La vallée du Sourou dans la région de la Boucle du Mouhoun fait partie des zones humides d’importance internationale d’où son inscription sur les sites RAMSAR (zone humide d’importance internationale). Sur ce pôle de croissance de 6 558 hectares (ha) aménagés pour un potentiel de 30 000 ha, sont produits annuellement le riz, le maïs, la tomate, l’oignon, la pomme de terre, le haricot vert, etc. Malheureusement, depuis quelques temps, ces énormes potentialités agricoles sont mises à rude épreuve, entre autres, par la COVID-19 et surtout l’insécurité.
Le périmètre irrigué de la commune de Dî, dans la vallée du Sourou, est situé à environ 40 km de Tougan, chef-lieu de la province du Sourou (région de la Boucle du Mouhoun). De vastes superficies emblavées s’étendent à perte de vue sur des milliers de kilomètres (km) sur lesquelles sont produites de nombreuses spéculations telles que le riz, le maïs, la tomate, l’oignon, la pomme de terre, le haricot vert, etc. Dans cette immense plaine, des bras valides debout ou accroupis, arrachent des mauvaises herbes ou pulvérisent les champs dans le but de leur offrir un visage resplendissant pour une meilleure production. Harouna Saba, la quarantaine révolue et père de sept enfants, fait partie de ces milliers de producteurs de la vallée, classée site RAMSAR du fait de sa richesse en humidité et en espèces fauniques.
Avec sa famille, il exploite près de 6 ha dans le périmètre irrigué depuis 7 ans. Cette année 2021, la famille Saba, comme à l’accoutumée, se lance dans la diversification de ses productions. Elle produit du maïs (1,75 ha), de la tomate (1,05 ha), du riz (1,5ha), de l’oignon (1,25ha), du piment (0,12 ha) et de l’aubergine (500 m2). Au début, en dehors de sa propre consommation, soutient M. Saba, la famille pouvait brasser par an entre 1,5 et 2 millions F CFA après la vente de ses récoltes. Comme Harouna Saba, Djibril Wonni, 43 ans et père de 4 enfants, tire sa pitance quotidienne des terres arables du Sourou. Il produit, sur une superficie de 5 ha, du maïs, du riz, de l’oignon et de la tomate. « Mes productions en année de grâce peuvent atteindre 5 millions F CFA », se réjouit-il. Adama Yaro, né en 1960, père de 8 enfants est aussi compté parmi les « agrobusinessmen » de la Vallée du Sourou. Soutenu par ses deux épouses et ses enfants, le sexagénaire exploite 1 ha de terres emblavées.
Les effets pervers de l’insécurité
En hivernage, le vieux Yaro s’adonne à la production du riz et du maïs et en saison sèche, il se consacre à la culture de l’oignon, de la tomate et du haricot vert. Aux dires du chef de ménage, les récoltes de la saison pluvieuse sont essentiellement consacrées à la consommation familiale et à la vente pour faire face aux dépenses de la famille qui peuvent parfois s’élever à 400 000 F CFA par an. « En saison sèche, mes chiffres d’affaires varient entre 900 000 F CFA et un million FCFA », relève M Yaro. A quelques jets de pierre du périmètre de M. Yaro, se trouve celui de Sanatou Zongo. Agée de 30 ans, cette mère de 5 enfants exploite un petit lopin de terre de 500 m2, dans la vallée du Sourou.
Sur ce champ, Dame Zongo s’essaye en campagne hivernale à la culture du maïs et se consacre uniquement en saison sèche à la production de l’oignon. De son avis, en cas de pénurie, une partie des céréales est prélevée pour nourrir ses enfants. Quant à l’oignon, Mme Zongo confie que ses ventes varient chaque année entre 100 000 et 150 000 F CFA. A l’image des sieurs Saba, Wonni, Yaro et Mme Zongo, ils sont nombreux les producteurs venus des quatre coins du Burkina Faso à tirer leur pitance quotidienne de la vallée du Sourou. Selon le coordonnateur de l’équipe d’appui- conseil du périmètre irrigué de Dî, Souleymane Ouattara, 2 240 ha de terres ont été aménagées dans ce village en 2013 par le Millenium challenge account (MCA).
« Ce périmètre est exploité par 4 032 producteurs dont 1 928 femmes », précise-t-il. Le Directeur en charge de l’appui à la production et à la valorisation agricole dans la Vallée du Sourou, Fulbert Parou, précise qu’environ 12 000 producteurs exploitent l’ensemble des 6 558 ha de superficies aménagées et réparties entre les villages de Dî, Niansan, Lanfiera, Débé, Sonnom, etc. Une étude à l’effet d’avoir une idée sur l’impact du projet dans le périmètre de Dî a été menée par la structure de M. Ouattara. « Avec l’aménagement, les revenus ont été multipliés par trois voire quatre.
Avant, le revenu annuel moyen des producteurs tournait autour de 500 000 F CFA, mais aujourd’hui il est de 2 millions F CFA », atteste le coordonnateur. Toutefois souligne M. Ouattara, la crise sécuritaire et la maladie à Coronavirus (COVID-19) ont eu un impact préjudiciable sur la production. Avec l’insécurité grandissante à partir de 2020, déplore Souleymane Ouattara, on note des réticences chez certains producteurs, si bien que des superficies emblavées n’ont pas été exploitées au moment idéal. Pour Harouna Saba, la COVID-19 et le terrorisme ont eu un impact négatif surtout sur la commercialisation des produits maraîchers.
« Les acheteurs des pays voisins n’ont pas pu faire un déplacement massif cette année dans la vallée. Ma perte comparativement aux années normales s’élève à près d’un million F CFA », annonce-t-il, l’air mécontent. Djibril Wonni a aussi vu son chiffre d’affaires péricliter d’année en année. « En 2014 avec l’aménagement de la vallée, j’ai fait un chiffre d’affaire de 8 millions F CFA, l’année qui a suivi, il était au tour de 5 millions et en 2016, je n’ai eu que 3 millions F CFA », susurre-t-il. Cette perte est due essentiellement à l’état défectueux de la route, justifie-t-il. L’agrobusinessman indexe aussi le contexte sécuritaire. Avec la situation confuse, explique M. Wonni, les partenaires intérieurs et extérieurs se font rares et les coûts des produits ont chuté à cause de la mévente.
L’initiative « un million de tonne de riz paddy »
Et Adama Yaro de renchérir que durant les 6 ans d’exploitation, son plus bas chiffre d’affaires a été enregistré au cours de la saison sèche 2020-2021. « La vente de mes oignons a été en-dessous de 800 000 F CFA. J’ai dû faire deux semaines avant d’avoir un preneur », regrette-t-il avec un brin de tristesse. Hamado Nassa, chauffeur routier, fréquente la Vallée du Sourou pour le transport des produits maraîchers depuis 1996. Une fois son camion chargé, le natif de Koudougou prend la direction de la Côte d’Ivoire où il écoule sa marchandise dans les villes d’Abidjan, de Daloa et de Bouaké.
De son avis, la fermeture des frontières à cause de la maladie à Coronavirus, les tracasseries routières et « l’inondation » du marché par les oignons venus du Nigéria constituent les principales difficultés de son secteur d’activité. « Pour la COVID-19, nous avons eu peur au démarrage car cela a coïncidé avec la période de maturité de la tomate. Les camions chargés étaient bloqués et il a fallu que l’on parte à l’information pour se rendre compte que le fret était admis à la circulation. Nous avons applaudi cette mesure d’allègement car si ce n’était pas le cas, ce serait la désolation », s’est-il réjoui. En 2020, M. Nassa dit avoir effectué neuf voyages.
Cette année, le transporteur n’est qu’à son 3e voyage, relève-t-il. A écouter Adama Yaro, ce sont majoritairement les Ghanéens et les Ivoiriens qui se déplacent dans la vallée pour l’achat des produits maraîchers.
« Cette année, nos bienfaiteurs ne sont pas venus. C’est plutôt un Burkinabè qui a acheté nos récoltes pour les revendre au Mali », relève-t-il. Pour pallier cette mévente, M. Yaro lance un cri du cœur aux autorités.
« A défaut d’acheter nos récoltes, le gouvernement peut négocier des partenaires pour nous ou nous guider pour leur écoulement », plaide-t-il. En attendant l’effectivité de cette doléance, les producteurs disent développer des alternatives pour combler l’absence des acheteurs ghanéens et ivoiriens. « Nous nous sommes tournés vers le Mali avec certains partenaires qui arrivent tant bien que mal à enlever notre production à cause du confinement », soutient Harouna Saba. De leur côté, les structures techniques de la Vallée du Sourou affirment aussi s’atteler à voler au secours des producteurs.
Pour freiner la baisse des prix des produits maraîchers, notamment l’oignon au regard de la limitation de la mobilité due à la fermeture des frontières, le ministère de l’Agriculture, des Aménagements hydroagricoles et de la Mécanisation, a pris la décision de combler le manque à gagner en accompagnant les producteurs à produire le riz. Une démarche qui cadre avec l’initiative du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, qui vise à produire par an au moins un million de tonnes de riz paddy. Chaque année, selon le Directeur provincial en charge de l’agriculture du Sourou, Fayçal Téguéra, des intrants subventionnés sont mis à la disposition des producteurs.
« Cette dotation est constituée de 35% d’engrais uniquement réservés à la production rizicole. Nous avons reçu une quantité considérable de semences de riz par rapport aux années précédentes. Nous avons aussi reçu l’appui de la Banque africaine de développement (BAD) avec des produits phytosanitaires et des équipements de traitement », détaille Fayçal Téguéra. Avec l’avènement de la COVID-19, il sera difficile pour le pays des Hommes intègres d’obtenir une quantité importante de riz, prévient le coordonnateur de l’équipe d’appui-conseil du périmètre irrigué de Dî. D’où la nécessité d’augmenter la production nationale de la céréale. A ce propos, le coordonnateur confirme que depuis 2020, les producteurs ont bénéficié de l’engrais subventionné pour les champs de riz.
« Cette mesure a entraîné une hausse des superficies emblavées consacrées au riz. Ce sont 565 ha sur le périmètre de Dî qui ont été réservés au riz. Nous souhaitons que ces efforts se poursuivent », suggère-t-il.
La transformation de la tomate en cours
Selon M. Téguéra, malgré la situation d’insécurité, son administration ne cesse de développer des initiatives de concert avec les producteurs pour perpétuer les activités de production dans la Vallée du Sourou. Avec la COVID-19, poursuit-il, plusieurs initiatives ont également été développées. De son avis, ces efforts ont permis à la province du Sourou d’atteindre une production record.
« Au regard des statistiques nationales, en terme de progression, cette année le Sourou vient en tête. Nous avons produit à peu près 20 000 tonnes de riz dans la province. Les initiatives du ministère en charge de l’agriculture et nos stratégies avec les producteurs ont porté fruit », se réjouit-il.
A l’en croire, la Vallée du Sourou, beaucoup plus orientée dans la production maraîchère, a grandement contribué à l’atteinte de ce rendement. Avec la sensibilisation pour cette campagne sèche, plus de 1 662 ha emblavés ont été consacrés à la culture du riz, précise le directeur provincial. Pour accompagner les efforts des producteurs, un prix plancher a été fixé pour le riz paddy à 150 F le Kg pour cette campagne. Cette mesure vise à galvaniser les « agrobusinessmen » en vue de produire plus le riz, soutient Fayçal Téguéra.
Concernant l’écoulement des produits maraîchers, la principale difficulté des producteurs de la Vallée, rassure M. Téguéra, des réflexions sont en cours pour trouver une solution durable. « Ce sont des ventes individuelles qui sont actuellement constatées sur le marché alors que des sociétés coopératives existent. L’une des vocations de ces sociétés est de regrouper l’ensemble des producteurs pour écouler les produits à des prix rémunérateurs », fait remarquer l’ingénieur d’agriculture. Des comptoirs ont été réalisés mais le projet n’est pas encore arrivé à maturité. Des discussions sont en cours pour les rendre opérationnels, affirme-t-il. Pour la transformation de la tomate, un particulier a bâti une unité de transformation complète. Lorsque cette unité sera fonctionnelle, les producteurs pourront signer différents types de contrats avec la société pour éviter les pertes, promet le directeur provincial de l’agriculture.
Abdoulaye BALBONE
« La menace sécuritaire est encore réelle »
« La crise sécuritaire est réelle au niveau de la vallée du Sourou » ; c’est ce qu’a confié un agent de l’AMVS, souhaitant garder l’anonymat. En raison du classement de la province parmi les zones dites rouges, a-t-il dit, les partenaires se font de plus en plus rares. « Pourtant, leur présence est nécessaire pour qu’ils puissent aussi défendre les dossiers de la Vallée. Nous avons un certain nombre de projets qui vont bientôt démarrer. Nous nous demandons quelle approche faut-il mettre en place afin que ces projets soient mis en route et puissent apporter une plus-value. Lorsque le travail se fait, la peur au ventre, il est difficile d’investir comme on le souhaite », a-t-il soutenu. A l’entendre, alors qu’une relative accalmie s’est installée, des hommes armés sont venus incendier les lieux de vente de dolo (boissons alcoolisées locales), de viandes de chiens et de porc à Niassan et à Débé, le 16 février 2021.
A.B.
Dr Roland Bama, médecin-chef du district de Tougan par intérim :
« Il est difficile de contrôler le flux de personnes »
« A la date du 18 févier 2021, nous sommes à zéro cas de la COVID-19. Sur l’aire du district sanitaire, des séances de sensibilisation sur les mesures barrières pour la lutte contre le coronavirus sont réalisées par les agents sur le terrain. Les dispositifs de lave-mains sont disponibles dans chaque formation sanitaire grâce à l’appui du ministère de la Santé et d’autres partenaires intervenant dans la province. Une dizaine de tests ont été réalisés dans la province du Sourou par nos services.
Avec le contexte d’insécurité, il est difficile de contrôler le flux de personnes qui entrent ou qui sortent de la province. Dans la ville de Tougan, nous ne disposons pas de poste de contrôle pour tester les passagers. Au début, on avait commencé avec l’appui de la Croix-Rouge mais le manque de moyens a fait que l’opération s’est arrêtée. Normalement, un poste permanent au niveau de la vallée devrait être opérationnel pour le contrôle de température. Ce qui n’est pas le cas. Il existe un poste fonctionnel uniquement les jours de marchés ».
A.B.