A la reprise du procès Thomas Sankara et douze autres, le mardi 11 janvier devant le tribunal militaire à Ouagadougou, le témoin Moussa Diallo, magistrat militaire, Colonel-major à la retraite, et vivant en France a été auditionné par visioconférence. Commandant adjoint de la gendarmerie au moment des faits, il soutient que le coup de force a été prémédité.
Au fil des dépositions des témoins ou d’accusés, les récits sur l’assassinat du père de la Révolution burkinabè d’août 1984 laissent transparaitre un coup d’Etat savamment orchestré, minutieusement conduit et professionnellement exécuté. En effet, le mardi 11 janvier 2022, c’est le témoin Moussa Diallo, magistrat militaire, Colonel-major à la retraite, né en 1958 et résidant en France qui a été auditionné par visioconférence devant le tribunal militaire à Ouagadougou. Au moment des événements fatidiques d’octobre 1987, ce proche du capitaine président Thomas Sankara (il a été l’aide de camp de Sankara quand celui-ci était Premier ministre) était l’adjoint du commandant de la gendarmerie, Ousséni Compaoré.
Il a dit faire partie de ces personnes qui ont alerté le président du Faso à maintes reprises sur les menaces de complot contre sa personne. Mais il s’est toujours heurté à un Sankara qui semblait « maitriser la situation ». Mais pour le témoin, le coup était prémédité et bien mené. Selon lui, les services de renseignements de la gendarmerie avaient infiltré l’opposition politique burkinabè en Côte d’Ivoire qui projetait de renverser de manière violente le régime du Conseil national de la révolution (CNR), après une tentative avortée en 1985. Le capitaine Jean Claude Kambouélé à la tête de ce groupe d’opposants serait un jour rentré furieux d’une rencontre d’avec le président ivoirien Félix Houphouët Boigny. Et son message à ses hommes selon le témoin était ceci : « Le vieux m’a demandé d’arrêter tout ce qui est en cours, car, il a trouvé une solution plus sûre et moins coûteuse pour éliminer Sankara, et que cette solution était Blaise Compaoré », raconte Moussa Diallo. Informé de ce qui se tramait, Thomas Sankara n’a rien entrepris, selon le témoin.
Blaise était sur écoute
Il dira que les services de renseignements avaient mis Blaise Compaoré sur écoute à son domicile. Et qu’une semaine environ avant le drame, les gendarmes ont capté et enregistré une conversation entre Blaise et le leader des étudiants de l’époque en la personne de Jonas Somé. Ce dernier s’était rendu au domicile du numéro 2 de la Révolution pour une visite de courtoisie, mais Blaise Compaoré se trouvait à Pô. Mais Jonas Somé a insisté pour parler avec le capitaine. Alors il décide de l’appeler à partir de la ligne téléphonique domestique de Blaise Compaoré. Dans les échanges, il dit à celui-ci qu’il faut passer à l’action sinon ils seront mis aux arrêts.
En bon militaire, Blaise Compaoré comprend immédiatement que sa ligne n’est pas sécurisée. Il décide alors d’être évasif. « Il a dit des choses comme oui…oui, je vois, c’est ça, j’ai compris. Sans être explicite », a indiqué Moussa Diallo. Le témoin Diallo dira avoir enregistré la conversation sur un magnétophone qu’il a voulu faire écouter à Sankara. Mais hélas ! « Il m’a fait tourner. J’ai vu son aide de camp Etienne Zongo qui m’a envoyé dans son bureau sans m’annoncer. J’ai dit au président d’écouter cette cassette juste cinq minutes. Il m’a dit qu’il n’allait pas l’écouter », se souvient Moussa Diallo qui fera tout de même écouter la cassette en question à Etienne Zongo avant de se retirer du palais. Ce n’est que le soir que le président va l’inviter à son domicile pour lui dire qu’il est déjà au courant de ce dont il voulait parler. Malgré son insistance, Sankara ne fera rien. Moussa Diallo a également évoqué le nom de Vincent Askia Sigué, un autre proche du président Thomas Sankara qui subitement n’avait plus bonne presse dans certains milieux de la Révolution. Il a dit que des camarades avaient réussi à créer des bisbilles entre lui et le chef de l’Etat. Ce dernier aurait débarqué en urgence en 1985 à Bobo-Dioulasso pour le rencontrer. Moussa Diallo dit avoir refusé de le voir dans un premier temps avant de le rejoindre à son hôtel. Celui qu’on a surnommé « l’ange gardien » de Sankara se confie sur le silence du président qui s’éloigne de plus en plus de lui. « Sankara me boycotte.
Je veux que tu lui dises que cette attitude de sa part est suicidaire. Blaise est derrière cette cabale contre moi. Les gens ne m’aiment pas parce qu’ils savent qu’il faudra passer sur mon corps pour l’atteindre », a confié Sigué, à Moussa Diallo. Ce qui amène le témoin à dire que le complot était réel, qu’il le savait bien et a porté des informations nécessaires au président Sankara. Selon M. Diallo, le 15 octobre est l’aboutissement d’un complot prémédité dans lequel le président Sankara a essayé de démissionner, mais n’a pas eu le temps de le faire. Pour expliquer la force de frappe de Blaise Compaoré qu’il a défini comme le commanditaire du coup, Moussa Diallo a pris l’exemple sur un exercice commando que ce dernier a fait faire un jour à Pô. Il explique que lors de cet exercice militaire, l’unité a été conduite sur une colline où elle a passé toute la journée sans manœuvres physiques.
« Jean-Pierre Palm était au parfum des choses »
Au rassemblement, certains éléments ont demandé à Blaise Compaoré en quoi consiste cet exercice. Et le capitaine, commandant du camp de Pô de dire que l’esprit commando consiste à observer pendant longtemps l’ennemi avant de frapper. « Ainsi, lorsqu’il viendra le temps de l’attaquer c’est à coup sûr que tu l’atteindras de manière fatale », a expliqué le témoin. Interrogé par le parquet militaire sur le complot présumé de 20 heures, le témoin a fait savoir que ce sont des « balivernes pour justifier le coup d’Etat». Car, selon lui, Sankara ne projetait pas d’arrêter Blaise Compaoré. « Sankara savait qu’il allait mourir. Mais parce qu’il croyait en la Révolution et à ses idéaux, il n’a rien fait pour se protéger malgré les avertissements. Il s’est dit que le meilleur service qu’il puisse rendre à la Révolution c’est de se laisser assassiner plutôt que de tuer ses camarades révolutionnaires de l’époque », a-t-il dit. Le témoin est également revenu sur l’affaire du commerçant de Bobo, Drissa Cissé arrêté en son temps par la gendarmerie pour avoir annoncé publiquement que Blaise Compaoré va bientôt prendre le pouvoir.
Selon Moussa Diallo, les instructions étaient données afin que personne ne rende visite au « détenu », mais le lieutenant Jean Pierre Palm a outrepassé cette consigne pour se rendre à Bobo-Dioulasso et demander la libération du commerçant. « Drissa Cissé devrait être entendu par le tribunal de Ouagadougou le 16 octobre 1987. Son audition devrait mettre à nu le complot en cours et je me suis dit que c’est cette raison qui a amené les comploteurs à agir avant cette date », a analysé le témoin. Moussa Diallo est aussi formel dans sa déposition lorsqu’il affirme que le général Gilbert Diendéré, contrairement à ce qu’il dit, était bel et bien au sein du conseil de l’entente au moment des tirs. Car, il dit l’avoir joint depuis le standard du conseil de l’entente parce qu’un ami au général en la personne de Ganda Moussa de nationalité nigérienne voulait échanger avec lui. « Pendant qu’ils communiquaient, la ligne s’est interrompue. Et lorsque j’ai rappelé, j’ai eu le standardiste qui m’a dit impossible de communiquer, ça tire ici. J’ai effectivement entendu des coups de feu et je me suis précipité hors de mon bureau », a décrit le témoin.
Face aux propos de Gilbert Diendéré, qui a nié ses dires, Moussa Diallo a demandé une commission rogatoire pour que soit entendu Moussa Ganda avec qui le général a conversé et qui est toujours vivant. Selon lui, écouter la version de la troisième personne devrait permettre d’éclairer l’opinion sur ce qui s’est réellement passé. Et lorsque Me Olivier Yelkouni un des avocats de Gilbert Diendéré a demandé si le témoin a gros sur le cœur puisqu’ayant subi des brimades sous le front populaire (incarcéré, radié de l’armée…), ce qui pourrait sous-tendre son témoignage à la barre, le magistrat à la retraite répond par la négative. « Je n’en veux à personne et je ne cherche à accabler personne par mon témoignage. Tout ce que je veux, c’est la manifestation de la vérité parce que Thomas Sankara était un proche à moi. D’ailleurs si je n’avais pas été radié de l’armée, je n’aurais pas pu finir mes études en droit et devenir magistrat militaire », a-t-il dit. Les avocats quant à eux n’ont pas posé de nombreuses questions au témoin. Ils ont juste vérifié la conformité de son récit d’avec sa déposition devant le juge d’instruction. L’audition des témoins va se poursuivre dans les jours à venir suivie de la présentation des pièces à conviction aux experts balistiques.
Wanlé Gérard COULIBALY