Salaka Sanou, professeur titulaire en littérature africaine: « Les coutumes et traditions constituent nos fondements et si un Etat l’ignore, … il va tanguer »

Le Burkina Faso célèbre, ce 15 mai 2025, la Journée des coutumes et traditions. A cette occasion, Sidwaya a tendu son micro à Salaka Sanou, professeur titulaire en littérature africaine. Le spécialiste de la littérature culturelle africaine donne son appréciation de l’instauration de la journée et explique la place et l’importance des us et coutume dans la société burkinabè.

Sidwaya (S) : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

S.S : Je suis Salaka Sanou. Je suis de mon état professeur titulaire en littérature africaine et avec un côté en littérature culturelle africaine. J’ai exercé à l’université de Ouagadougou, devenu aujourd’hui, université Joseph-Ki-Zerbo. J’ai été admis à faire valoir mon droit à la retraite depuis le 16 janvier 2020.

S : Vous êtes connu comme un homme de culture, comment expliquez- vous votre attachement à la culture ?

S.S : C’est une longue histoire, mais en même temps une histoire relativement simple. Je suis né dans mon village à Tondogosso situé à une dizaine de kilomètre de Bobo-Dioulasso que j’appelle le plus beau village du Burkina. J’ai fait l’école primaire là-bas. J’ai fait les études secondaires au lycée Daniel- Ouezzin-Coulibaly de Bobo-Dioulasso. Quand j’étais au lycée, je passais les congés et les grandes vacances au village. Ce qui fait que je suis dans la culture depuis la naissance. Chez les Bobo, l’élément culturel le plus fondamental est le masque. Ayant grandi au village, j’ai fait toutes les étapes de l’initiation.

Et lorsque j’ai eu le Baccalauréat et que je suis venu à l’université, dans le cadre d’un cours en lettres modernes à l’université de Ouagadougou à l’époque, j’avais eu à faire des expositions sur le masque. Et c’est de là qu’est partie une incompréhension entre le professeur qui faisait ce cours et moi. Il voulait juste avoir des informations sur le masque de mon village surtout que je lui avais donné l’information que j’étais de Tondogosso, alors qu’il était allé voir le masque du village, il y avait juste une semaine. Il s’est dit, voilà quelqu’un qui peut avoir des informations sur le masque du village pour lui. Il m’a donc fait reprendre mon unité de valeur à l’époque que nous appelons UV. J’étais en deuxième année, mais j’ai repris cette UV.

J’ai donc fait un exposé sur le masque de Tondogosso avec deux autres camarades. Il a obtenu les informations qu’il voulait. Lorsque j’ai commencé à enseigner à l’université en 1983, j’avais toujours ce document. En 1989, à l’université, au département de lettres modernes, nous avions décidé de réfléchir sur les programmes d’enseigne- ment, et j’avais proposé un projet de recherche sur le thème « Esthétique littéraire et artistique négro-africain » en abrégé ELAN. Ce projet a été adopté, l’idée, c’était de faire des recherches pendant trois ans et en 1992 créer une option en licence en troisième année.

Ce que nous avons fait, et l’option ELAN a été effectivement retenue au niveau du département. Je faisais des sorties pédagogiques avec les étudiants, principalement à Tondogoso, parce que le contact était plus facile. Nous avons fait d’autres sorties, nous sommes allés à plusieurs reprises au festival des masques de Pouni et au festival international des masques de Dédougou. Nous avons fait d’autres villages dans la zone du Sanguié autour des masques.

Et c’est ainsi que petit à petit, la chose prenait, sans que moi-même je ne m’en rende compte. Je dois aussi préciser que quand j’ai commencé à travailler comme fonctionnaire, j’ai été affecté à la direction générale des affaires culturelles auprès de Prosper Compaoré qui était le directeur général. Je me suis rendu compte qu’il y avait des écrivains voltaïques. C’est une des orientations de ma recherche, la littérature burkinabè. Et ensuite, j’ai eu à travailler sur le dossier

« les droits d’auteur ». Le jour où j’ai commencé, le 10 mai 1983, Traoré Sibirou Oumar, paix à son âme, m’a dit petit frère, il n’y a pas meilleure manière de t’intégrer que de te faire rapporteur de la Commission interministérielle chargée des droits d’auteur. Ce dossier ayant été clôs, Prosper Compaoré m’a demandé de travailler sur le dossier de la Semaine nationale de la culture (CNS). Vous voyez que c’est tout un enchaînement sans que cela ne soit un plan tracé dès le départ. Et quand je devais progresser dans ma carrière, j’ai eu à faire une habilitation à diriger les recherches, une HDR, pour pouvoir passer au grade de maître de conférences et professeur titulaire.

Alors, pour cette HDR, on demande au candidat de faire une synthèse de ses travaux. En faisant le bilan de mes travaux, je me suis rendu compte que j’avais deux axes sur lesquels j’ai travaillé. Il y avait l’axe littérature burkinabè et l’axe culture. Je me suis rendu compte qu’effectivement, la culture faisait partie de mes préoccupations de recherche. C’était en janvier 2004. L’esthétique littéraire et artistique négro-africain est une approche et manière de créer sur le plan littéraire et artistique pour voir la touche spécifique- ment africaine. Je me suis dit mais pourquoi se limiter à la manière de créer?

La manière de créer est l’expression d’une culture et il faut donc élargir. C’est ainsi que j’ai commencé à réfléchir sur la dimension culturelle de tout ce que je faisais. Les premières thèses que j’ai dirigées étaient en littérature, mais au fur et à mesure qu’on avançait, il y avait la dimension culturelle. J’ai fait soutenir en étude culturelle africaine la première thèse  de  doctorat  en  2016  avec Souleymane Ganou qui a travaillé sur la dimension identitaire dans les clips vidéo. Au niveau du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), cette spécialité a été acceptée. Ce qui fait de M. Ganou le premier maître assistant en étude culturelle africaine et ensuite, il est devenu le pre- mier maître de conférences en études culturelles africaines et aujourd’hui, grâce à Dieu, les études culturelles africaines occupent une place dans nos universités.

S : Quelle est l’importance de la culture dans une société ?

S.S : J’aime dire que c’est la culture qui fait l’Homme. C’est la culture qui distingue l’Homme des autres éléments vivants de l’univers. Et pourquoi, la culture nous distingue des autres éléments vivants de l’univers ? Parce que la culture nous amène à un regroupement social à savoir la famille nucléaire, père, fils, enfant, la grande famille, le champ, le quartier, le clan, le village, le groupe ethnique… Alors, chacune de ces composantes repose sur une spécificité et ce sont ces différentes spécificités qui font que chaque entité est différente des autres. Ce que je peux faire par exemple du côté paternel, je ne peux pas le faire du côté maternel et vice-versa.

Voilà un des éléments d’importance de la culture pour un être humain. Et quand on voit chez nous, au Burkina, de façon générale, et en particulier chez le Bobo, ce qui fonde la culture, c’est le masque. Toute la société est organisée autour du masque, que ce soit les femmes ou les hommes, le masque est au centre de la société. C’est autour du masque que se constitue la personnalité de l’individu. Alors, si on comprend que le Bobo est différent des autres, et que ce qui fonde justement cette différence, c’est le masque, on com- prend tout de suite pourquoi le Bobo accorde beaucoup d’importance au masque.

Si j’extrapole vers les autres groupes ethniques, si je prends le cas des Mossé, l’on sait que le moagha de façon générale, s’identifie à travers son comportement vis-à-vis du pouvoir. Je peux prendre des exemples dans beaucoup de groupes ethniques, pour montrer que c’est la culture qui fait l’individu, c’est la culture qui fait le groupe, c’est la culture qui fait la société. Donc ignorer ou refuser de croire que la culture est importante, c’est comme si on pensait que l’individu était suspendu. Si on détruit la culture, si on ne prend pas en compte la culture, on devient comme des êtres suspendus, sans racines, et au moindre coup de vent, on tombe.

S : Quelle place la culture peut alors avoir dans le développement d’une Nation ?

S.S : Les Européens se sont développés à partir de leur culture. C’est ce qu’ils appellent la culture judéo-chrétienne. Les peuples asiatiques se sont développés à partir de leur culture, l’Hindouisme. Vous voyez comment est-ce que le Vietnam a résisté à la colonisation française ? C’est à partir de leur culture. Mais nous, les Africains, nous avons résisté comme nous pouvions. Malheureusement, il se trouve que la colonisation, par divers moyens, nous a amené à détruire notre tréfonds culturel.

A partir du moment où nous n’avons plus de racines, on nous fait boire tout ce qu’on veut. C’est ce qui explique la friabilité de l’Africain. Mais quand on le dit, si on ne se fait pas bien comprendre, les gens vont penser que c’est un anti-occidentalisme ou un anti-européanisme. Ce n’est pas être contre quelqu’un, c’est une analyse froide. L’Afrique a connu des grands empires, le grand Mandé, le Ouassoulou, pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest. Il y a l’empire de Sokoto, tous ces empires ont existé. Lorsqu’on prend l’empire du Moogho, c’était une grande étendue.

Il n’y avait pas de vélo, de téléphone, ni de radio, mais cet empire a fonctionné du XIIe siècle pour sa fondation jusqu’au XIXe siècle. Il n’y avait pas de moyens de communication que nous connaissons aujourd’hui mais l’empire s’est développé. Cela veut dire quand même qu’il y avait quelque chose. Mais quand le colonisateur a réussi à détruire cette culture, c’était facile maintenant de faire ce qu’il veut de nous. La culture, c’est le fond du développement d’une nation, d’un peuple et d’un groupe social. Nous sommes indépendants avant certains pays asiatiques, mais regardez où ils sont aujourd’hui et regardez où nous sommes.

Cela veut dire tout simplement que le colonisateur a réussi à détruire notre culture. Est-ce que nous, les intellectuels, nous nous sommes posé la question de savoir comment fonctionnaient nos grands empires ? Quels étaient les fondements de leur fonctionnement ? Quelles étaient les racines sur lesquelles ces grands empires ont fonctionné jusqu’à ce que la colonisation vienne les détruire ? C’est un devoir pour nous de savoir comment ces sociétés-là fonctionnaient et voir maintenant comment nous pouvons adapter leur style de fonctionnement à la réalité d’aujourd’hui.

S : Le gouvernement a consacré le 15 mai, journée des coutumes et traditions. Quelle appréciation faites-vous de cette décision des autorités burkinabè ?

S.S : De mon point de vue c’est une bonne chose. Les coutumes et traditions constituent nos fondements. Si un Etat ignore ce fondement, il va de soi qu’il n’a pas de base, de racine. Et si l’Etat n’a pas de racine, il va tanguer. Vous savez qu’à un moment donné, il y avait le débat sur quoi le chef de l’Etat doit-il prêter serment. Il y en a qui vous disent que la constitution est du papier, qui n’a aucune valeur morale pour l’individu qui prête serment là-dessus. Par contre, si on lui dit de prêter serment sur ses ancêtres, ce ne sera pas chose aisée. Chez nous, on invoque rarement les ancêtres, la nature. Ce sont des éléments, quand vous fautez peuvent vous frapper à n’importe quel moment. Je dis tout simplement, il faut revenir à ces sources-là.

S : Une certaine opinion estime qu’il s’agit d’une injustice qui a été réparée ? Partagez-vous cette position ?

S.S : Oui. Je dirais même que le mot injustice est très faible. Nous sommes indépendants depuis combien d’années ? Si vous remarquez, l’Africain est celui qui a honte d’être ce qu’il est. Je regarde juste les prénoms par lesquels, nous appelons nos enfants. Je fais partie de la génération, au lycée, qui avait honte de son nom du village. Je l’avoue, honnêtement, parce que le nom Salaka a été décliné. On dit Sikala, Sikola, Sakala. J’en avais tellement honte que j’ai décidé de faire la catéchèse alors que mon papa m’avait refusé de faire la catéchèse au village. Il était ancien combattant et il disait qu’il connaît les Blancs.

Mais quand j’ai quitté le village, j’ai fait la catéchèse parce que j’avais honte de mon prénom. J’avais honte vis-à-vis des autres. Mais est-ce que ce sont les autres qui me font ? Au contraire, les autres doivent me prendre tel que je suis. Heureusement, que je n’ai pas pris le baptême. Sinon, j’allais prendre, peut-être, un prénom catholique. Cet exemple montre à quel point le colonisateur a réussi à travailler notre mentalité, notre mental, au point où nous, nous avons honte d’être ce que nous sommes.

S : Avec le modernisme ne craignez-vous pas que cette journée ne se résume un jour à des célébrations folkloriques ?

S.S : Ce que j’ai vu en 2024 sur les différentes chaînes de télévision m’a amené à me poser la question si les gens ont compris le bien-fondé de cette journée des traditions et coutumes. J’ai le sentiment que c’était plus du folklore. C’est-à-dire pour jeter la fumée aux yeux des gens. Ceux qui l’ont fait de bonne foi, je m’excuse auprès d’eux. J’étais au village l’an passé. Les gens m’ont demandé, mais le 15 mai, nous allons faire quoi ? Vous posez la question à qui ?

On vous a dit de célébrer vos traditions et vos coutumes. Ce n’est pas quelqu’un qui va quitter Bobo-Dioulasso ou Ouagadougou pour venir vous dire ce que vous devez faire. Est-ce que les catholiques demandent au gouvernement comment célébrer Noël ? Cela veut dire qu’il faut que les gens s’ap- proprient l’idée qu’on nous a donné une journée pour célébrer ce que nous sommes.

J’ai dit au responsable au village que nous avons 3 entités fondamentales au village, le Kiri qui est le fondement du village. Le Do, c’est-à-dire la référence spirituelle du masque et le Sogo, la nature. Vous pouvez aller tuer des poulets à chacune de ces entités pour demander une bonne saison, la paix dans le village, l’entente entre les enfants du village et que la paix revienne dans notre pays.

S : Quel contenu pourrait-on mettre dans cette journée afin que la culture burkinabè soit plus valorisée ?

S.S : Si on demandait mon avis, je leur dirais qu’il faut un canevas. L’Etat a pris la décision du 15 mai en fonction d’une volonté politique. En ce moment, il va donner une orientation. A l’échelle des régions, des provinces, des communes ou des villages, voilà ce qui peut être fait. Il revient à chaque entité administrative et traditionnelle d’adapter le canevas à ses réalités. Je sens que cette année, les gens feront mieux que l’an passé. L’on demande à des gens qui ont des idées sur la culture d’animer des conférences.

C’est déjà une très bonne chose. J’ai un de mes docteurs spécialisé en études culturelles africaines qui est sollicité pour faire la conférence dans sa région, à l’Est. Dans le cadre du Mois du patrimoine burkinabè qui intègre le 15 mai, il est prévu un panel sur ce que les arts peuvent apporter au développement du Burkina. Dans la Boucle du Mouhoun, un colloque sera organisé les 16 et 17 mai, dans le cadre justement du 15 mai, avec le gouvernorat, donc la région et une association locale. Je suis le président du comité scientifique de ce colloque. Ce sont des initiatives variées en fonction des réalités de chaque localité.

S : La diversité des cultures au Burkina est-elle une menace ou une opportunité ?

S.S : C’est plutôt une opportunité à saisir, car nous sommes riches de cette diver- sité. J’ai pris quelques exemples, mais si chacun de nous sait ce qu’il est, il va chercher à comprendre l’autre. Le slogan de l’Elan quand je l’ai créé était connaître pour mieux connaître. Tu ne peux pas connaître l’autre si tu ne te connais pas. Si tu te connais, tu sais quels sont les éléments qui t’identifient, tu comprends mieux l’autre parce que l’autre est dif- férent de toi et c’est la différence de l’autre vis-à-vis de toi qui va te permettre de le connaître. La diversité est plutôt une richesse qu’il faut exploiter à fond car chacun peut apporter tout ce qui est positif chez lui.

S : En quoi la culture peut contribuer à surmonter cette crise sécuritaire ?

S.S : Les échos qui nous parviennent d’un peu partout, il semble que ce qui fait per- durer la situation d’insécurité, c’est que les terroristes s’appuient sur les fils des localités. Si cela est vrai, vous voyez donc comment il est difficile de combattre dans une telle situation. Si certains fils du village sont de connivence avec les terroristes, bien sûr que les terroristes seront déjà au courant de la stratégie et vont chercher à la contrecarrer. Dans le temps, dans un village, un étranger ne peut pas venir sans que les responsables du village ne soient informés.

C’est un devoir pour celui qui reçoit l’étranger d’informer les responsables du village. Mais si aujourd’hui, il n’y a plus ces règles, vous voyez que donc chacun peut venir dans le village faire ce qu’il veut et repartir de façon impunie. Si on ramène cette éducation traditionnelle dans les villages, si on fait de telle sorte qu’aucun fils du village ne puisse recevoir un étranger sans informer les responsables, si on arrive à faire en sorte qu’un fils du village qui trahit la paix soit puni comme il se doit, je reste convaincu que la culture peut contribuer à lutter contre l’insécurité.

S : Quel message avez-vous à l’endroit des populations à l’occasion de cette journée des coutumes et traditions ?

S.S : Mon message est vraiment simple. Le gouvernement a donné l’occasion aux populations de célébrer leurs traditions, leurs coutumes. C’est aux populations de trouver les voies et moyens les plus adéquats pour célébrer leurs traditions et coutumes.

Pour célébrer ces traditions et coutumes, le préalable, c’est qu’il faut les connaître. Si vous ne connaissez pas vos traditions et coutumes, qu’allez-vous célébrer ? Cela amène à responsabiliser les popula- tions par rapport à leurs traditions et à leurs coutumes. A ne pas avoir honte vis- à-vis des autres de ce qu’on est. Il faut que les uns et les autres acceptent que ces traditions-là ont fait notre histoire, ont fait notre identité, qu’il est bon de les connaître.

On ne peut pas les pratiquer, c’est le droit le plus absolu de chacun, mais au moins les connaître. J’aime dire aux étudiants que ce qui crée les problèmes chez nous aujourd’hui, en partie, c’est le non- respect des traditions. Très peu de jeunes connaissent leur totem. Le totem est lié à une histoire. Donc, si vous ne savez pas votre totem, c’est-à-dire que vous ne con- naissez pas votre histoire, vous allez con- sommer des choses que vous ne devez pas consommer. Ce qui va jouer sur vous.

Interview réalisée par Abdoulaye BALBONE

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