Le Nord est la troisième région qui accueille le plus de Personnes déplacées internes (PDI) au Burkina Faso, après le Centre-Nord et le Sahel. Au 31 mars 2022, les services humanitaires y dénombraient 218 695 âmes qui ont fui leurs terres ancestrales du fait de l’insécurité. Ouahigouya, le chef-lieu de la région, est ainsi submergé par un flux massif de ces personnes en détresse. En plus de la nourriture, l’un des plus grands besoins est le logement.
Assise sur une natte au milieu de la cour, Salamata Sawadogo, entourée de cinq autres femmes explique de sa voix fine sa vie dans cette maisonnette de deux pièces dans la zone non-lotie de Lakouré (secteur 1 de Ouahigouya). Les six femmes ont le regard fixe et perdu dans le vague.
C’est sans doute le signe qu’elles ont traversé de nombreuses épreuves après avoir abandonné leurs terres ancestrales. La plus âgée, Salamata Sawadogo, porte un voile ample couvrant tout le haut du corps au-delà de la taille tandis que les autres se sont contentées de simples foulards ou de bonnets couvrant les cheveux. Elles nous reçoivent chez elles, en cette matinée du vendredi 29 avril 2022.
La cour présente un certain désordre qui fait écho à la cacophonie de la dizaine d’enfants en bas âge : des ustensiles de cuisine, des plats sales, des bidons d’eau, des morceaux de bois de chauffe, une charrette…sont disposés de manière éparse. Trois lampes photovoltaï-ques exposées à la lumière solaire sont rangées au pied du mur mitoyen de gauche. A droite du portail, gît discrètement la maison en banco de deux pièces, communément appelé : « chambre-salon ». Un fin rideau multicolore cache mal le désordre de vêtements et d’ustensiles dans le salon, mais aussi l’absence de mobilier.
De sa voix limpide, Salamata Sawadogo est disserte sur les événements qui les ont poussés sur le chemin de l’exode depuis maintenant trois ans. Mais le ton devient hésitant et les réponses brèves lorsque le sujet du logement et surtout de leur cohabitation se pose.
La modeste bâtisse en banco d’environ 12 mètres carrés est le lieu de refuge de 24 personnes : Salamata Sawadogo, sa coépouse, leur mari, les cinq autres femmes et leurs époux, ainsi que 12 enfants des différents couples, détaille-t-elle doucement, avec pudeur.
Parmi les enfants, trois adolescentes de 12, 14 et 15 ans séjournent chez leurs patronnes respectives. Originaires du village de Ingaré, commune rurale de Thiou, les occupants de cette maison se sont réfugiés à Ouahigouya pour fuir les hommes armés qui les terrorisaient dans leur village.
Après Thiou en 2020, d’où ils ont dû fuir en février dernier, Ouahigouya est leur nouvelle « terre d’asile » dans leur propre pays.
« La vie ne nous est plus agréable »
« Quand nous sommes arrivés de Thiou, nous habitions sous une tente de l’Unicef dressée dans la cour d’une ressortissante de notre village établie ici. Nous étions nombreux sous cet abri, c’est pourquoi, après y avoir passé quelques jours, nos maris ont dû trouver cette maison qu’ils louent à 5 000 F CFA le mois », confie Mme Sawadogo.
Dès le matin, les maris prennent d’assaut la ville à la recherche de la pitance familiale et ne rentrent que dans la soirée. Et lorsqu’il s’agit de dormir, les hommes dorment dans la cour à la belle étoile, laissant l’intérieur de la maison aux femmes et enfants. Difficile d’en savoir davantage sur la cohabitation des membres de cette famille composite.
Salamata se montre particulièrement réservée tandis que les autres, têtes baissées, se murent dans un silence total. Mais, c’est le meilleur endroit que leurs maris ont pu trouver pour le moment, à hauteur de leur bourse et à l’abri des regards de commisération. « Depuis que nous avons quitté nos maisons, la vie ne nous est plus agréable », résume-t-elle.
Bien que malaisé, le cadre de vie de Mme Sawadogo et sa famille parait encore plus décent que celui d’autres personnes déplacées dans la ville de Ouahigouya.
Dans le quartier Siguinvoussé, une autre zone d’habitations spontanées, le mari de Fatimata Ouédraogo a loué une maison qui « ne paie pas de mine », selon la description qu’en fait la jeune dame elle-même.
Une maison en banco de deux-pièces, flanquée à l’angle d’une cour de plus de 300 mètres carrés, aux murs bas, sans portail, sans toilettes, sans lieu d’aisance. C’est là que vivent Fatimata, ses trois enfants, son mari et les cinq enfants de sa coépouse qui, elle, a préféré rejoindre son village. Et pour s’offrir ce « local où se cacher », le mari doit débourser un loyer mensuel de 5 000 F CFA.
Originaires de Pétissiro, un village du département de Thiou, les membres de cette autre famille, comme de milliers d’autres déplacés internes, sont confrontés à la difficulté de se loger à Ouahigouya.
Le pic d’affluence des déplacés internes dans le chef-lieu de la région du Nord a été atteint en février 2022 avec « la ruée » des habitants de Thiou, sommés de déguerpir. En mars 2022, le Conseil national de secours d’urgence (CONASUR) recensait plus de 100 000 personnes déplacées dans « la cité de Naaba Kango ». Et cette arrivée massive dans un intervalle de temps relativement court se fait ressentir en ville.
La dizaine de sites d’accueil aménagés par les services de prise en charge humanitaire ne disposent plus de place pour les nouvelles « cohortes » de déplacés internes.
Des sites débordés
L’urgence est bien perçue au niveau des autorités provinciales et communales. « En ce qui concerne la population de cette ville, nous pouvons dire que le nombre a doublé. Ouahigouya était déjà entre 200 000 et 300 000 habitants.
Avec plus de 100 000 nouvelles arrivées, l’affluence est très forte », explique une source à la mairie de la ville. Selon cette personne, membre de l’équipe de supervision de la prise en charge des déplacés internes à Ouahigouya, l’arrivée fréquente et massive de personnes en détresse et démunie pratiquement de tout, fait qu’il est difficile d’être en permanence au top dans la réponse humanitaire.
« Si vous recevez 10 000 personnes en une semaine et le temps de les servir en aliments, vous avez 4 000 ou 5 000 autres qui arrivent, cela devient compliqué », détaille-t-il. Notre source admet également que les sites d’accueil sont débordés.
« La promiscuité qui y règne, traduit des conditions qui sont vraiment à la limite de l’acceptable », déplore-t-elle.
En cherchant à habiter hors des sites d’accueil insuffisants et surpeuplés, certains déplacés se rabattent sur des maisons inhabitées de la ville qu’ils intègrent sans crier gare.
« Ils viennent, ils trouvent de l’espace, ils entrent et c’est au propriétaire de voir quelles concessions faire », affirme une autre source communale.
Souvent, dans leur quête de refuge, les déplacés ne font pas de différence entre propriétés privées et édifices publics. Deux familles de réfugiés ont par exemple établi leurs pénates dans un centre de santé nouvellement construit et en attente de mise en service au secteur 13 de la ville, au grand dam des autorités. En guise d’explication, Ousmane Sawadogo, un PDI, assure que c’est l’instinct de survie qui les a conduits dans cette enceinte. Ce même instinct qui les a poussés à fuir Thiou.
« Nous étions à la recherche d’un endroit où installer nos familles et nous avons vu ce CSPS inoccupé. On s’est dit que cela appartient à l’Etat et qu’on pouvait y loger en attendant », se défend le quinquagénaire.
Le logement des personnes déplacées dans la ville de Ouahigouya met sur la table plusieurs problématiques dont celle du foncier.
Le Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR), leader des partenaires internationaux, œuvrant dans l’accueil des réfugiés peut, certes disponibiliser des tentes pour les ménages, mais l’espace pour les disposer relève de la gageure.
Ainsi, la présence de tentes dressées dans des concessions ou de façon isolée à certains endroits de la ville, constitue désormais un fait familier à Ouahigouya. L’association Appui moral, matériel et intellectuel à l’enfant (AMMIE), membre du cluster-Abri dans la prise en charge des déplacés exprime une certaine impuissance face à cette question.
« Les logements nécessitent de grands moyens alors que nous ne sommes pas en mesure de nous engager dans la durée. Notre rôle sur cet aspect consiste surtout à négocier avec de bonnes volontés pour trouver des logements aux déplacés et à leur fournir une assistance morale », se désole Cécile Beloum, la responsable de l’association.
Spéculation foncière
A défaut de pouvoir compter sur la bienveillance de bonnes volontés, l’aide d’un parent ou la compassion d’une connaissance, bon nombre de déplacés sont obligés de composer avec des propriétaires immobiliers pour louer des locaux. Selon le standing, les loyers oscillent très souvent entre 5 000 F CFA et 15 000 F CFA le mois pour un deux-pièces.
Ce chef traditionnel d’un village voisin de Ouahigouya, lui aussi déplacé interne, est justement confronté à un dilemme du fait du manque de logement. Quoiqu’un parent proche lui ait permis de disposer d’une cour dans laquelle il s’est établi avec sa maisonnée estimée à près d’une centaine de personnes, le Naaba reçoit chaque jour des sollicitations de ses « sujets » pour avoir un logement.
« Récemment, j’ai dirigé un groupe de sept familles vers une cour comprenant quatre maisons de deux pièces chacune. Le propriétaire leur loue l’ensemble à 50 000 F par mois. Je ne sais pas comment ils vont s’organiser pour se répartir les quatre maisons, ni même par quels moyens ils vont réussir à honorer les loyers », s’inquiète-t-il.
Face à cette détresse morale et matérielle de leurs congénères, certains bailleurs se laissent toucher par la compassion et font dans la philanthropie. Amédée Sawadogo, vendeur de portables, déclare par exemple ne pas tenir rigueur à son « hôte », Souleymane Wérémé lorsque celui-ci accuse des retards de paiement.
« Je ne lui mets pas la pression. J’attends le mois prochain pour qu’il puisse me régler », assure-t-il.
Pour lui, chacun doit pouvoir soutenir d’une manière ou d’une autre les déplacés qui sont dans le besoin. A propos de solidarité, une note d’espoir semble se dessiner du côté de Gourga à la périphérie Sud-Est de la ville.
Le Cheik de cet ancien village aujourd’hui rattaché à Ouahigouya a octroyé deux hectares de terrain pour venir en aide aux déplacés.
« Le terrain est acquis à Gourga, il reste l’autorisation d’ouverture », confirme notre source à la mairie de Ouahigouya.
Gourga rempli effectivement les conditions pour créer un site d’accueil de déplacés internes. L’espace, caillouteux, s’étend à perte de vue, au point d’intéresser des promoteurs immobiliers qui y opèrent déjà.
Dans cette zone non-lotie, la parcelle d’environ 150 mètres carrés se négocie à partir de 600 000 F CFA. Mais, même sur la question foncière, certains s’érigent en âmes charitables.
C’est du moins ce que laisse supposer le commerçant Amadé Ouédraogo, lui-même ressortissant de Bidi-Mossi, un village victime de l’insécurité situé à 45 kilomètres au Nord de Ouahigouya.
Après avoir acquis plusieurs hectares de terre auprès des autochtones de Gourga, il dit s’être résolu à céder les parcelles de 150 mètres carrés sur son espace à 150 000 F CFA aux déplacés qui voudraient en acquérir. Il souhaite juste pouvoir au moins entrer dans ses fonds investis pour l’achat des terrains.
« J’ai confié la gestion à un déplacé. Ce n’est pas une question de moyens financiers, je veux juste pouvoir les aider », se justifie-t-il.
En attendant l’installation formelle du nouveau site des déplacés à Gourga, des parcelles se dégagent jusqu’à Sambtenga, village voisin de Ouahigouya dont le nom signifie incidemment, « Terre d’hospitalité ». Cette même hospitalité dont se prévaut Ouahigouya lorsqu’elle se proclame, dès le portique d’entrée, « Terre de paix et de cohésion sociale »
Fabé Mamadou OUATTARA