Chroniqueur et journaliste culturel, Marius Diessongo revient, dans cette interview sur la situation actuelle de la culture, le fonds de relance et l’avenir du secteur après la pandémie du coronavirus.
Sidwaya (S.): Des activités d’envergure nationale telle la Semaine nationale de la culture (SNC) ont été reportées sine die pour réduire le risque de propagation du coronavirus. D’aucuns ont trouvé la mesure assez radicale. Qu’en pensez-vous ?
Marius Diessongo (M.D.) : Nous comprenons aisément le mécontentement, au départ, de certains acteurs culturels. Et ce, d’autant plus que cette 20e édition de la Semaine nationale de la culture (SNC) était très attendue. D’autres activités culturelles ont été également affectées, notamment les projections dans les salles de cinéma, les concerts à l’instar de celui que devait donner le reggaeman ivoirien, Tiken Jah Fakoly à Bobo-Dioulasso. Mais, notre pays n’est pas le seul à faire face à cette maladie et à ses dommages collatéraux.
Le Festival international de baobab Tambacounda (Sénégal), le Festival des musiques urbaines d’Anoumambo (Femua) en Côte d’Ivoire, le Festival du cinéma africain de Khouribga (Maroc), entre autres, ont aussi fait les frais de cette situation. Mais, il faut savoir raison garder, ce sont des mesures salutaires au regard de la gravité de la situation. Pour prévenir la pandémie et mener une riposte efficace, le gouvernement se devait de prendre le taureau par les cornes. Dans tous les cas, l’évolution de la pandémie sur le plan international et national donne aujourd’hui raison au gouvernement.
S. : Un couvre-feu de 19 heures à 5 heures du matin a été instauré. La culture burkinabè devient, au final, l’un des secteurs les plus touchés indirectement par cette pandémie ?
M.D. : La culture est évidemment l’un des secteurs les plus touchés. L’hydre terroriste, suivie des deuils nationaux successifs avaient déjà amoindri le champ d’expression de l’ensemble des acteurs culturels. De manière générale, la période de mars à juin est propice pour les activités de la scène. Car, depuis la crise du disque et en attendant une parfaite maîtrise du digital, la majorité de nos artistes, particulièrement les chanteurs, dépendent énormément de la scène. Or, en juin, et parfois en début mai, nous entrons, de plain-pied, dans la saison pluvieuse. Au regard de la progression du coronavirus, et du temps nécessaire pour réussir la riposte, il va sans dire que nos acteurs culturels devront attendre jusqu’en octobre pour espérer retourner sur scène. Ce sera une année difficile pour notre culture.
S. : Les mesures d’accompagnement réclamées par de nombreux acteurs culturels sont-elles donc légitimes ?
M.D. : Oui, tout à fait. Et c’est de bonne guerre. Car, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, notre culture est l’un des secteurs les plus touchés depuis l’apparition de la pandémie. En raison de la quarantaine et du couvre-feu décrétés par le gouvernement, de nombreuses activités, comme nous venons de le mentionner, ont été, en effet, annulées. Car, les activités culturelles rassemblent toujours du monde, et se déroulent essentiellement les nuits. Nous comprenons aisément le manque à gagner et le cri du cœur des acteurs culturels. Des mesures d’accompagnement sont donc nécessaires et justifiées au regard du contexte actuel. L’Etat a consenti, pour ce faire, une enveloppe d’un milliard vingt-cinq millions (1 025 000 000) F CFA en vue de soutenir la culture. Un comité de réflexion a été mis en place pour déterminer les modalités d’accompagnement de ceux qui ont été touchés. Nous attendons de voir comment cela va se dérouler concrètement sur le terrain. Il faut seulement veiller à éviter que ce fonds ne crée d’autres problèmes plus qu’il en résout.
S. : La suppression des charges et taxes imposables à l’organisation des activités culturelles et la réduction de la patente (25%) et de la TVA (10%) au profit du secteur de l’hôtellerie et de la restauration, ont été également décidées par le chef de l’Etat. Quel commentaire ?
M.D. : Ces mesures n’ont pas à proprement parler de véritables effets, du moins dans la situation actuelle. Car, les activités culturelles, comme vous le savez, ont été annulées. Fort heureusement, le gouvernement, en sus de ces mesures, vient de délier le cordon de la bourse.
S. : Existe-t-il, à votre avis, d’autres mesures « idéales »?
M.D. : Oui, sans doute. Mais, nous croyons que cette manne financière mise à la disposition du secteur de la culture est déjà à saluer, et idéale (rires). Tout dépend du sérieux qui va entourer la gestion ou la répartition de cette enveloppe.
Comment prendre en compte tous les créateurs touchés par cette crise sanitaire, et éviter surtout des incompréhensions?
C’est là que réside, à notre sens, tout le dilemme. Mais, nous croyons qu’avec le concours de certaines structures dont le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA), tout devrait se passer, en principe, sans incident majeur.
S. : La culture burkinabè pourra-t-elle partir d’un bon pied à la fin de la pandémie ?
M.D. : Rien n’est moins sûr. La suite des événements, que nous souhaitons heureuse, pourra sans doute nous situer. Une chose est sûre, nos artistes ont une capacité d’adaptation et de résilience extraordinaire. Aussi, une nouvelle dynamique et une nouvelle perspective dans la gestion de sa carrière artistique naîtront, sans doute, à l’issue de cette crise sanitaire.
Interview réalisée par
W. Aubin NANA