
Liée à la grossesse, la pré-éclampsie est une maladie qui est très fréquente. Elle est généralement due à une hypertension artérielle associée à la présence de protéines dans les urines. Dr Natacha Bako/ Lankoandé Natacha, gynécologue obstétricienne au CHU de Bogodogo nous en dit plus sur la maladie.
Sidwaya(s) : Quelle est l’ampleur de la pré-éclampsie au Burkina Faso ?
Natacha Lankoandé (N.L.) Au Burkina Faso, la pré-éclampsie avec ses complications constitue la 2e cause de mortalité maternelle après les hémorragies, avec une fréquence allant de 12 à 17%.
S. : Quels sont les premiers symptômes qui doivent alerter une femme enceinte face à la pré-éclampsie ?
N.L. : Les signes qui doivent alerter une femme enceinte face à la pré-éclampsie sont les vertiges, les troubles visuels, comme un flou des points noirs devant les yeux, ou même ne plus rien voir, elle peut aussi entendre des bourdonnements dans les oreilles, avoir des maux de tête ou céphalées. Les douleurs abdominales peuvent aussi être présentes. La femme enceinte peut également remarquer que son bébé bouge moins que d’habitude. Tous ces signes doivent inciter à consulter rapidement.
S. : Quels sont les principaux facteurs de risque de la pré-éclampsie ?
N.L. : La pré-éclampsie peut survenir dans différents contextes. L’âge de la femme joue un rôle important : les très jeunes femmes et celles plus âgées sont davantage exposées. Une femme ayant déjà souffert de pré-éclampsie lors d’une grossesse antérieure présente un risque élevé de récidive. L’obésité est également un facteur qui peut favoriser son apparition. Il faut aussi tenir compte des antécédents familiaux : lorsqu’une mère, une sœur ou une tante a déjà connu cette pathologie, le risque augmente. Une grossesse pour la première fois expose également davantage. Enfin, lorsqu’une femme conçoit peu de temps après le début de sa relation, son organisme peut percevoir la grossesse comme une sorte de greffe, ce qui perturbe le processus de placentation. Ce mécanisme immunitaire rend la grossesse plus vulnérable à certaines complications comme la pré-éclampsie.
S. : Vous avez évoqué des facteurs cardiovasculaires : quel est leur lien avec la pré-éclampsie ?
N.L. : L’obésité, qui est un facteur de risque cardiovasculaire bien connu, est aussi un terrain favorable à la survenue de la maladie. La pré-éclampsie est une maladie qui repose sur un dysfonctionnement au niveau de la vascularisation utéro placentaire. Cela provoque une mauvaise perfusion, qui retentit ensuite sur plusieurs organes de la mère. Les reins, par exemple, filtrent mal les protéines, le foie peut être affecté avec des troubles de la coagulation, et dans les cas graves, le cerveau peut également subir des dommages, avec un risque de crise convulsive ou éclampsie.
S. : La pré-éclampsie peut-elle mettre en danger la vie de la mère ou du bébé ?
N.L. : La pré-éclampsie est une cause fréquente de mortalité maternelle, avec des complications rénales, hépatiques, ophtalmologiques, c’est une maladie qui peut retentir aussi sur le bébé en ralentissant son développement dans l’utérus et dans les pires cas la mort fœtale.
S. : Quels conseils pouvez-vous donner aux femmes enceintes pour réduire les risques ?
N.L. : La pré-éclampsie est une maladie de survenue imprévisible mais il est possible de réduire considérablement les risques de complications grâce à une surveillance rigoureuse. Cela passe avant tout par le respect des rendez-vous de consultation prénatale. A chaque consultation, il est essentiel de contrôler la tension artérielle et de vérifier la présence ou non de protéines dans les urines. Une hygiène de vie saine est aussi primordiale : une alimentation équilibrée, riche en fruits et légumes, pauvre en sel, en graisses et en sucre, est recommandée. Une activité physique adaptée à l’état de grossesse est également bénéfique.
Pour les femmes ayant déjà fait une pré-éclampsie, on leur donnera de l’aspirine a faible dose à titre préventif associée à une supplémentation en calcium et vitamine D.
S. : Quels sont les principaux risques ou complications liés à la pré-éclampsie, pour la mère et pour l’enfant ?
N.L. : Lorsque la maladie évolue sans prise en charge, elle peut entraîner des troubles au niveau des reins, du foie ou du cerveau. Chez la mère, cela peut aller jusqu’à une insuffisance rénale ou hépatique, ou encore provoquer des œdèmes cérébraux avec risque d’éclampsie. Du côté du bébé, on peut observer un ralentissement de la croissance intra-utérine. Il peut ne pas se développer normalement, et peut présenter des signes de souffrance fœtale pendant l’accouchement. La quantité de liquide amniotique peut aussi diminuer, ce qui complique davantage le suivi.
S. : Quelles mesures adopter pour réduire le risque de pré-éclampsie ?
N.L. : Il faut insister sur le suivi médical tout au long de la grossesse. A cela comprend des consultations régulières pour surveiller l’état de santé de la mère et du fœtus. Lors de ces rendez-vous, la tension est mesurée, les urines sont analysées avec les bandelettes, et des conseils sont donnés pour adopter une bonne hygiène de vie. Il est aussi recommandé aux futures mamans de fréquenter des centres de préparation à l’accouchement, où elles peuvent bénéficier d’un accompagnement physique et psychologique adapté. Les échographies permettent également de vérifier le bon développement du bébé, la quantité de liquide amniotique et la qualité de la circulation sanguine de la mère et du fœtus.
S. : La pré-éclampsie serait-elle une complication qui survient principalement au moment de l’accouchement, comme beaucoup le pensent ?
N.L. : Ce n’est pas tout à fait exact. Elle apparait en général à partir de la 20e semaine de grossesse jusqu’à la fin de la grossesse. Mais elle peut effectivement être diagnostiquée pendant l’accouchement ou juste avant. Il n’y a pas de moment fixe, c’est pourquoi la surveillance reste indispensable jusqu’à l’accouchement surtout lorsque la tension artérielle est élevée.
S. : Une fois le diagnostic posé, comment se déroule la prise en charge ?
N.L. : La prise en charge fait appel à plusieurs spécialistes. Les cardiologues interviennent pour contrôler la tension artérielle, les néphrologues sont sollicités lorsqu’il y a une atteinte des reins, notamment en cas de protéinurie importante pouvant aboutir à une insuffisance rénale, les ophtalmologues, les neurologues, les endocrinologues peuvent aussi être sollicités dans la prise en charge.
Ensemble, et en fonction de la sévérité, une décision peut être prise concernant la poursuite ou l’interruption de la grossesse. Dans certaines situations, sauver la mère devient une priorité absolue, surtout si la grossesse est peu avancée.
S. : Comment la prise en charge de la pré-éclampsie a-t-elle évolué ces dernières années au Burkina ?
N.L. : De réels progrès ont été faits. Aujourd’hui, nous disposons de médicaments efficaces comme le sulfate de magnésium, qui n’était pas toujours accessible auparavant. Grâce aux efforts du ministère de la Santé, ce médicament est désormais disponible gratuitement dans les structures sanitaires. Il permet de contrôler efficacement la tension artérielle et de prévenir les crises d’éclampsie, ce qui améliore considérablement le pronostic des femmes enceintes atteintes de cette pathologie.
S. : Quel message clé aimeriez-vous faire passer aux femmes enceintes concernant la pré-éclampsie ?
N.L. : Je voudrais leur dire de prendre au sérieux les consultations prénatales, de suivre les conseils des sages-femmes et des médecins, d’adopter une alimentation équilibrée, d’éviter les excès et les substances nocives comme l’alcool, et de pratiquer une activité physique adaptée à l’état de grossesse. Il faut aussi rappeler que la pré-éclampsie lorsqu’elle est sévère, avec une tension artérielle très élevée avec atteinte rénale, nécessite une hospitalisation de la mère, et une interruption de la grossesse pour sauver la vie de la mère.
Interview réalisée par : Wamini Micheline OUEDRAOGO