Téléphone, vitesse et incivisme en circulatio: le trio meurtrier des élèves à Bobo-Dioulasso

La route tue à Bobo-Dioulasso comme partout ailleurs dans les autres centres urbains du Burkina Faso. Les chiffres sont encore effroyables dans le milieu scolaire. Chaque année, de nombreux élèves sont victimes d’accidents de la route dans la capitale économique du pays des Hommes intègres. Les raisons de ces accidents mortels sont, entre autres, l’incivisme, la vitesse, la manipulation du téléphone portable en circulation, …
et la négligence parentale.

Mardi 25 février 2025. Il est un peu plus de 6 heures 30 minutes à Bobo-Dioulasso, dans la province du Houet, région du Guiriko. La ville s’éveille au rythme des klaxons, des bruits de moteurs et des chants d’oiseaux. Devant les établissements scolaires, la scène est toujours la même : un flot de vélomoteurs déboulent à toute vitesse, transportant des élèves en uniforme, parfois à deux ou trois sur le même engin. La circulation est un théâtre d’incivilités : casques mal fixés, feux tricolores non respectés, téléphones en main …, le tableau est inquiétant. Dans cette course contre la montre pour arriver à l’heure à l’école, surviennent fréquemment des accidents, parfois graves et même mortels, avec leur lot de conséquences. Les causes sont : vitesse excessive, non-respect du Code de la route, surcharge, circulation de nuit sans éclairage, dépassements défectueux, inattention, etc.

Au troisième trimestre de l’année 2025, les éléments de la deuxième Compagnie d’incendie et de secours (CIS 2) des sapeurs-pompiers à Bobo-Dioulasso ont secouru les victimes dans 438 cas d’accidents de circulation impliquant des scolaires et étudiants, accidents dans lesquels trois décès ont été enregistrés. En 2024, sept élèves ont trouvé la mort sur le

Un tas d’engins impliqués dans les accidents de la route au service de la section accident de la Police nationale de Bobo-Dioulasso.

chemin de l’école dans la ville de Sya. Pour le chef de service de la section des accidents de la police nationale de la ville de Bobo-Dioulasso, le capitaine Mariette Bélemsigri, l’accident est un événement fortuit, mais il est souvent provoqué par l’irresponsabilité humaine.

« Certains élèves se dopent avant de sortir. Ils font des acrobaties avec leurs vélomoteurs ou roulent sans freins ni phares. Et quand l’accident survient, c’est la mort ou le handicap. Un seul élève mort, c’est déjà trop », lâche, d’une voix ferme, Mme Bélemsigri.
Un jeune garçon de 16 ans, les écouteurs aux oreilles, la tête ailleurs, relate-t-elle avec désolation, a trouvé la mort après avoir percuté un taxi dans le centre-ville.
Les causes sont multiples, mais l’usage du téléphone portable en circulation revient souvent. « Les scolaires sont tentés de manipuler leurs téléphones pendant qu’ils sont en circulation.

Certains suivent des vidéos sur TikTok ou répondent à des messages WhatsApp alors qu’ils roulent. Ils oublient qu’un instant d’inattention peut être fatal », fait savoir le capitaine Bélemsigri. Les réseaux sociaux, la mode et la vitesse excessive
forment un cocktail dangereux, dit-elle.

La responsabilité parentale

Le fondateur du complexe scolaire « Le Savoir », Aboubacar Koïta, est convaincu que la sensibilisation des élèves sur la bonne conduite dans la circulation va finir
par porter ses fruits.

Dans les lycées et collèges, le constat est établi. Abdoul Rahim Ouattara, 17 ans, élève en classe de 2nde A, a eu son vélomoteur après l’obtention de son Brevet d’études du
premier cycle (BEPC). S’il soutient faire preuve de prudence dans la circulation, ce n’est pas le cas de certains de ses camarades. Fatoumata Madjouma Traoré, élève en classe de 2nde AB3, avoue enfreindre souvent aux règles de la circulation. « Quand je suis en retard, c’est difficile de respecter toutes les règles de la circulation. Mais, je porte toujours mon casque », dit-elle.

Pour le fondateur du complexe scolaire Le Savoir, Aboubacar Koïta, c’est bien de payer un engin pour son enfant, mais, il faut s’assurer de sa bonne utilisation. « Quand on regarde les statistiques, les accidents impliquant les scolaires sont préoccupants. Beaucoup n’ont pas de permis, ne connaissent pas les panneaux de signalisation et refusent de porter le casque », regrette-t-il.
Les parents, laisse entendre le capitaine Bélemsigri, sont souvent les premiers responsables des accidents impliquant leurs progénitures.

Quand les écoles deviennent des postes de régulation

« Ils offrent des motos sans encadrer leurs enfants. Avant d’offrir un engin, il faut l’inscrire à l’auto-école pour qu’il apprenne le Code de la route, l’éduquer au port du casque. Un casque ne coûte presque rien, mais, il sauve des vies », enseigne Mariette Bélemsigri. Sur les routes de Bobo-Dioulasso, cette négligence parentale se paie cher. Les élèves roulent souvent sans casque, sans permis de conduire et parfois avant l’âge requis (au moins 14 ans). « Derrière chaque statistique, il y a un drame, un deuil, un rêve brisé. Quand la mort survient, c’est toute une famille qui est détruite », soupire Mme Bélemsigri.

A 17 ans, Abdoul Rahim Ouattara affirme qu’il roule prudemment dans la circulation en tenant compte des autres.

Dans les rues poussiéreuses, entre les bruits des motos entremêlés aux vrombissements des véhicules et les embouteillages du matin, on croise désormais ces adolescents en gilets orange. Leurs gestes calmes et leurs regards concentrés rappellent que la sécurité routière n’est pas qu’une affaire de lois, mais de citoyenneté. Le complexe scolaire Le Savoir, situé en bordure d’une route bitumée, a connu plusieurs frayeurs. Pour minimiser les accidents de circulation impliquant ses pensionnaires, l’établissement a mis en place un club bénévole de sécurité routière. Le club, selon l’un de ses membres Fatoumata Sanogo, est né après un concours sur la sécurité routière que le complexe a remporté.

« On a voulu prolonger cette victoire en actions concrètes », soutient l’élève Sanogo. Munis de gilets fluorescents et de petits panneaux, ces adolescents se tiennent fièrement devant leur école pour faciliter la circulation de leurs camarades, notamment les plus petits. Leurs gestes sont précis : bras levés pour stopper les usagers de la route, regard vigilant pour laisser passer les enfants du primaire. Barakissa Sarambé, élève en classe de 1re D, est
aussi membre du club.
« On a mis en place le club pour réguler la circulation. On a déjà évité plusieurs accidents », se félicite-t-elle. « On veut préserver et sauver la vie de nos camarades en les sensibilisant sur la manipulation du téléphone en circulation et sur le port du casque », insiste Abdoul Barro. Au-delà de cette initiative, la direction de l’établissement a noué un partenariat avec la Police nationale.
« Chaque matin, pendant les rentrées, la police vient nous aider à réguler la circulation devant l’école. Mais comme elle ne peut pas être là tout le temps, le relais est assuré par

« Certains élèves se dopent avant de sortir. Ils font des acrobaties avec leurs motocyclettes, ils roulent sans freins, ni phares (…) ».

les enseignants et maintenant par les élèves du club », explique M. Koïta. Le résultat est visible :
« Depuis la mise en place du club de sécurité routière, aucun accident grave n’a été enregistré à proximité de l’établissement. C’est la preuve que la prévention fonctionne », commente fièrement le fondateur.

L’éducation, un levier de changement

Face à ce fléau, la sensibilisation reste la meilleure arme. La section des accidents de la police nationale de la ville multiplie dans ce sens les interventions dans les écoles.
« La vie est tellement précieuse qu’il faut la préserver.
Et c’est une lueur d’espoir quand les élèves eux-mêmes demandent qu’on vienne leur parler de sécurité routière, c’est qu’ils ont compris quelque chose », estime le capitaine Bélemsigri. Les thèmes abordés par le chef de service de la section accident de la police nationale de la ville de Bobo-Dioulasso et ses éléments avec les élèves sont le respect du Code de la route, les dangers de la vitesse excessive, le port du casque et le comportement citoyen. Aussi, fait savoir le capitaine Bélemsigri, les enseignants s’impliquent dans l’éducation routière des élèves. « Dans certaines classes, les règles de circulation sont désormais intégrées aux leçons d’éducation civique. Les élèves apprennent à reconnaître les panneaux, à respecter les feux et à adopter les bons réflexes », indique-t-elle. Un apprentissage qui pourrait, à long terme, sauver des vies. Dans les cours d’école, les discussions sur la sécurité routière deviennent de plus en plus fréquentes. Cette prise de conscience, bien que lente, est
tangible.
Les jeunes commencent à comprendre que la route n’est pas un terrain de jeu et que la vitesse excessive, symbole de liberté, peut détruire toute une vie. Le fondateur du complexe Le Savoir est convaincu que la sensibilisation va finir par porter ses fruits. « Un jour, ces enfants seront parents, conducteurs, responsables. Ce qu’ils apprennent aujourd’hui peut changer la société de demain », se convainc-t-il.
De ce fait, Aboubacar Koïta plaide pour un enseignement obligatoire du Code de la route dès le
secondaire et pour des partenariats renforcés entre les écoles, la police et les associations.

Kamélé FAYAMA


De l’obligation du port du casque

Le port du casque est obligatoire pour tous les usagers d’engins à deux roues motorisées au Burkina Faso, conformément à la législation en vigueur. Cette
obligation est inscrite dans le décret n°78-107/PRES/TPTU du 30 novembre 1978, qui impose le port du casque pour les conducteurs et passagers de cyclomoteurs,
vélomoteurs et motocyclettes. Pour renforcer cette mesure, un décret du 20 avril 2005 (n°2005-231/PRES/PM/MCPEA) oblige les commerçants à fournir un casque
homologué lors de la vente de ces véhicules. Cette disposition vise à garantir que chaque acheteur dispose d’un équipement de sécurité dès l’acquisition de son engin. Malgré ces textes législatifs, le respect de cette obligation a longtemps été insuffisant. Pour remédier à cela, les autorités burkinabè ont décidé de passer à une phase de
répression progressive. Ainsi, depuis janvier 2025, des contrôles et les sensibilisations s’enchainent pour s’assurer que les usagers portent effectivement le casque.

K.F.

 

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