On parle toujours des violences faites aux femmes mais on oublie souvent celles dont nous sommes victimes, nous les « mâles ». En vérité, nous ne sommes pas tout à fait le sexe fort et la force ne se trouve pas que dans les muscles et les os. Nous souffrons en silence et personne ne le sait. De toute façon, personne ne nous croira. Mon voisin du pan coupé vit dans une poudrière comme foyer. Du haut de ses 1 m 80, c’est un gargantua aux épaules de tracteur et à l’âme de baroudeur. Cet homme à la démarche de bulldozer est un vrai bras valide dont l’utilité pour la Nation n’est pas à démontrer. D’ailleurs, c’est un digne fils du pays qui sert dans les hautes sphères de la patrie.
Quand il entre ou descend de sa voiture, il n’ouvre pas la portière ; il y a toujours quelqu’un pour faire ce boulot et quand il met les pieds à terre, tout le monde se met en ordre de respect. Sans trahir son identité, mon voisin est un homme respectable et respecté, craint et adulé. Mais, il suffit d’entrer chez lui pour se rendre compte que le cacique en fer n’est qu’un « mâle dominé » ; un tigre en papier, froissable à volonté, corvéable à l’envi. La femme de mon voisin est une impératrice à la carrure de statuette, un « petit modèle » à peine perceptible mais suffisamment « pimentée » pour faire larmoyer un colosse. A ses pieds, le boss n’est qu’un molosse édenté, dressé pour servir sans murmure ni hésitation. Le grand du dehors et du monde n’est qu’un valet qui fait l’escorte d’une dame de fer d’à peine 1 m 70 et dont le poids ne vaut même pas un bon sac de riz. Le paradoxe est total et inédit !
Les femmes détiennent le vrai pouvoir ! La femme de mon voisin est une tigresse tapie dans la peau d’un agneau. Mais à bien regarder sa démarche, les initiés savent que ce n’est pas une femme de foyer. Les mauvaises langues racontent que mon voisin a piqué sa virago dans un casino au pied d’une machine à sou. Elle a un penchant pressant et pesant pour l’argent ; elle dépense sans compter. Le salaire du voisin est une masse à partager qu’elle repartit indûment à souhait. D’ailleurs, c’est le voisin lui-même qui le lui tend chaque mois. Ses frais de missions sont des bonus systématiquement reversés dans le panier sans fond de la mégère. Les mauvaises langues sifflent sans arrêt que le voisin a été envoûté par sa femme. Le pauvre aurait mangé et bu ce qu’il ne fallait pas, pour être doux et docile. Il a dû même se laver avec de l’eau trouble aux ingrédients mystiques pour ne plus voir clair à dix mètres en plein jour.
Mon voisin n’a d’yeux que pour sa femme et Dieu seul sait s’il ne vénère pas son charmant « colis ». Il a travaillé à placer les frères et sœurs de sa femme un peu partout dans l’administration publique et dans le privé. Ses propres frères rasent les murs de la vie et ceux qui ont la baraka tournent le pouce dans sa cour en arrosant les fleurs, en lavant les voitures et en faisant les petites courses domestiques. C’est pathétique de voir un homme fouler au pied les siens pour s’affaler et se prélasser dans les bras d’une féline sangsue. La femme de mon voisin est sa sorcière préférée, sa « blessure sucrée » comme dirait un grand comédien de chez nous.
Mais l’histoire de mon voisin n’est pas une comédie. C’est une tragédie ou si vous voulez, une tragicomédie aux allures de parodie et au goût de félonie ! Comment un homme de cette trempe peut-il se laisser tremper autant, malmener de la sorte dans les détours d’un amour vautour sans secours ? Mais il paraît que mon voisin mérite son sort. Pour lui, l’argent est plus urgent que les gens. Sa belle-famille est plus belle que la sienne. Ses propres parents sont relayés au second plan de sa vie. Il paraît même qu’il est maudit ! Ils sont nombreux ces grands hommes qui se tiennent debout sur des pieds d’argile. Ils sont légion ces hommes forts qui vivent dans des forts, mais dont les siens n’ont que leur sort à pleurer et n’ont rien. Leur fierté est un trophée en papier mâché et craché ; leur gloire n’est qu’une victoire illusoire, un feu de paille qui s’effrite et s’éteint sans trace. On ne peut pas contraindre un homme à aimer son père, sa mère ou son frère plus que sa femme ; mais quand un homme déifie sa femme au point d’oublier les siens, il faut reconnaître que le bon sens a perdu le nord. Mais quand vous portez un seau d’eau troué sur la tête, pourquoi s’étonner d’être mouillé ? Quand vous vous couchez sur le dos pour cracher, à qui est destiné le crachat qui retombe ? En vérité, nous méritons parfois et même souvent ce qui nous arrive ! Ne dites rien à mon voisin… !
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr