Riposte au COVID-19 à Manga Quand la crise fait naître de petits métiers

Les mesures de prévention contre la propagation du COVID-19 ont favorisé le développement de petits métiers à Manga, dans la région du Centre-Sud.

A l’ombre du neemier bordant une des artères du secteur 5 de Manga, chef-lieu de la région du Centre-Sud, le groupe des huit amis affiche encore complet, ce vendredi 24 avril 2020. Axel Compaoré, Augustin Bélem, Armand Compaoré, Abidine Bouda, Dieudonné Nikièma, Bila Nana, Abdel Matinou Bamogo et Donatien Congo, tous dans la vingtaine, ont pris leur quartier sous le grand arbre. Cet espace quasi ombragé durant la journée est le lieu de ralliement de ces élèves et étudiants contraints à l’oisiveté avec la fermeture des établissements scolaires et universitaires, en raison de la pandémie de la COVID 19. Depuis quelque peu, le groupe a décidé d’occuper autrement ses journées que de partager des verres de thé et se tourner les pouces, à longueur de journée au « grin ». « Nous nous sommes lancés dans la fabrication de dispositifs de lave-mains et ce lieu-même est devenu notre atelier », confie, avec un brin de fierté, Axel Compaoré, étudiant en année de Licence de Droit à l’Université privée de Ouagadougou (UPO). Le déclic ? Tout est parti d’un échange, au soir du 14 avril. « C’est Abdel Matinou qui a eu l’idée que dans chaque ménage, il puisse avoir un tel dispositif qui va contribuer à la riposte au COVID-19 et même à renforcer l’hygiène dans les familles après l’épidémie », explique Axel. Sauf que sur le marché, le prix des lave-mains est hors de portée de plusieurs familles dont la préoccupation majeure dans cette inflation imposée par la pandémie est l’alimentation. « Au minimum, il faut débourser 75 000 francs CFA pour le kit le moins cher et c’est au-delà des moyens de beaucoup de gens », s’émeut l’étudiant en Droit. Avec ses amis, ils décident alors de se constituer en association dénommée « Collectif de Jeunes du secteur 5 (CJS5) » et conviennent de la fabrication d’un dispositif plus accessible. Avec un bidon de 25 litres, une tête de robinet et de la colle, ils réalisent un prototype.

Un prix social

L’investissement s’élève à 3000 francs CFA, chaque membre du groupe ayant cotisé selon ses moyens. Pour l’usage du dispositif, Axel explique : « il suffit de remplir le bidon d’eau et de le déposer à hauteur sur une table ou un assemblage de briques. Après avoir passé ses mains au savon ou au gel, on tourne la tête du robinet fixé au bas du bidon pour recueillir l’eau pour le rinçage ». Décidé à faire profiter leur invention au plus grand nombre de personnes, le collectif fixe le prix de son dispositif à 3 500 francs l’unité pour une commande de plusieurs exemplaires et 4 000 F CFA quand on en demande un seul. « C’est un prix social que nous faisons pour avoir juste de quoi payer la matière première parce que nous n’avons pas de revenus. Sinon, notre objectif premier est de fabriquer en masse les dispositifs pour les distribuer gratuitement dans les ménages », fait comprendre Dieudonné Nikiéma, étudiant en 2e année de Linguistique à l’Université Ouaga 1 Professeur Joseph-Ki-Zerbo. En collaboration avec un soudeur de la place, le groupe propose aussi, au besoin, un support métallique. « C’est nous qui faisons le modèle et la forme du support qu’on envoie chez le soudeur. Après la confection, nous nous occupons de la peinture et du reste. Comme le fer coûte cher, nous vendons le kit complet à 15 000 F CFA », détaille Dieudonné. Le collectif est toutefois attaché à son désir de distribution gratuite de son dispositif aux ménages.
Pour eux, c’est un rêve mais pas impossible à réaliser. « On y croit et on se donne tous les moyens pour y arriver », insiste Axel qui mentionne que dans cette perspective, ils ont initié des plaidoyers auprès d’autorités locales, de services administratifs, d’associations et de particuliers. Pour l’heure, le groupe s’en est ressorti avec des promesses d’accompagnement. Une commande d’une vingtaine de lave-mains est aussi passée par une association de la place qui loue l’initiative. « C’était notre premier marché », lâche le juriste en formation du groupe. Ce vendredi encore, le collectif est à l’œuvre pour satisfaire une nouvelle demande d’une dizaine d’articles. Il est 9 heures 30 minutes.
Deux membres du groupe viennent de quitter le « grin » pour la ville. « Ils vont chercher la matière première », note Axel, assis sur un banc au milieu de ses camarades qui débattent des conséquences de la menace sanitaire sur le cours de l’année académique.
A leurs pieds, traîne un sachet en plastique contenant une dizaine de têtes de robinet, un pot de colle et cinq bidons. Derrière le groupe, une affiche placardée sur un mur présente des images de gestes barrières contre le COVID 19. L’étudiant Dieudonné Nikièma assure la préparation du thé du jour. Il s’active à terminer sa tâche avant le retour du duo. « Quand ils vont revenir, on va commencer le travail et c’est le feu du fourneau qu’on utilise pour chauffer le fer et percer le bidon avant de fixer la tête du robinet », explique un membre du groupe.

« Mes parents nous ont félicités »

Une demi-heure après, le duo est de retour avec seulement deux bidons sous les bras. La quête n’a pas été bien fructueuse car le groupe voulait une dizaine. « C’est le principal souci que nous rencontrons. Pour avoir surtout les bidons, c’est difficile à cause de la réduction du trafic commercial », se plaint l’un des missionnaires, Abdel Matinou Bamogo, étudiant en troisième année de géologie à l’Université Aube nouvelle. Malgré les obstacles, le collectif ne se laisse pas gagner par le découragement. Il est même réconforté du retour qu’il a de l’appréciation des Mangalais sur leur entreprise. « Mes parents, particulièrement, nous ont félicités et ont promis de nous mettre en contact avec des gens qui pourront nous accompagner. Ils m’ont prodigué aussi des conseils que j’ai partagés avec le groupe », relate Abdel Matinou. Si la principale embûche du projet de la bande pourrait venir aussi de la dislocation du groupe avec la reprise des cours, Dieudonné et ses compagnons ont déjà pensé à la parade. « Ceux qui resteront à Manga vont poursuivre le travail, à leur temps libre, en attendant les autres, en vacances », rassure-t-il. Avec leurs amis du collectif, Abdel Matinou et l’élève de la Terminale, Armand Compaoré, restent convaincus qu’ils sont sur la bonne voie. « Nous occupons utilement notre temps en travaillant pour l’intérêt de tous. Et ce sera une grande fierté pour nous si un jour notre vœu de voir chaque famille disposée de lave-mains se réalise », renchérit Axel. Dans la dynamique enclenchée, le collectif entend développer d’autres initiatives. « Nous avons décidé de créer notre ferme avicole », informe Abdel Matinou. A Manga, l’avènement du COVID-19 n’a pas été une aubaine que pour le Collectif des jeunes du secteur n°5. Dans l’atelier de couture d’à peine cinq mètres carrés, jouxtant la rue principale de la ville, on y a flairé aussi l’opportunité d’affaires. Arnaud Zoungrana, patron des lieux, la trentenaire et de stature moyenne, est occupé avec sa dizaine d’employés et d’apprentis, depuis l’aube.

Un filon circonstanciel

Plié sur sa machine, le mètre à ruban au cou, il mitraille les bordures d’un morceau de pagne qui prend progressivement la forme d’un cache-nez. Il y a peu, cet article ne figurait pas au nombre des offres de son atelier, spécialisé, depuis 2015, dans la couture mixte. « Avec la maladie, les cache-nez sont devenus rares et chers sur le marché. Pourtant, le besoin était là, surtout que Manga avait enregistré un cas positif au virus. Comme je peux m’essayer à tout, je suis rentré dedans », explique Arnaud, sacré plusieurs fois meilleur couturier de la province du Zoundwéogo à des compétitions locales organisées par le département en charge de l’artisanat. C’est un fidèle client, se rappelle-t-il, qui l’a mis sur le coup en le recommandant à une association désireuse d’offrir des cache-nez à des personnes vulnérables pour leur protection contre le coronavirus. « J’ai proposé deux échantillons et l’association a fait son choix », relate le jeune couturier. Quid de la qualité et du respect des normes ? Les cache-nez confectionnés par Arnaud et son équipe ne sont pas soumis à un contrôle approfondi de structure spécialisée mais, au tout début, des personnes-ressources ont été consultées, rassure le couturier. « Avant de commencer à produire beaucoup, j’ai d’abord vu le médecin-chef du district de Manga qui m’a donné quelques indications. Et c’est en tenant compte de ses remarques que j’ai travaillé sur le pagne simple », affirme-t-il. A ce jour, l’atelier d’Arnaud propose également le pagne traditionnel Faso danfani comme matière, et c’est selon la bourse et le goût du client : 250 francs pour le masque en tissu pagne simple et 450 pour la matière en faso danfani. « C’est un prix social », insiste le jeune couturier.

« Sans mentir, ça a été une bonne affaire »

Pour sa première commande, Arnaud Zoungrana a été sollicité pour 350 cache-nez parmi d’autres articles demandés par l’association. Un travail qu’il a réalisé avec un lot d’élastique, du fil et sept pagnes en tissu ordinaire à raison de 2 000 francs CFA l’unité. Le bénéfice engrangé s’est élevé à environ 100 000 francs CFA. « Sans mentir, c’était une bonne affaire », avoue le maître des ciseaux, qui prétend n’avoir jamais imaginé se faire autant de bénéfice dans le domaine. Les cache-nez faits maison d’Arnaud ont, aujourd’hui, pignon sur rue dans « La cité de l’épervier ». Depuis la première production qui a été « fort appréciée », confie-t-il, les commandes se sont succédé. La clientèle est majoritairement des associations qui militent dans la sensibilisation à l’adoption des gestes barrières contre le COVID-19. « A ce jour, on a confectionné presqu’un millier de cache-nez et on a encore des commandes qui attendent », se réjouit le jeune patron qui espère encore plus avec cet autre projet. En effet, l’association des couturiers de Manga dont il est membre s’apprête à recevoir une commande de confection de 40 000 cache-nez à livrer au Comité régional de gestion des épidémies du Centre-Sud. Le projet porté par le gouvernement, indique Arnaud, prévoit de même dans chacune des douze (12) autres régions du pays pour accompagner les plus démunis dans le respect de la mesure du port obligatoire de masque ou cache-nez. « Ça peut être une bonne affaire pour nous mais ce qui me fait plus plaisir, c’est de pouvoir, grâce à mon travail, participer aux actions qui vont permettre de freiner la propagation du COVID-19 », se réjouit Arnaud. Le couturier veut même faire mieux au titre de contribution personnelle pour renforcer la chaîne de solidarité qui s’est spontanément mise en place depuis l’avènement de la pandémie : « J’ai décidé de produire 100 cache-nez que je vais distribuer gratuitement. Quand ça sera prêt, je ferai l’annonce sur ma page Facebook ».

Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com

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