Balélé Martiel Badiel est le président de l’Union des ressortissants burkinabè en République démocratique du Congo (RDC). Il est par ailleurs directeur technique de la Compagnie africaine d’aviation (CAA), une compagnie privée opérant en RDC et qui ambitionne de couvrir certains pays africains. Dans cet entretien qu’il a accordé au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, le 1er septembre 2023, à Kinshasa, M. Badiel présente la communauté burkinabè vivant dans ce pays, comment elle est organisée et apporte sa pierre à l’édification de la mère patrie ; sans oublier les difficultés que cette diaspora rencontre dans l’ancien Zaïre de Mobutu. Enfin, loin de la mère patrie, il se prononce sur la crise sécuritaire que traverse le Burkina Faso depuis quelques années.
Sidwaya (S) : Qui est Balélé Martiel Badiel ?
Balélé Martiel Badiel (B. M. B) :Avant tout propos, je voudrais remercier le journal Sidwaya, pour l’occasion qu’il nous donne de nous exprimer sur un certain nombre de sujets. Je suis le président de l’Union des ressortissants burkinabè en RDC. Je suis à Kinshasa depuis 27 ans. J’y suis arrivé quelques mois avant la chute de Mobutu en 1997. J’étais venu pour deux ans, mais voilà que j’y suis toujours ! J’évolue dans le domaine de l’avion, je suis le directeur technique d’une compagnie privée évoluant en RDC, à savoir la Compagnie africaine d’aviation. Je suis heureux d’évoluer dans ce domaine. J’ai une formation initiale en gestion et maintenance des turbomachines ; ce qui m’a permis d’embrasser l’avion plus tard.
S : Pouvez-vous présenter la communauté burkinabè résidant en RDC ?
B. M. B. : Nous sommes réunis en association au sein de l’Union des ressortissants burkinabè en RDC. L’Union est composée essentiellement de fonctionnaires des Nations unies, de ceux évoluant dans le secteur privé formel et informel et des religieux. C’est une Union forte de près de 245 membres, avec environ une soixantaine de membres actifs. La majorité des Burkinabè sont à Kinshasa mais on les rencontre à l’Est de la RDC (Goma, Bokavu, Beni, Boyan), au Centre, à savoir l’Equateur, le Kasaï-occidental et Kasaï-oriental, Lubumbashi, et un peu partout en RDC, qui est un pays-contient. L’association a été formalisée en 2019, à l’initiative de certains doyens comme Pierre Ilboudo, Stéphane Kinda. Mais avant, depuis les années 2000, nous nous réunissions.
S : Quelles activités menez-vous au sein de cette association ?
B. M. B.: Nous organisons des actions de solidarité à l’occasion des évènements sociaux comme les mariages, les baptêmes, les décès au sein de la communauté burkinabè. Nous réalisons des œuvres caritatives à travers la visite des orphelinats, organisons des conférences publiques. Nous avons déjà eu une conférence sur notre identité culturelle avec le doyen Pierre Ilboudo, l’OMS nous a fait une communication sur les maladies, j’ai moi-même fait une présentation sur l’aviation civile de façon générale. Nous menons des activités culturelles, l’objectif étant de promouvoir la culture burkinabè en RDC. Qui, mieux que nous, pour faire connaitre la culture, les mets burkinabè aux Congolais, dont beaucoup ne connaissent pas le Burkina Faso. Pour combler ce gap de connaissances, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas s’orienter sur le volet culturel.
S : Pas seulement faire connaitre la culture burkinabè aux Congolais, mais peut-être aussi à vos enfants de la diaspora qui sont nés ici et qui ne connaissement pas forcement la culture de leur pays ?
B. M. B. : Oui, mais les Burkinabè sont fiers de leur culture. Chacun fait un effort pour que pendant les vacances, les enfants fassent un tour au pays afin de s’y imprégner des réalités. Mes enfants par exemple ne vivent pas avec moi ici, ils sont au pays ! Ce n’est que pendant les vacances qu’ils viennent de temps en temps. Certes, nous nous plaignons de l’éducation au niveau de notre pays mais comparé aux autres pays, notre système éducatif n’est pas si mauvais ! Certes, il y a beaucoup de choses à améliorer, mais nous ne sommes pas à la traine.
S : Les Burkinabè sont-ils bien intégrés au sein de la société congolaise ?
B. M. B. : Je peux l’affirmer. Pour ce qui est de mon expérience personnelle, je suis bien intégré dans la communauté congolaise ; je parle l’une des langues du pays, le Lingala, je côtoie facilement la population congolaise. Avec les Congolais, tout se passe bien, nous vivons en parfaite harmonie. Les échos de cette intégration, notamment des Burkinabè évoluant dans le secteur informel, nous reviennent. Ils habitent les quartiers populaires, y font du commerce ; et pour évoluer dans le secteur commercial, il faut une certaine entente avec les populations. Mais cela dit, il ne manque pas de petits couacs, de difficultés ; surtout au niveau administratif. La RDC est un pays où nous sommes soumis au régime de visa. En plus, pour s’y installer, il y a un certain nombre d’exigences sur le plan administratif. Au niveau des visas, on en distingue plusieurs : le visa de voyage, le visa de travail, le visa d’établissement de trois ans, le visa permanent et le visa volant. Et chaque visa a un coût.
S : Ce coût est-il à la portée des Burkinabè ?
B. M. B. : Les visas en RDC coûtent vraiment cher, ce n’est pas du donné ! Par exemple, un visa volant coûte environ 400 dollars américains. Pour l’obtenir, vous devrez payer d’abord 300 dollars ; à votre arrivée à l’aéroport, vous devrez encore débourser 90 dollars afin de bénéficier d’un visa aéroportuaire de sept jours. Passé ce délai, vous êtes obligés de faire un visa de voyage qui coûte environ 150 dollars ; ce qui fait un coût total de plus de 500 dollars. Les visas d’établissement et de travail coûtent plus cher. Pour un visa d’établissement de trois ans, il faut débourser 700 dollars, sans oublier les frais annexes ! En plus des coûts, il y a des préalables, des procédures administratives ; tout cela fait que ce n’est pas aisé d’avoir ces documents !
S : Au regard de toutes ces difficultés, avez-vous une doléance à l’égard des autorités burkinabè ?
B. M. B. : Une voie de sortie relative à tout ce qui est problèmes administratifs réside dans la mise en place d’un mécanisme diplomatique entre le Burkina Faso et la République démocratique du Congo, car il y a un vide à ce niveau. Avoir une représentation diplomatique ou un consulat qui va gérer les deux Congo n’est pas mauvais. Cela aura l’avantage, un tant soit peu, aider à résoudre certains problèmes clés que nous connaissons ici, surtout au niveau des Burkinabè évoluant dans le secteur informel. Actuellement, nous relevons de l’ambassade du Burkina Faso à Libreville, au Gabon, qui n’est pas la porte d’à côté ! Si vous devez vous y rendre pour résoudre vos problèmes administratifs, ce n’est pas chose aisée !
S : Un peu partout, les Burkinabè sont réputés travailleurs, compétents, intègres ! En RDC, la diaspora burkinabè jouit-elle de la même réputation ?
B. M. B. : Nous avons le retour d’informations sur la qualité des Burkinabè vivant en RDC. Qu’il s’agisse dans le système des Nations unies, le secteur privé, le secteur informel, les
Burkinabè se sont toujours distingués par leur savoir-faire et leur savoir-être ! Il n’y a pas de débat à ce niveau ! Et ce sont les Congolais qui nous le disent. Depuis 27 ans que je vis ici, je n’ai pas encore relevé un seul écart grave de comportement de la part d’un Burkinabè, c’est plutôt l’excellence. Aujourd’hui, il y a des enseignants burkinabè qui commencent à explorer la RDC. Ils sont d’ailleurs sollicités par les différentes universités congolaises. Il y a par exemple le doyen Pierre Ilboudo, précédemment représentant de l’UNESCO en RDC, qui donne des cours en journalisme un peu partout en RDC. Au niveau des religieux, c’est également l’excellence !
S : La diaspora burkinabè vivant en RDC contribue-t-elle au développement socioéconomique de la mère patrie ? De quelle manière ?
B. M. B. : Evidemment ! Pris individuellement, les gens font des transferts d’argent pour aider leurs familles au pays. En plus de cela, dans le cadre de l’Union des ressortissants burkinabè en RDC, nous menons des actions en direction de notre pays. Par exemple, en 2021, nous avons fait un don, constitué de savon, de vivres, de draps et d’argent, aux déplacés internes. A l’époque, nous avons été représentés par le doyen Stéphane Kinda, Mme Oubda et un autre doyen.
S : La diaspora burkinabè en RDC qui regorge de compétences diversifiées, est-elle disposée à apporter son expertise au pays, en cas de besoin ?
B. M. B. : Pourquoi pas ! Si nous avons mis en place cette association, c’est parce que nous avons le souci de contribuer au développement de notre pays. Individuellement et collectivement, à travers notre groupe WhatsApp, nous partageons régulièrement des opportunités de recrutements, de valorisation de nos compétences. Nous sommes prêts à aider nos frères au pays qui veulent intégrer le secteur privé ou le système des Nations unies, où il y a des mécanismes, pour y accéder.
S : Le Burkina Faso traverse aujourd’hui une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent depuis quelques années. Comment, loin de la mère patrie, la diaspora burkinabè en RDC vit-elle cette situation ?
B. M. B. : C’est très douloureux ! Quand on a connu la paix et après on se retrouve confiné dans un espace réduit, avec l’impossibilité d’aller librement d’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, c’est une situation délicate ! Nous avons donc un pincement au cœur de voir le pays se déchirer de cette manière ! Nous profitons de votre micro pour dire chapeau aux nouvelles autorités qui ont pris le problème à bras le corps. Nous adressons nos encouragements et félicitations aux forces combattantes qui ont laissé leurs familles pour s’engager dans la défense du territoire national burkinabè afin que nous puissions y vivre librement. Chapeau donc aux vaillants combattants qui ont choisi de prendre les armes pour défendre la mère patrie.
S : A ce moment critique de l’histoire de notre pays, avez-vous un message à l’endroit des Burkinabè de l’intérieur et à l’extérieur ?
B. M. B. : Mon message particulier à lancer à tous les Burkinabè, à l’intérieur comme à l’extérieur,c’est de leur demander de taire les querelles internes et de voir comment, ensemble, nous pouvons résoudre cette crise sécuritaire, c’est ce qui importe d’abord. Si le pays n’est pas en paix, il ne peut se développer ; et s’il n’y a pas développement, le pays sera constamment dans des déchirements, ce qui n’arrange personne ! Des Burkinabè sont affiliés à de partis politiques, certains à des organisations de la société civile. Tout cela est une bonne chose. Je ne suis pas contre les critiques mais elles doivent être constructives. Il ne faut pas critiquer pour critiquer mais plutôt apporter des solutions. Aujourd’hui, ce qu’on attend de chacun de nous est de proposer des mécanismes de sortie de cette crise et non de s’assoir sur sa chaise et raconter n’importe quoi ! Nous devrons nous concentrer sur l’aspect sécuritaire. Certains parlent d’élections mais de mon point de vue, et cela n’engage que moi, il faut d’abord sécuriser le pays ; après nous pourrions nous assoir pour voir comment organiser nos élections.
S : Face à cette crise sécuritaire, les autorités Burkinabè ont lancé un appel à la mobilisation générale, à l’effort de guerre. Comment la diaspora burkinabè résidant en RDC compte-t-elle répondre à cet appel de la nation ?
B. M. B. : Dès que l’appel a été lancé, nous ne sommes pas restés insensibles. Nous avons immédiatement réagi ; nous avons organisé des rencontres pour mobiliser des fonds afin de participer à l’effort de guerre. Au jour d’aujourd’hui, nous avons mobilisé plus de 10 millions F CFA pour aider nos frères au pays. Les gens ont contribué spontanément, il y a même des non Burkinabè qui ont lmis a main à la poche. Incessamment, la remise de notre contribution aux autorités sera faite. Il faut noter qu’en plus de l’Union, il y a une autre association composée essentiellement de Burkinabè évoluant dans le secteur informel. Je profite de votre micro pour leur lancer un appel pour qu’ils comprennent notre vision afin que nous puissions regarder dans la même direction et travailler ensemble ; et cela d’autant plus qu’ils ne manquent pas de nous faire appel quand ils ont des difficultés. Nous sommes tous des fils et filles d’un même pays ; nous ne voyons pas pourquoi nous allons vivre en marge des acteurs du secteur informel. Je les invite à comprendre la nécessité que nous formions une seule équipe, à travailler la main dans la main pour la défense de nos intérêts et de celui du Burkina Faso.
Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com
(Kinshasa, RDC)