Devenir agriculteur après les études était considéré dans la société burkinabè comme un échec. Installés, pour la plupart, dans certaines fermes situées dans les Hauts-Bassins, de nombreux diplômés gagnent leur vie grâce à l’agriculture. Reportage.
La saison des pluies s’est installée dans la ville de Bobo-Dioulasso. Les terrains inexploités et les abords des voies sont tout de vert vêtus. De grosses gouttes d’eau arrosent encore la ville lorsqu’Alizèta Rouamba prend la route de sa ferme située à Kouremangafesso, commune rurale de Karangasso-Vigué, sur l’axe Bobo-Diébougou.
La visibilité n’est pas bonne sur la route mais pour une fermière habituée à la pénibilité des travaux champêtres, cela n’est rien. Titulaire d’un diplôme de technicien supérieur d’agriculture, Mme Rouamba a préféré opter pour la terre et elle en est fière. « Je veux que les jeunes comprennent que ce n’est pas ceux qui ont échoué à l’école qui retournent à la terre », dit-elle, souriante entre deux secousses.
Chemin faisant, Mme Rouamba confie qu’elle a créé «Liza ferme » en tant qu’entreprise agricole au sein de laquelle elle occupe le poste de Directrice générale (DG) et son époux, celui de Président-directeur général (P-DG). Une demi-heure plus tard, nous arrivons à destination.
Par-ci, ce sont des poulaillers, un enclos pour petits ruminants et des ruches. Par là, un site de fabrication de compost. Juste devant, c’est un vaste champ en attente d’être labouré qui se dévoile. « On y sèmera du maïs », précise-t-elle. Liza ferme est une entreprise agricole qui dispose d’un compte d’exploitation et des salariés.
La diversification des activités vise à créer plusieurs sources de revenus. « Une exploitation agricole est avant tout une entreprise comme toute autre », lâche Mme Rouamba. Elle nous fait découvrir sa ferme qui s’étend sur 20 ha. Difficile de faire un tour complet. Au cours de la visite, la productrice évoque ses succès et aussi ses déboires. D’une année à l’autre, le chiffre d’affaires varie entre 5 et 7 millions F CFA.
Pourrait-elle faire mieux cette année? La directrice de la ferme en doute fort. Pour elle, la présente campagne est moins rassurante. Et pour cause ? L’indisponibilité et le coût élevé des intrants agricoles, le manque d’argent pour financer la production, etc. « La Banque agricole ne fait pas notre affaire. Je lance un cri du cœur à l’endroit de cette banque. Si elle peut changer de méthode, elle rendrait service aux producteurs.
Sans quoi, elle n’a pas sa raison d’être », récrimine-t-elle.
Un métier comme les autres
Certes, cette dame n’a pas sa langue dans sa poche, mais le temps presse. Quoi de plus normal que de replier sur Bobo-Dioulasso où se trouve notre pied à terre. Un jeune homme bien « sapé » et juché sur une élégante mobylette vient se garer à notre niveau.
Lui, c’est Moussa Ouattara, un ancien étudiant de l’université Nazi-Boni de Bobo-Dioulasso devenu agriculteur. « Chez moi, ce n’est pas un retour à la terre, je suis toujours rattaché à la terre », fait-il remarquer. Cette année, la saison est moins prometteuse à cause des problèmes d’intrants agricoles. C’est la raison avancée par M. Ouattara pour réduire de moitié ses superficies emblavées. Il compte en effet produire 5 ha de semences améliorées au lieu de 10 comme d’habitude.
Du reste, pour les besoins de sa propre consommation, il va emblaver 3 ha de maïs, 5 ha de riz, 3 ha de niébé et 3 ha de soja. Quitter le «boileau » (mémorisation des cours dans le jargon estudiantin, ndlr) du campus pour les travaux champêtres, ce n’est pas chose aisée. Mais, Moussa a fait son choix et s’assume.
« Quand on choisit le métier qu’on aime, il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas heureux», s’exclame-t-il. Agronome de formation, il a bien entamé sa carrière d’agrobusiness en complétant ses connaissances scolaires et universitaires par des formations professionnelles. Et sans aucun complexe, il déclare : « L’agriculture est un métier comme tout autre… A l’école, on a appris de nombreuses choses qu’on ignorait dans la pratique». A l’image de Mme Rouamba, Moussa Ouattara a créé le Bureau d’études juridiques et agronomiques (BEJA), un cabinet spécialisé en appui-conseils et formations.
Un autre agriculteur du nom d’Ali Ouattara fait la fierté des jeunes diplômés de par ses prouesses. Ayant décroché en classe de terminale, il n’a jamais songé passer les concours de la fonction publique. Au contraire, il s’est inscrit au Centre de promotion rurale (CPR) de Dionkélé et est ressorti avec un Certificat de qualification professionnelle (CQP), option fermier agricole.
Pour le voir, il faut se lever très tôt. Nafif de Farako-Bâ, il dirige sa propre entreprise dénommée Agriculture et élevage au Burkina (AGREL-Burkina). Teint clair et de forte corpulence, Ali Ouattara se présente comme un passionné de la terre. « Après ma formation, j’ai commencé avec un hectare et une simple daba. Aujourd’hui, je suis à 17 ha et équipé d’un motoculteur, d’un tracteur et de deux batteuses », se réjouit-il.
En plus de la production semencière dans laquelle il évolue, il exploite des vergers d’agrumes comme la banane et la papaye. Le manque de terrains pour la production le contraint à louer 5 ha à Matourkou et 2 à Dindérésso à raison de 125 000 F CFA l’hectare. M. Ouattara utilise en outre son outil de production pour des prestations de service, notamment le labour, le battage et le vannage.
Aussi, les entrepreneurs agricoles ne se contentent pas d’une seule activité. AGREL-Burkina, BEJA et Liza ferme sont constamment sollicitées pour assurer des formations, un autre domaine dans lequel ils excellent. « Chaque jour, je gagne au moins 20 000 F CFA », atteste Ali Ouattara. L’autre secret de ce jeune entrepreneur est qu’il a toujours des produits agricoles à vendre sur le marché.
Des millions F CFA par an
Le jeudi 17 juin 2022. Nous sommes à Orodara, une ville réputée pour l’abondance de ses vergers. De gros nuages noirs s’accumulent dans le ciel. La pluie se prépare. Mais notre détermination à visiter la ferme de Lassina Barro est sans faille. A la sortie de la ville, des fruits cueillis et rassemblés au pied d’un manguier, pourrissent. Même les porcs n’en veulent pas. Et ce même décor sombre se dessine un peu partout. De ce qu’il ressort, les mangues manquent de preneurs cette année.
Situation sécuritaire oblige, difficile de les acheminer vers certaines zones de grande conso-mmation comme le Nord, le Sahel et l’Est. Les unités de transformation sont incapables d’absorber toute la production. Des pertes sèches sont enregistrées chez les producteurs au bout du compte. Le champ est situé à 12 km de la ville. Pour le rallier en voiture, il faut environ une heure de route.
Entre flaques d’eau et détour dans la broussaille, nous arrivons à destination. « Vous voyez comment on souffre pour évacuer nos productions ? », se lamente Lassina Barro. Sur les lieux, le travail abattu par M. Barro est visible. Son champ de manioc force l’admiration. La récolte, c’est dans quelques semaines. « Nous n’arrivons même pas à satisfaire la clientèle », se défend-il lorsqu’on lui demande s’il pourra écouler sa production. La ferme s’étend sur 20 ha dont 15 sont occupés par des vergers.
La partie restante abrite des champs de maïs, de sorgho et de manioc. Après la pluie, nous rebroussons chemin. Des pistes submergées par les eaux donnent du fil à retordre au conducteur. Fort heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. C’est après le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) que M. Barro a décidé de retourner à la terre. C’était en 2011. Onze ans après, il s’est fait une place au soleil. « Dieu merci, aujourd’hui je ne me plains pas », souligne-t-il.
Parlant de ses revenus, M. Barro dit engranger, après déduction des dépenses, au minimum 4 millions F CFA par an. Réparti en 12 mois, il se retrouve avec 333 333 F CFA par mois. C’est l’équivalent du salaire mensuel d’un haut cadre de la fonction publique burkinabè. Unique fils de son père, M. Barro a su investir son argent au bon endroit. A notre passage, il détenait des preuves de sa « réussite » : la mise en valeur d’une parcelle nue héritée de son père à Orodara.
En effet, il y a construit trois bâtiments de type F4, F2 et F1. Pour lui donc, la terre ne ment pas. Le fait de ne pas travailler dans un bureau ne le dérange pas. Pour autant, Lassina Barro ne cesse de vanter les bienfaits de l’école. Animateur à la coopérative provinciale de Orodara, Dramane Barro, un autre agrobusinessman qui a arrêté l’école en classe de terminale, dresse un constat : « de plus en plus, des gens prennent conscience que le secteur agricole offre des perspectives aux jeunes diplômés en termes d’emplois ». Sur ce, il incite les diplômés à s’intéresser davantage à la terre, un secteur très lucratif.
Aucune mévente
Par ailleurs, ces entre-preneurs agricoles ne connaissent pas la mévente de leurs productions. Tout est vendu bien avant la production. Et ce, à travers des contrats de production avec des clients qui garantissent l’achat de leurs productions à la fin de la campagne.
Une stratégie qui marche bien et qui soulage les entrepreneurs agricoles. « Il faut que nous arrivons à vendre avant de produire. Pour le moment, je ne connais pas de mévente », signale Ali Ouattara. « Nous ne produisons pas ce que nous ne pourrons pas vendre », renchérit Alizèta Rouamba. L’avantage de ces contrats, soutient Ali Ouattara, c’est qu’ils facilitent les prêts auprès des caisses populaires, des banques ou des entreprises partenaires.
Alizèta Rouamba, Ali Ouattara, Moussa Ouattara, Lassina Barro, Dramane Barro ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Aujourd’hui, aucun d’eux ne regrette son choix. L’arrivée de nouveaux profils dans l’agriculture est un pas important vers la transformation structurelle de ce secteur. A travers leur engagement, c’est une autre facette de l’agriculture burkinabè qui est mise en évidence. « Nous sommes en train de faire de l’agrobusiness, c’est-à-dire que nous ne produisons pas pour la consommation, mais pour de l’argent », laisse entendre Moussa Ouattara.
Ali Ouattara ajoute qu’il ne faut pas les confondre avec les paysans. « Nos parents étaient des cultivateurs mais nous, nous sommes des entrepreneurs agricoles. Eux ils cultivaient pour avoir à manger mais chez nous, c’est pour avoir de l’argent », martèle-t-il. Cette année, Moussa Ouattara entend réaliser un chiffre d’affaires de 9 millions FCFA. De l’avis de l’entrepreneur Lassina Barro, il faut que les uns et les autres comprennent que la finalité de l’école n’est pas le fonctionnariat.
« Les connaissances apprises de l’école doivent servir chacune à construire sa vie et non pas à travailler dans un bureau», conseille-t-il. De ce point de vue, Dramane Barro exhorte les producteurs à ne pas se sous-estimer. « Un producteur bien organisé n’a rien à envier à un fonctionnaire », confie-t-il.
Le vœu le plus cher d’Ali Ouattara est que ces nouveaux profils arrivent à relever le défi de l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso. Car pour lui, « C’est parce que les gens ont faim qu’on parle de terrorisme. Quand on a le ventre plein, nul besoin de faire la bagarre ».
Ouamtinga Michel ILBOUDO
Omichel20@gmail.com
« Ils se sont moqués de moi »
Ces jeunes dont certains ont fait, soit l’université, soit le secondaire ou les centres de formation à vocation agricole, ont dû affronter toutes sortes d’épreuves au début de leur carrière. Alizèta Rouamba se rappelle tout le ramdam qu’il y a eu autour de son choix. Les membres de sa famille en premier, les amis, l’entourage se sont tous dressés contre elle.
« Les gens sont venus dire à ma maman que j’ai été envoûtée. Et que c’est pour cette raison que je refuse de passer les concours de la fonction publique qui est une garantie», se souvient-elle. A l’écouter, elle est restée concentrée sur ses objectifs, en acceptant les humiliations et les railleries de tous genres. Heureusement, elle a eu la chance d’avoir un soutien de taille, son mari.
« Il a vraiment eu confiance en moi et a décidé de m’accompagner », indique-t-elle. Du recrutement des diplômés dans la fonction publique, Lacina Barro ne se fait pas d’illusions. « La fonction publique n’est pas faite pour tout le monde », tranche-t-il. Quand Ali Ouattara a décidé de devenir agriculteur malgré ses diplômes, parents et amis se dressèrent contre lui. « Ils me reprochaient de vouloir devenir agriculteur au lieu d’être fonctionnaire», rapporte-t-il.
En dépit de ces multiples pressions exercées par les proches, il a dû avoir un mental d’acier pour résister. « Ils se sont moqués de moi », déplore-t-il. De sa petite expérience, Ali Ouattara reproche aux jeunes diplômés de négliger le secteur agricole, un secteur pourtant très rentable. « A l’école de formation, nous étions 50 dans notre classe. Mais sur le terrain, seulement cinq sont retournés à la terre», regrette-t-il.
O.M.I