Apékira Gomgnimbou : l’agroécologiste éleveur de phacochères

Agroécologiste, apiculteur, éleveur d’animaux sauvages, Apékira Gomgnimbou est un défenseur bien connu de la cause du développement durable dans la province du Nahouri, région du Centre-Sud. Portrait d’un paysan écologiste, éleveur de tortues et de phacochères ; natif de Pô et nostalgique de la Révolution d’août 1983.

Gomgnimbou Apékira est une figure bien connue dans la ville de Pô, dans la province du Nahouri. Il doit sa notoriété à son militantisme sous la Révolution d’août 1983 et son activisme pour l’agroécologie. Son attachement à l’agriculture date de sa tendre enfance, auprès de ses parents paysans. Après l’obtention de son Certificat d’études primaires (CEP) en 1969, M. Gomgnimbou n’aura pas la chance de poursuivre ses études secondaires, faute de collège dans sa ville natale. Dès lors, son mariage avec le travail de la terre semble avoir été scellé. Depuis plus de 30 ans, le natif de Pô de 67 ans, marié et père de trois enfants, s’est retiré dans le village de Torèm, à 6 km de sa ville natale, pour s’adonner à sa passion. Producteur atypique multi casquettes, sur son domaine de 20 hectares, élevage non conventionnel d’animaux sauvages, élevage classique de volailles et de petits ruminants, apiculture, arboriculture, agroécologie meublent le quotidien de celui qui se définit comme un « grand ami de la nature ».

Gomgnimbou Apékira a acquis un couple de phacochère malgré une précédente expérience infructueuse.

Cet amour pour le milieu naturel va l’amener à se lancer dans une activité peu courante au Burkina Faso : l’élevage d’animaux sauvages. En mai 2016, avec l’appui du Ranch de gibier de Nazinga et du projet PAPSA, il acquiert un troupeau de quatre phacochères, dont un mâle. Après deux ans d’expérimentation de cet élevage peu ordinaire, alors que les femelles étaient presqu’à terme, les quatre fauves, profitant de la faible qualité du grillage de l’enclos, s’évadent le 6 mars 2018, pendant que leur maitre était en déplacement. Avant de se fondre définitivement dans la nature, ils rodaient dans les brousses environnantes du village. « Les gens venaient me dire : « on a vu tes phacochères à tel ou tel endroit. » Mais j’ai refusé de les abattre. Qu’ils reviennent ou pas, s’ils mettent bas, ce serait un plus pour la survie de leur espèce, pour la biodiversité », argue-t-il. Malgré cette première expérience malheureuse, l’ancien délégué CDR va s’offrir un nouveau couple de phacochères en début juillet 2021. « Pour le moment, ils vivent ensemble dans cette cage compartimentée en salon et chambre, avec une litière. Quand la femelle va être à terme, je vais la séparer du mâle, en la mettant dans l’autre cage. Les petits doivent y rester au moins 15 jours avant de sortir ; sinon avec l’odeur du sang, le mâle va les dévorer », explique-t-il, avec une certaine aisance qui traduit sa maitrise du sujet, devant l’étable moderne servant d’habitat aux fauves.

Pionnier dans l’apiculture moderne

Non loin de la tanière domestique des phacochères se dresse un mini- enclos hébergeant cinq tortues géantes, dont deux adultes. Elles y déambulent lentement, dévorent l’herbe fraiche apportée par leur maître. « Le mâle est le plus gros », confie-t-il. Par cet élevage non conventionnel, Gomgnimbou Apékira veut contribuer un tant soit peu à préserver la biodiversité. « Aujourd’hui, dans notre pays, nombre d’espèces animales sauvages sont en voie de disparition. Il faut sauver ce qui peut encore l’être », argumente-t-il. En véritable agroécologiste multitâches, Apékira Gomgnimbou fait de l’apiculture sur son domaine. Ses ruches modernes sont implantées à divers endroits sous les arbres. « Je suis l’un des pionniers de l’apiculture moderne au Burkina Faso. Je ne le dis pas pour me vanter, mais pour situer les choses dans leur contexte », souligne-t-il. Sa rencontre avec l’apiculture remonte en 1982, dans le Sud-Ouest de la France, lors d’un séjour entrant dans le cadre de la coopération décentralisée entre sa ville natale, Pô, et Pau, une cité française. M. Gomgnimbou était le plus jeune et le seul paysan de la délégation de Pô qui avait effectué le voyage dans l’Hexagone. « Lors de nos tournées, j’ai aperçu un monsieur habillé en blanc, accroupi sur des caisses blanches. Par curiosité, j’ai voulu savoir ce qu’il faisait. De l’apiculture, m’a-t-on répondu ! C’est quoi l’apiculture, avais-je rétorqué », relate-t-il. Le jeune Voltaïque a du mal à comprendre que des gens s’adonnent à l’élevage de ces « méchants insectes ».

Par l’élevage non conventionnel des phacochères et des tortues, M. Apékira veut contribuer à préserver les espèces en voie de disparition.

Il veut en savoir davantage ! Il fait stopper le véhicule qui transportait la délégation mixte pour « deux minutes d’échanges » avec l’apiculteur français. A la fin de la mission, M. Gomgnimbou a souhaité que l’apiculture soit inscrite parmi les projets du jumelage Pau-Pô. Ce qui fut fait ! Par la suite, il obtient une bourse pour une formation de deux ans (1984-1986) en apiculture à Monnaie en France. Il sort nanti d’un certificat de formateur des formateurs en apiculture. « Lorsque le projet de ma formation a été accepté, le partenaire français avait souhaité que l’Etat burkinabè m’intègre au ministère de l’Agriculture afin que je puisse contribuer au développement de l’apiculture », se souvient-il. Mais, à une époque où l’activité apicole était absente des politiques publiques agricoles, la requête n’avait pas abouti. De retour au pays, il s’investit dans la production apicole et la formation des hommes et des femmes à l’apiculture moderne. Les débuts ne furent pas un fleuve tranquille. Aujourd’hui, grâce aux jalons posés par Apékira Gomgnimbou, ils sont des dizaines de la province à tirer des revenus de l’activité apicole. Mais au-delà de l’intérêt économique, son engagement dans l’apiculture tient à son impact environnemental. Les abeilles, à travers la pollinisation, jouent un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité végétale, soutient-il.

« Produire sans détruire »

Au commencement de toutes ces initiatives de « l’exilé de Torèm » était l’agroécologie. Sur son domaine, il mène plusieurs expériences d’agroforesterie. Cultures maraîchères et céréalières cohabitent harmonieusement. Maïs et aubergines, nourris à l’engrais biologique produits par compostage sur place partagent le même espace productif. Contrairement à l’engrais chimique qui nourrit seulement la plante, l’engrais biologique alimente et la plante et le sol, explique l’agroécologiste. « Lorsqu’on laisse les herbes grandir avant de les arracher, elles constituent de la fumure organique pour les cultures, offrent de l’azote au sol. En agroécologie, on ne désherbe plus lorsque les herbes ne sont plus nuisibles aux cultures », enseigne-t-il, entre deux coups de daba aux mauvaises herbes aux pieds du maïs ; tout en rappelant le sacro-saint principe agroécologique : « produire sans détruire ». Pour ce paysan écologiste, l’homme n’a pas besoin de grandes superficies ou de détruire la nature pour produire rentable, comme ce qui se fait dans l’agriculture industrielle.

Après plus de trois décennies d’abnégation Apékira Gomgnimbou a réussi à constituer environ 8 hectares de forêts naturelles.

« Il y a 50 ans, nos parents faisaient de l’agriculture biologique. Ils ne connaissaient pas d’engrais chimiques ou de notion d’hectares. Mais ils étaient dans l’autosuffisance alimentaire. Car, tout simplement ils respectaient la nature et en retour, elle leur donnait de toute sa force ce qu’elle pouvait offrir », relate-t-il. Et d’ajouter que face au changement climatique, l’agroécologie constitue la meilleure approche pour son pays, mais aussi pour l’Afrique ; car elle est rationnelle, respectueuse de l’environnement et non destructive des ressources naturelles. Et tout bon agriculteur, clame l’ancien stagiaire du centre agroécologique de Gorom-Gorom, doit être un défenseur de la nature. Dans la moitié Ouest de son domaine, une autre organisation de l’espace productif se déploie. Forêts savanicoles et cultures s’alternent. A la suite de la première réserve forestière d’un hectare s’étalent deux hectares de cultures vivrières et de tournesol, séparés de haies vives.

Il s’apprête à y renforcer le couvert avec une centaine de pieds d’anacardiers et de baobabs ; les trouaisons y sont déjà faites. Le choix de s’investir dans la culture du tournesol n’est pas fortuit. En agroécologie, dit-il, toute initiative nouvelle doit répondre à un objectif écologique. « Il est une plante peu exigeante et très mellifère. Sa culture contribue à améliorer mes rendements en miel. En le transformant, le tournesol donne de l’huile sans cholestérol, fournit du tourteau pour le bétail », détaille M. Gomgnimbou. L’un des grands mérites de ce « grand ami de la nature » est d’avoir généré avec abnégation, à travers l’arboriculture, année après année, des formations forestières naturelles d’environ 8 hectares peuplées de milliers de végétaux comme les combrétacées, les mimosacées, les lianes goïnes, etc. et d’espèces animales (reptiles, lièvres, rats, oiseaux, insectes). « Ces forêts constituent des brise-vents, luttent contre l’érosion éolienne et hydrique grâce au maillage racinaire. Elles créent un microclimat propice à l’activité apicole, et surtout à la régénération de la biodiversité. Les arbres attirent davantage les oiseaux qui sont les premiers semenciers forestiers », décortique-t-il au milieu de son domaine forestier.

« C’est notre Yacouba Sawadogo »

Le directeur provincial de l’environnement du Nahouri : « M. Apékira a très vite compris l’urgence de protéger les ressources naturelles ».

Pour ériger ses domaines forestiers, l’écologiste rural a combiné méthodes de mises en défens, régénérations naturelles et plantations d’espèces locales. « Lorsque je trouve certaines semences forestières en brousse, je les ramasse pour venir jeter dans ma forêt. Après, elles poussent toutes seules », ajoute-t-il. Toutes ces initiatives ont fait de Apékira Gomgnimbou un acteur respecté dans la région du Centre-Sud dans le domaine de la protection de l’environnement.

« J’ai deux ans de service dans la province. Mais le peu que j’ai appris de lui et de mon constat sur le terrain montrent qu’il est un homme qui s’investit, s’illustre positivement dans la préservation de l’environnement. Il a très tôt compris l’urgence de protéger les ressources naturelles », confie l’inspecteur des eaux et forêts, Jean Bosco Zongo, par ailleurs directeur provincial de l’environnement du Nahouri. Les actions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique conduites par M. Gomgnimbou relèvent des initiatives qui contribuent à réduire la pression des populations sur la deuxième réserve écologique du pays, le complexe PONASI, que la région abrite, soutient M. Zongo. Il est notre Yacouba Sawadogo (ndlr : lauréat du prix Nobel alternatif 2018), ironise-t-il. L’un des atouts de cet homme affable, ajoute M. Zongo, est qu’il est très ouvert, collaboratif et n’hésite pas à demander conseil aux techniciens des services de l’environnement. Yannick Boussim est porteur d’un projet de transformation agroalimentaire et de conservation des produits agricoles à Pô. Il connait Apékira Gomgnimbou depuis plus d’une dizaine d’années. A l’époque M. Boussim était coordonnateur d’un projet visant à susciter l’engagement des populations de base dans l’auto-gestion des ressources naturelles. Des années après, Yannick Boussim n’oublie pas la bienveillante implication du natif de Pô dans le succès dudit projet. « M. Gomgnimbou a joué un grand rôle dans la mobilisation sociale des communautés locales, dans l’éveil des consciences pour la protection des ressources forestières. Je le consultais pour bénéficier de son expérience.

Car il est engagé depuis longtemps dans ce combat pour la protection des écosystèmes. Il a donc été une interface positive pour convaincre les populations à adhérer à ce nouveau système d’auto-gestion durable des ressources naturelles, de restauration des écosystèmes, de la biodiversité », se remémore encore M. Boussim. Il retient également de Apékira Gomgnimbou, l’image du militant convaincu de la cause de l’agriculture durable. « Il n’est pas rare de le voir très remonté contre l’utilisation des pesticides. Il conseille aux paysans de ne pas s’engager dans l’utilisation des produits chimiques qui ont des effets nocifs sur les micro-organismes, détruisent l’environnement, la chaine productive et le couvert végétal. C’est pourquoi il ne s’est jamais engagé dans la production du coton qu’il considère comme une culture de rente destinée à payer les dettes extérieures des Etats africains sans pour autant profiter véritablement aux paysans », soutient Yannick Boussim.

Appel à des politiques agroécologiques ambitieuses

Nonobstant ces hommages qui figent de partout, l’homme est resté modeste, la tête sur les épaules. Pour lui, en matière de préservation de l’environnement, on n’en fait jamais assez ! « Je ne calcule pas la rentabilité monétaire de mes investissements ; comme disent les biologistes, la biodiversité contribue à la beauté de la nature, je participe à cet embellissement », rigole-t-il. A long terme, il a plutôt en projet de faire de son domaine un site à caractère touristique, un cadre d’éducation environnementale pour les enfants, fait savoir celui qui a pourtant eu l’opportunité de se construire une « belle carrière politique ». « Après le coup d’Etat de 1987, je me suis retiré de la scène politique. Blaise Compaoré disait qu’il voulait rectifier la Révolution, mais j’ai constaté qu’il a plutôt rectifié pour servir l’impérialisme. Il avait baissé le poing, ouvert la paume, transformé les doigts en râteaux et nous raclait tout ; il est passé de révolutionnaire à ultracapitaliste. Je n’ai pas voulu suivre cette voie. Sinon en 1992, Blaise lui-même m’a proposé d’être député de son parti, ODP/MT, à Pô ; mais j’ai refusé », relate, sans remords ni regrets, l’ex-délégué communal de Pô. Pour lui, le père de la Révolution burkinabè était l’un des rares présidents africains à avoir eu une réelle vision agroécologique.

 

Ses cultures sont entretenues à l’engrais biologique.

« Thomas Sankara était un génie pragmatique et cohérent. C’est lui d’ailleurs qui m’a inspiré dans tout ce que je fais. Lorsqu’en 1985 à Léo, à la 1re édition de la journée de l’arbre qu’il a initiée, il demandait aux chercheurs burkinabè d’orienter leurs recherches vers la productivité du karité pour en faire le cacao du Burkina, les gens le prenaient pour un fou », rappelle-t-il. Aujourd’hui, malgré sa volonté, M. Gomgnimbou fait face à des contraintes sur le chemin du déploiement de ses projets écolo. Le fait que son domaine ne soit pas clôturé l’expose à de nombreuses agressions. « Je ne suis pas maitre des lieux.

Les bergers y entrent avec leurs troupeaux. Des femmes y coupent souvent du bois vert. Si je les convoque devant les agents des eaux et forêts, je risque d’empoisonner le climat social », révèle-t-il, l’air impuissant. A cette difficulté, s’ajoute celle non moins importante de la non-sécurisation de son domaine par un titre foncier. Sans oublier le besoin de réaliser un inventeur forestier de son domaine et d’étendre son élevage non conventionnel à d’autres espèces sauvages. En tout état de cause, M. Gomgnimbou reste convaincu que l’agroécologie constitue la meilleure option pour le Burkina Faso et l’Afrique d’atteindre l’autosuffisance alimentaire ; mieux, l’entrepreneuriat agroécologique constitue une alternative pour le sous-emploi des jeunes ruraux.

Gomgnimbou Apékira : « l’agroécologie constitue la meilleure approche pour le Burkina voire l’Afrique de s’adapter au changement climatique et d’atteindre l’auto-suffisance alimentaire. »

S’il se réjouit de savoir que son pays est en train de se doter d’une stratégie nationale de développement de l’agroécologie (2023-2027), l’ancien secrétaire général de l’Union nationale des paysans du Burkina (UNPB) attend avec impatience sa mise en œuvre concrète et conséquente sur le terrain. Car de sa petite expérience, c’est l’absence de consistance, de cohérence et de continuité des politiques agricoles qui handicape le développement de l’Afrique.

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com


 

Encadré :  Une éco-citoyenneté reconnue

L’engagement écocitoyen de Apékira Gomgnimbou lui a valu des distinctions. En1999, il a été fait lauréat de la 4e édition du « Concours National Agricole Conseil de l’Entente » dans la catégorie protection de l’environnement. En 1993, son implication dans la promotion de l’apiculture a été reconnu à travers un prix d’encouragement lors de la 1ère Foire Régionale du 2e Plan quinquennal tenue à Manga. En 2007, c’est la mairie de Pô qui exprime sa reconnaissance à M. Gomgnimbou, en lui décernant la médaille d’honneur des collectivités locales. Aujourd’hui, plein de projets écologiques trottent dans sa tête. Mais le nerf de la guerre fait défaut. C’est pourquoi, l’accompagnement des partenaires et des bonnes volontés ne serait pas de trop.

M.S


 

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