dans ce pays, devra être reconnu et inspirer notre peuple en lutte pour son indépendance et sa dignité. Ce n’est certainement pas tout à fait le moment de tisser des lauriers à qui que ce soit, mais c’est aussi autour de la communion dans les valeurs de courage, de détermination, de patriotisme et de reconnaissance entre autres que se construisent les nations.

Nous devrons nous souvenir, le moment venu des héros connus et méconnus de notre combat que sont Yoro, Sambo, Karfa et Siriki Yaro de Toéni, sans compter les nombreux autres martyrs y compris ceux de Koumbri, tous tombés sur le champ d’honneur, pour que la patrie survive. Les convois sécurisés organisés avec succès dans toutes les provinces qui en ont besoin sont une preuve supplémentaire de l’étau qui se desserre de plus en plus et nous conforte dans notre conviction que le bout du tunnel n’est plus loin.

H.K : Il y a un discours de rupture et une réorientation de la diplomatie au Burkina. En tant que spécialiste des relations internationales, comment vous appréciez cette nouvelle orientation des choses?

S.D : Discours de rupture vous dites? Eh bien tant mieux, quoique j’aurais préféré plutôt une politique de rupture tout court. Les temps ont changé et les évènements de ces deux dernières années sont, me semble-t-il, une formidable opportunité pour un changement de paradigme salvateur. Notre diplomatie devra être le reflet de ces mutations majeures. Toutes les données objectives de politique internationale convergent vers un resserrement de fait des liens autrement séculiers entre les “Trois sœurs du Sahel”.

La voie me semble toute tracée pour l’émergence d’une fédération de facto ou de jure et les perspectives à cet égard sont particulièrement excitantes. Si vous ajoutez à tout cela la percée diplomatique et la nouvelle configuration géopolitique que consacrent les toutes récentes évolutions enregistrées au sein des BRICS, tout porte à croire qu’un vent nouveau se lève. J’ai toujours été partisan du multilatéralisme.

La polarisation des affaires du monde autour des seules valeurs occidentales ne sont pas le meilleur gage d’un monde juste. Sans compter la toute-puissance du dieu dollar qui est en train d’être remise en cause. Tout comme ils recèlent des plus formidables opportunités qu’il faut avoir la perspicacité de saisir. En matière de changement, je n’ai jamais été dogmatique.

Pour ceux qui connaissent mon parcours, ma conscience politique a éclos assez tôt comme partisan des idées de l’immense politique qu’a été le professeur Joseph Ki- Zerbo à qui je rends hommage et que j’ai suivi depuis le MLN à la CNPP en passant par l’UPV et le FPV. C’est dire que je suis plutôt réformiste. Et si j’ai une conviction aujourd’hui, c’est que plus que jamais auparavant, l’Afrique devra faire preuve de stratégie. En sus, dans la dynamique des exemples à donner, il y a notre sœur, la remarquable écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome l’a dit avant moi : “ le ressentiment n’est pas un projet “ mais il devrait nourrir cette inextinguible soif de liberté, y compris celle de faire ses propres erreurs des générations post-indépendances.

D’autres peuples avant nous sont passés par la case colonisation et Dieu seul sait que certains parmi eux, et pas des moindres, ont su trouver leur voie vers la souveraineté pleine et entière. Au point même, comble de l’ironie, qu’ils font aujourd’hui preuve d’une propension hégémonique, à leur tour, à l’endroit des moins avancés que nous sommes. C’est bien la preuve que ces comportements au demeurant éminemment humains sont sans doute davantage une question de statut et de positionnement, que de nature intrinsèque.

H.K : En tant que chef traditionnel, comment vous travaillez auprès des populations pour une prise de conscience des enjeux géopolitiques d’abord au Burkina et ensuite dans la région sahélienne ?

S.D : Les chefs de canton de la Boucle du Mouhoun ont eu la prévoyance de s’organiser. Ainsi dès 2019, ils ont créé à leur propre initiative un Conseil supérieur de la chefferie coutumière et traditionnelle de la Boucle du Mouhoun ou MASSATON présidé par le Massa, chef de canton de Dédougou.

Cette initiative répond à la nécessité perçue depuis toujours d’organiser la contribution combien importante de la chefferie en tant qu’institution indépendante à la résolution de certaines questions de nature sociétale et également au renforcement de la cohésion nationale. Cette nouvelle architecture, au-delà des mécanismes traditionnels qui existent dans les terroirs et dont chaque chefferie est tributaire, a permis de mettre en place d’autres articulations pour couvrir les besoins inhérents à l’évolution de la situation de notre espace national.

D’importantes initiatives de médiation ont ainsi pu être mises en œuvre dans le contexte des conflits susceptibles d’alimenter le phénomène terroriste dans notre pays. Les enjeux géopolitiques de la crise au Sahel auraient certainement constitué une excellente thématique dans le cadre des activités de sensibilisation inscrites au programme du MASSATON, n’eût été la situation de quasi-blocus qui prévaut hélas encore dans la Boucle du Mouhoun et consécutive au phénomène.

Il est certain que dans les mois et années à venir, les efforts de la faîtière des chefs de la Boucle du Mouhoun vont s’orienter davantage vers ces questions qui s’inscrivent résolument en droite ligne des légitimes préoccupations de nos populations. Lesquelles populations n’auront attendu personne, du reste, pour s’interroger sur les actualités au menu desquelles se trouve en bonne place le débat géopolitique et hégémonique que convoquent nécessairement les évènements du Niger, du Gabon et plus loin du Mali, de la Guinée et du Burkina.

H.K : On a assisté récemment à un coup d’Etat au Niger. Des chefs d’Etat de la CEDEAO semblent voir cela comme une arête à la gorge. Cela a engendré une mobilisation des populations du Niger, en témoignent les dernières sorties alors que des chefs d’Etat maintiennent un bras de fer. Comment vous voyez le dénouement de la situation socio-politique au Niger?

S.D : Le coup d’Etat au Niger, le 4e épisode de la flambée de coups d’Etat, selon la formule du président Macron, consacre pour nous autres Burkinabè le chaînon manquant du projet. Niamey était devenu depuis l’accession du président Bazoum au pouvoir sur les rives du Niger, un véritable trou noir dans le dispositif de défense au Sahel. Qui plus est, avec le repli des forces françaises dans leur bastion nigérien, la rupture était consommée. Et c’est cela qui a pour l’essentiel sonné le glas du G5 Sahel, le Mali s’étant précédemment retiré, peu désireux qu’il était de partager avec les troupes françaises les précieux renseignements du terrain.

H.K : Plus rien ne s’oppose désormais, objectivement du moins, à la mutualisation, en toute confiance des forces nationales engagées dans la bataille contre le terrorisme au Sahel.

S.D :L’ubuesque épisode du bras de fer entre la France et le Niger autour du maintien ou non de l’ambassadeur devra bientôt laisser la place à une collaboration sans limite de ces armées nationales. Ce sera une des clefs du succès de cette lutte qui se prolonge bien évidemment au-delà du phénomène djihadiste. Ce qui est véritablement en cause, c’est bien sûr la souveraineté de ces Etats.

Et croyez-moi, en dépit des postures de façade des chancelleries, personne ne s’y trompe. C’est pourquoi d’ailleurs, cette affaire au demeurant anodine d’un ambassadeur qui part ou qui ne part pas prend toutes les allures d’une lutte de survie. Mais la diplomatie a des ressources insoupçonnées et la formule sera trouvée tôt ou tard, qui sauve la face des uns et des autres. C’est cela aussi la diplomatie qui est un art à part entière.

Comme en conviendra d’ailleurs mon aîné Son Excellence Maurice Mélégué dont je me délecte avec gourmandise des réflexions sur le domaine chaque fois que l’occasion m’en est donnée. Maintenant si j’avais un conseil à donner aux autorités françaises, sans prétention aucune toutefois, ce serait de se remettre en cause. Et complètement. Si leur intention est de continuer à jouer un rôle quelconque en Afrique. Contrairement à l’arrogance affichée aujourd’hui.

Ceci étant, tant d’années de domination et d’exploitation en parfaite complicité avec les élites nationales laissent sans doute peu de place aux incertitudes. Quant aux chefs d’Etat, il faut le reconnaître, ils sont dans leur rôle. La CEDEAO, par principe, condamne toute prise de pouvoir inconstitutionnelle. Toutes? Peut-être pas vraiment. Beaucoup craignent l’effet domino pendant que les “putschistes” et leurs partisans se frottent plutôt les mains, buvant du petit lait à la seule perspective que leur business model s’impose désormais.

Ils ont plutôt bon dos, encore plus confortés qu’ils sont par les derniers évènements au Gabon. Je crois que le temps des invectives est passé et la réalité du terrain politique dictée entre autres par les manifestations urbi et orbi ne permet d’envisager autre que des arrangements diplomatiques, pour encore une fois sauvegarder l’essentiel. Ceux qui avaient déjà manifesté contre Bazoum au prétexte qu’il n’était pas assez légitime pour gouverner le Niger se frottent eux aussi les mains.

Mais ils ont tort. Ce que Bazoum paye, c’est d’abord d’avoir perdu le bras de fer avec le chef de sa garde présidentielle. Et Dieu seul sait que tous nos chefs d’Etat sont vulnérables aux assauts de leurs gardes quand il leur prend l’envie d’occuper “en même temps” le fauteuil qu’elles ont la charge de protéger. Ensuite, pour la rue, les panafricanistes et les patriotes nigériens, sa trop grande proximité avec le pouvoir français.

H.K : Le Burkina a commémoré récemment la Journée internationale de la jeunesse avec une forte implication du chef de l’Etat himsef. Que faire pour que cette jeunesse puisse être le socle du développement de la nation burkinabè, une jeunesse qui a été longtemps en marge de la sphère décisionnelle ?

S.D : Le président Traoré a donc vu juste d’en faire une de ses priorités majeures. Mais mon intérêt ne se focalise point sur les commémorations en dépit de leur aspect symbolique. Tout gouvernant devra aller au-delà du symbole pour mettre en chantier la question de la jeunesse et offrir à cette frange de nos populations de véritables chances de se réaliser et être en capacité d’assurer la relève. Cette relève sur laquelle nous fondons tous nos espoirs.

A cet égard, la relative jeunesse des autorités actuelles représente un atout réel sans être pour autant suffisant. La tendance actuelle nous autorise à croire que nous sommes sur la bonne voie. Ce qui ne nous interdit pas de mettre les gouvernants en garde contre toute tentation de “manger”. Car c’est ce mal qui a gangréné tous les pouvoirs depuis Mathusalem. Les intentions affichées du départ sont toujours louables mais les régimes se sont succédé avec la même tendance à s’infléchir en faveur d’un laisser-aller qui débouche au débordement et aboutit au délitement.

Si nous voulons d’un Burkina nouveau où les jeunes croient désormais en leurs chances, convaincus que l’Etat traite ses citoyens avec équité et justice, certains comportements qui font le lit de toutes les dérives et de tous les autoritarismes dans ce pays, ne doivent plus avoir droit de cité. Ce que je reproche au président de la Transition c’est de se contenter de donner l’exemple.

A l’image de Thomas Sankara, il a renoncé à ses émoluments de chef de l’Etat. Il se trouve que les Burkinabè n’en sont plus là. Inspirer ne suffit plus. Il faut imposer, imposer pour notre bien à tous. J’ai regretté en effet qu’il n’ait pas invité le gouvernement à céder tout ou partie significative de leurs salaires comme lui. J’ai regretté que les parlementaires de la Transition n’aient pas fait le choix patriotique de se contenter d’un traitement plutôt symbolique. Les temps que nous vivons, c’est celui des patriotes.

Nous devons engager les chantiers de développement avec à l’avant-garde la jeunesse. Pour ce faire, il est important que ceux qui ont accepté de le suivre, fassent comme lui. Que les autres, ne serait-ce que par honnêteté se démettent. C’est en cela que nous irons loin, ensemble sur le chemin des victoires du peuple. Notre atout majeur sur ce continent c’est notre jeunesse. Plus de 75% de la population africaine, selon les statistiques les plus crédibles, a moins de 35 ans. De ce seul fait, tout gouvernement africain, sauf à faire preuve d’irresponsabilité notoire, doit faire de la jeunesse sa toute première préoccupation en termes de santé, d’éducation et d’emploi.

H.K : Un coup d’Etat vient d’être enregistré au Gabon à la suite de l’élection présidentielle dénoncée par l’opposition d’être entachée de fraude. Comment vous analysez cela? Faut-il prévoir un effet contagion dans la zone comme au Sahel?

S.D : Pour ce qui concerne le Gabon, à la vérité je ne pense pas disposer de suffisamment de recul pour vous en donner une lecture assez fine pour être utile. Des toutes premières analyses que nous rapportent les médias cependant, il semblerait qu’il s’agisse d’une simple révolution de palais. Toute chose qui n’exclurait donc pas un subtil repositionnement du clan Bongo. Certaines sources, dont le candidat doublement malheureux du scrutin présidentiel, M. Ondo Ossa, prétendent que ce serait la demi-sœur de Ali Bongo qui serait tout simplement à la manœuvre.

La profession de foi du nouvel homme fort, qui n’est point inquiété par Paris, n’enlève rien au caractère tout à fait plausible d’une telle allégation. Ce que l’on peut également dire sans risque de se tromper c’est que la mise en résidence surveillée de celui qui réclame de ses amis qu’ils fassent le maximum de bruit n’est en rien comparable au détrônement de Mohamed Bazoum.

Le nouvel homme fort de Libreville qui serait un cousin éloigné des Bongo ne nourrit à priori aucun grief contre personne. Surtout pas la France. Signe qu’Ali Bongo s’était aliéné en partie la sympathie de l’Elysée qu’il exaspérait depuis ses relations coupables et contre-nature avec le Commonwealth, sur fond de ressentiments consécutifs au dossier des biens mal acquis, c’est du bout des lèvres que Paris a condamné le coup de force.

Autre signe des temps, c’est en anglais la langue de la reine Elizabeth aux funérailles de laquelle Ali Bongo aurait pleuré comme une Madeleine, qu’il s’est adressé aux amis qui ont pu lui rester de par le monde. C’est clair que cet évènement a dû avoir un certain retentissement en Afrique centrale et notamment chez le grand voisin camerounais. D’aucuns ont dû frémir à l’idée que ce scénario puisse se reproduire contre le palais d’Etoudi.

Cet autre pays que je connais assez bien pour y avoir séjourné une dizaine d’années, dans ma fringante jeunesse pour paraphraser Christiane Taubira, partage avec le Gabon la longévité dynastique du pouvoir. L’on prêterait même à Paul Biya le projet de se faire remplacer au pouvoir le moment venu par son fils. Comme naguère Albert Omar Ondimba Bongo par Alain Ali Ondimba Bongo.

Les opposants des Biya se surprennent de nouveau à rêver, eux dont la voix était à peine audible depuis la disparition du chairman John Fru Ndi, le seul opposant ayant le temps d’une élection réussi à troubler les nuits du mari de Chantal Biya. Le général Deby fils de son père ci-devant maréchal Idriss Deby Itno aurait également quelques raisons de se faire du mouron. Lui que l’initiative sous régionale pilotée en sous-main par la France vraisemblablement avait désigné si malencontreusement comme émissaire auprès des généraux de Niamey.

Le président Nbasogo que la manne pétrolière a sauvé en Guinée Equatoriale et qui nourrit tout aussi vraisemblablement les mêmes rêves dynastiques aurait lui aussi tort de ne pas prendre au sérieux le message des peuples dont les militaires sont devenus peu ou prou les véhicules sur le continent. Personnellement, je n’ai pas le fétichisme de la dévolution démocratique, soi-disant, ni même celui de la limitation des mandats. Je placerais plutôt mon curseur sur la qualité de la gouvernance, comme je m’en suis déjà expliqué plus haut lors de cet entretien. Le modèle Kagamé, sauf évolution fâcheuse majeure, me conviendrait parfaitement à cet égard.

Interview réalisée par Honoré KIRAKOYA

Laisser un commentaire