Hugues Fabrice Zango quitte les pistes d’athlétisme avec un riche palmarès difficile à égaler sur le continent.

Alors qu’il pouvait encore réaliser quelques bonds mondiaux, Hugues Fabrice Zango a décidé de dire stop. Bien qu’il soit arrivé tardivement dans le monde du triple saut, le natif de Ouagadougou a su allier intelligence, résilience et combativité pour se forger un palmarès inégalé sur le continent. Cet article rend hommage à ce “Volontaire pour la défense de la patrie” de l’athlétisme, âgé de 32 ans, qui a porté haut les couleurs du Burkina Faso.

Un après-midi de l’an 2011, le collège Saint Jean-Baptiste de la Salle participe à des compétitions d’athlétisme au stade du 4-Août de Ouagadougou, dans le cadre des jeux de l’Union des sports scolaires et universitaires (USSU-BF). Dans l’épreuve du triple saut, un jeune souriant, au diastème bien visible, s’essaie tant bien que mal sur le sautoir. Il s’appelle Hugues Fabrice Zango.

« Mon attention s’est portée sur lui, car, quand je l’ai vu sauter, j’ai compris qu’il avait du répondant. Il avait des aptitudes et réagissait assez bien même s’il n’était pas entraîné », se rappelle Désiré Christian Sanou, actuel conférencier de niveau 2 pour World Athletics. A la fin de la compétition, il approche le jeune Fabrice pour le convaincre de faire carrière dans l’athlétisme : « tu peux y gagner ta vie », lui assure-t-il. Incapable de prendre une décision sur-le-champ, Fabrice propose poliment à son interlocuteur d’en parler à ses parents.

« Quelques jours plus tard, il m’a fait un retour en me disant que ses parents étaient d’accord, à condition que cela n’affecte pas négativement ses études », se remémore M. Sanou. C’est ainsi que naît la collaboration entre celui qui allait tutoyer les sommets du triple saut mondial et l’inspecteur de l’enseignement secondaire. Les deux se lancent avec trois séances d’entraînement par semaine, malgré le programme chargé de l’athlète au collège.

« Nous créions des opportunités pour qu’il puisse progresser rapidement. Les dimanches matin, après l’église, on venait travailler », raconte le premier coach de Fabrice. Les débuts sont difficiles. Venu tardivement à la discipline, Fabrice a du mal à franchir la barre des 13 mètres. « Il a disparu des radars un moment. Christian est allé le chercher jusqu’à chez lui. Quand il est revenu, il a dit clairement, à qui veut l’entendre, qu’il serait champion du monde un jour », relate avec humour Bertrand Zoungrana, ami d’enfance et actuel manager de l’athlète Zango. Après cet épisode, les choses ont véritablement commencé à s’accélérer.

Le déclic

Selon Désiré Christian Sanou, le déclic est arrivé lors d’une compétition à Bamako où il a
« enfin » atteint la barre des 15-16 mètres. M. Zoungrana, quant à lui, estime que l’élément déclencheur a eu lieu en 2015, lorsque Fabrice a reçu une invitation du Comité olympique pour participer aux Jeux de Rio de Janeiro de 2016. C’était la première fois dans l’histoire du Burkina que le Comité olympique invitait un athlète qui n’avait pas les minimas. L’occasion faisant le larron, et c’est d’ailleurs pendant la préparation de cette compétition que Fabrice Zango et Bertrand Zoungrana vont sceller leur amitié.

« Nous avons ainsi décidé de faire du lobbying à travers les plateaux télé et autres. Ce fut notre premier véritable contact managérial, sans savoir que nous allions travailler ensemble un jour », confie Bertrand. Chemin faisant, le plan élaboré par le duo Christian-Fabrice commence à produire ses fruits, avec les premières médailles internationales aux jeux universitaires en Union Soviétique (bronze), puis celle d’argent aux Jeux universitaires à Taipei, le 25 août 2017 (16,97 m).

« L’un dans l’autre, nous avons cheminé ensemble jusqu’à ce qu’il soit sélectionné pour la première fois aux Championnats du monde en Corée sur invitation », informe M. Sanou. A cette compétition, l’athlète a été éliminé après trois essais nuls. Après deux années passées aux 2IE (Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement), le jeune triple-sauteur, avec la bénédiction et le soutien financier de ses parents, s’envole pour la France.

« En partant, il avait déjà un niveau mondial avec son bond de 16,87 m », précise son premier entraîneur. C’est ainsi que débute une carrière professionnelle pour Fabrice, qui n’a jamais négligé ses études. Dans l’Hexagone, il bénéficie de conditions optimales pour la pratique de sa discipline, ce qui lui permettra de se construire un palmarès encore jamais égalé sur le continent.

Un riche palmarès inégalé

En 2016, il remporte la médaille d’argent du triple saut lors des championnats d’Afrique à Durban, en portant son record personnel à 16,81 m. A peine un an plus tard, le 24 juillet 2017, il est le vainqueur du concours du triple saut aux Jeux de la Francophonie avec un saut à 16,92 m. Malheureusement, il n’obtient pas de visa à temps pour se rendre aux Championnats du monde la même année à Londres. Mais le meilleur est à venir pour le natif de Ouagadougou. Le 27 janvier 2018 à Val-de-Reuil, il établit un nouveau record d’Afrique en salle avec une marque de 17,23 m, son premier saut au-delà des 17 mètres.

Il améliore de 23 centimètres l’ancien record détenu depuis 36 ans par le Nigérian Ajayi Agbebaku. Le 3 mars 2018, il termine 6ᵉ des championnats du monde en salle de Birmingham avec 17,11 m, son deuxième meilleur saut en carrière. Le 4 août 2018, il devient champion d’Afrique du triple saut. Hugues Zango amorce l’année 2019 (le 27 janvier) avec un nouveau record d’Afrique et une marque de 17,58 m lors du meeting de Paris en salle. Six mois plus tard, le 28 juillet 2019, lors des championnats de France, il bat, à son premier essai, le record d’Afrique du triple saut avec 17,50 m, améliorant de treize centimètres l’ancienne marque détenue depuis 2007 par le Marocain Tarik Bouguetaïb.

Le 29 septembre 2019, lors des Championnats du monde d’athlétisme à Doha, il obtient la médaille de bronze derrière les Américains Christian Taylor et Will Claye. Il devient le premier Burkinabè à remporter une médaille dans cette compétition grâce à un saut mesuré à 17,66 mètres lors de son sixième essai, améliorant le record d’Afrique de 16 centimètres. L’apothéose intervient le 16 janvier 2021. Ce jour-là, il bat le record du monde en salle du triple saut avec une marque à 18,07 m lors d’un meeting à Aubière, devenant le premier athlète de l’histoire à dépasser la barre des 18 m en salle. L’ancienne marque, détenue par son entraîneur Teddy Tamgho, était de 17,92 m et datait de 2011. Sans oublier ses titres de champion du monde en 2023 et de champion du monde en salle en 2024.

Un exemple à suivre pour la jeune génération

Son premier entraîneur, son ami et son manager reconnaissent en Hugues Fabrice Zango un exemple à suivre pour la jeune génération.
« C’est un battant, discipliné, très respectueux et il prend au sérieux tout ce qu’il fait. Il m’a aussi permis d’atteindre le niveau que j’ai. Je garde une bonne image de lui. Sa carrière n’a pas été trop longue, mais elle a été riche et positive », apprécie Désiré Christian Sanou. Il se souvient qu’un jour à l’entraînement, les orteils de Fabrice sortaient de ses chaussures de sport usées.

« Je lui ai dit que cela faisait partie des étapes de la vie et qu’il serait champion un jour. Et cela s’est réalisé. C’est un bel exemple de résilience », commente M. Sanou. Bertrand Zoungrana, quant à lui, apprécie plus le côté sympathique de l’athlète. « Il est humble, gentil et n’a pas de complexe à demander s’il ne comprend pas quelque chose. Il cherche toujours l’opinion d’autrui avant toute prise de décision. Il ne fait pas de cinéma », explique-t-il.

En bon manager, M. Zoungrana relate avoir des échanges avec son poulain à l’approche de chaque compétition pour informer l’opinion sur sa forme. « A l’approche de l’une d’entre elles, alors que nous échangions sérieusement, il me dit : “Bertrand, laisse ça, rêve grand. Je ne suis pas en forme, mais je vais aller gagner” », se souvient Bertrand Zoungrana. Il a également révélé qu’Hugues Fabrice Zango était un bon footballeur au départ.

« Il a choisi l’athlétisme parce qu’il estime, selon lui, que la meilleure manière de se faire valoir est de souffrir seul », confesse Bertrand. Le manager du recordman en salle a tenu à adresser un dernier message à son protégé : « Tu as mené le bon combat en plaçant le Burkina sur orbite. Le Burkina et l’Afrique ne t’oublieront jamais. Tu as placé le Burkina sur le toit du monde ». Salut l’artiste, la légende.

Yves OUEDRAOGO

 

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