L’audition des victimes du putsch manqué a débuté, le mardi 9 avril 2019 au tribunal militaire, sis à Ouaga 2000. Sur un total de 306 victimes, c’est une soixantaine qui a finalement été retenue par le tribunal à l’issue de la conférence entre le parquet, les avocats de la partie civile et la défense.
C’est parti pour l’audition des victimes du coup d’Etat manqué de 2015. Sur un total de près de 306, une soixantaine a été retenue pour l’interrogatoire à la barre. Certaines sont des blessés par balles et d’autres ont vu leurs biens détruits.
C’est pourquoi, elles réclament réparation pour le préjudice causé. Le 9 avril 2019, c’est plus d’une dizaine de victimes qui ont été entendues. Il s’agit de Abdou Ata, Gildas Yoda, Paul Ouédraogo, Bewendtoré Larar Kaboré, Amadé Zonou, Nestor Abourabou, Boureima Ouédraogo, Mohamed Lamine Kéré, Adama Compaoré et Patrice Sanogo. Tous ont reçu des balles lors des évènements des 16 septembre et jours suivants.
A les entendre, les tirs ont eu lieu vers le stade municipal et le palais du Moogho Naaba, à la cité An III et au centre-ville. Pour Gildas Yoda, alors qu’il revenait du marché le 17 septembre 2015, des individus armés dans une voiture (pick-up) ont ouvert le feu sur des manifestants. « J’ai pris la fuite et deux motards m’ont pourchassé. Ils m’ont bastonné tout en me répétant que j’étais un membre du mouvement Le balai citoyen. Ensuite, ils m’ont balancé dans un fossé et sont partis avec ma moto et une somme de 50 000 F CFA », a-t-il expliqué.
Comme lui, chacun d’eux a vécu des moments cauchemardesques pendant le putsch. Malheureusement, il est impossible pour ces victimes d’identifier les auteurs, car ils étaient tous cagoulés et habillés en tenue militaire (léopard). « Je ne peux pas les identifier, car ils portaient des cagoules. Mais ils étaient habillés en tenue de l’ex-RSP », ont-ils tous décrit. Siaka Diallo, un militaire, dont l’oncle a été tué par balle, a signifié qu’il connait très bien les différentes tenues de l’armée. Il a même précisé que les éléments portaient des armes AK 47, des PA (pistolet automatique) et des kalachnikovs.
Le fait marquant est qu’ils ont tous reçu des balles à bout portant contrairement à ce que veulent faire croire les accusés comme étant des tirs de sommation dont les balles perdues les auraient touchés. Adama Compaoré, victime d’une balle à la cuisse-gauche l’a démontré. C’était le 17 septembre 2015, alors qu’il était allé rendre visite à un ami vers le marché du 10 yaar. « C’est là que des militaires sont venus nous menacer avec des armes. Dans leurs menaces, c’était des mots tels que c’est fini de vos propos sur toutes les antennes des radios à propos du pouvoir déchu.
Aujourd’hui, le général Diendéré a pris le pouvoir. C’est en ce moment qu’ils ont tiré sur moi », a précisé M. Compaoré. Et une autre victime, Patrice Yanogo de soutenir qu’il a été poursuivi par un pick-up, de la Place de la nation jusqu’aux encablures du lycée Zinda. « Ils m’ont mis à genou et un a tiré à bout portant sur mon avant-bras gauche », a-t-il confirmé à la barre. Pour l’avocat de la partie civile, Me Prospère Farama, tous ces témoignages montrent que les accusés n’ont pas fait des tirs de sommation comme ils l’ont indiqué.
Ils ont simplement tiré sur les manifestants qui s’opposaient à l’arrestation des autorités de la Transition. Et des victimes en gardent toujours des séquelles, à l’image de l’étudiant Amadé Zonou, atteint par deux balles et présentement handicapé moteur. « Ce n’est qu’en 2018 que j’ai pu extraire la balle au niveau de ma cheville grâce à une intervention chirurgicale », a confié une autre victime, Lamine Kéré.
La défense muette
Dans la soirée, le tribunal a poursuivi l’audition des victimes par lots de dix. Dans la deuxième liste, du fait de l’émotion, certaines victimes ou leurs ayant droits n’ont pas pu retenir leurs larmes ou aller jusqu’au terme de leurs narrations. Parmi ceux-ci, Boukari Yelnogo, dont le frère a été tué par balle, le 17 septembre 2015, alors qu’il était dans son garage aux environs de l’Ecole nationale des douanes. Relatant les circonstances douloureuses de cette perte, il a fondu en larmes.
Même son avocat, Me Prosper Farama a avoué qu’il n’a pas assez de force pour expliquer cette « horreur ». Jean Sédogo, résidant à Yagma, a aussi perdu son unique fils, Richard, le 17 septembre. « C’est le lendemain, à la morgue de l’hôpital Yalgado que j’ai retrouvé son corps touché par une balle », a déclaré le sexagénaire. Etienne Kologo, lui, a expliqué que son neveu, Apollinaire, a trouvé la mort le 18 septembre. Selon lui, des témoins ont rapporté que le défunt a été abattu par des militaires de l’ex-RSP devant l’ENAREF.
« Il a reçu 4 balles dans le corps. Il était l’unique fils de son père », a précisé le cultivateur Kologo. Et le parquet d’ajouter que dans la déposition de M. Kologo à la gendarmerie, il a indiqué que le père de la victime n’a plus retrouvé ses esprits depuis les événements et est même décédé un mois après. « Le RSP a tiré sur Apollinaire en pensant que c’était un membre du Balai citoyen, parce qu’il portait un T-shirt noir », a révélé le procureur avant d’inviter le tribunal à penser à cette victime quand il va entrer en délibération.
Quant au couturier Soumaïla Ouédraogo, il a témoigné que Angèle Kaboré, la femme de son frère, a reçu une balle au sein gauche, le 17 septembre et le 20, elle en est décédée, laissant derrière elle, un bébé de quatre mois. Hamidou Sawadogo, lui, n’est pas mort mais a trainé une balle dans le corps pendant plus de trois mois avant qu’on ne puisse l’extraire en 2018. Un autre « chanceux » est le jeune Abdoul Kader Nikiéma a rapporté qu’une balle a traversé son dos alors qu’il était vers le palais du Mogho Naaba.
Après 3 mois dans le coma, il s’entendra dire que ce sont des éléments motorisés de l’ex-RSP qui ont tiré sur lui. Le parquet a rappelé qu’il s’agit de ce jeune que les vidéos ont montré, gisant dans le sang vers le palais du Mogho Naaba. « Quand j’ai vu la vidéo, je pensais que cette victime était décédée », a souligné Me Farama.
A la suite, le tribunal a encore convoqué une liste de 11 victimes mais 5 ont été entendues. La défense n’a fait aucun commentaire après leur passage. Toutes les victimes ont soutenu qu’elles se constituaient partie civile, convaincus pour la plupart que les militaires qui ont tiré provenaient de l’ex-RSP. L’audience se poursuit ce mercredi 10 avril, toujours avec les parties civiles.
Fleur BIRBA
Mady KABRE