De la crise d’essence à l’essence en crise

La crise du super 91 qui nous frappe depuis quelque temps vient nous rappeler à quel point nous sommes dépendants et vulnérables à la fois. Sans carburant, la vie n’est plus belle à Ouaga, du motocycliste au propriétaire de grosse cylindrée, chacun en a pour son compte. Et il suffit de regarder la ruée effrénée des usagers et les files interminables dans les stations-service pour prendre la mesure de la situation.

Désormais la « capitale de l’incurie » fait son entrée dans l’écurie des pénuries. La furie du manque ne vaut même pas encore le dixième de ce que vivent nos compatriotes des zones dites rouges et déjà les Ouagalais crient à l’enfer. Un de mes voisins m’a soufflé, hier, qu’il souhaite même que ça dure encore quelques semaines. Il a même dit pire mais cette chronique n’est pas une trompette apocalyptique.

Ce qu’il faut retenir, c’est que cette crise vient nous rappeler que nous sommes presque tous dans le même bateau et rien ne sert de se contenter de son nombril à un moment où nous avons besoin de nous donner la main. Si cette crise perdure et s’enlise, il y a de forte chance que la vie s’arrête. Le petit bourgeois à la bedaine de butin qui n’a presque jamais marché ou pédalé sur cent mètres devra descendre de sa tour d’ivoire pour enfourcher son destin. Le voisin arrogant qui nous éclabousse chaque jour de poussière ou de boue descendra dans l’arène de la lutte pour se défendre.

Le fils à papa aux rondeurs de chocolat goûtera aux calories de ses sucreries à pied sur le chemin de l’école. Ceux qui palpaient les bons d’essence et qui les distribuaient à qui se laissait palper devraient se résoudre à l’autopalpation. D’ailleurs, c’est l’occasion d’apprendre à marcher, à pédaler et à suer. C’est aussi l’occasion de s’asseoir ou d’aller lentement à l’allure de l’introspection, sans vrombir ni klaxonner et penser à notre rôle, à notre contribution face à la situation.

Et si cette crise de carburant pouvait nous mettre tous à pied dans nos quartiers et dans les rues, nous aurions au moins la chance de serrer la main de l’inconnu voisin et lui dire bonjour ; nous rencontrerions le disparu ami qui ne logeait qu’à quelques encablures de chez nous. Si seulement elle pouvait encore durer et s’étendre, nous marcherons à la même hauteur que le petit mendiant qui larmoyait à nos portières aux vitres blindées. Le meilleur carburant, c’est l’énergie et la chaleur humaine qui est en pénurie en nous.

Le vrai carburant, c’est cette solidarité qui passe par nos mains pour agir dans la vie des autres. Le véritable super 91, c’est cette étincelle qui s’éteint à petit feu en nous sans pouvoir embraser la fibre patriotique qui nous fait défaut. Tout comme la crise sécuritaire qui dresse la fratrie contre la patrie, cette « petite » crise énergétique vient de révéler le vrai visage du Burkinabè. Pendant que les uns se battent pour se procurer quelques gorgées du liquide précieux, d’autres se bousculent pour se remplir les bidons et tendre des « embuscades » aux usagers désespérés pour leur vendre ce qui coûtait 750 F CFA le litre à 2 500 ou 3 000 F.

Et ces Burkinabè véreux prient et souhaitent que la situation aille de mal en pis pour leur permettre de tirer du pire de la masse le meilleur de l’égo. La pénurie de carburant n’est qu’un moindre mal face à la pénurie de notre intégrité. Et mon Faso est devenu un panier de crabes où la montée vers le bout du tunnel est un éternel recommencement. Ceux qui parviennent à la sortie sont tirés par le bas par ceux qui sont au fond. Chacun se bat pour sa chose et personne ne se démène pour personne.

Notre nombre n’est que la somme de nos faiblesses ! Il suffit de regarder les scandales à forte odeur de corruption et de concussion qui entachent notre nation pour se rendre compte que le terrorisme n’est pas que dans la cruauté du poseur de mine, il est aussi dans le cynisme des anges protecteurs aux desseins de ravisseurs. On peut être Burkinabè et abuser impunément du patrimoine des Burkinabè sans être inquiété.

On peut être Burkinabè et se tirer une balle dans son propre pied en plein assaut contre l’ennemi commun. On peut être Burkinabè et faire du malheur d’autres Burkinabè le terreau fertile de son bonheur et vivre en paix avec sa conscience. Voilà pourquoi nous manquerons toujours du carburant nécessaire pour avancer malgré les richesses et les valeurs que nous drainons.

Parce que nous avons tué le patriotisme sur l’autel de l’égoïsme. Parce que notre idéal est une idylle vénale. Parce que notre intégrité ne porte plus la robe des prétoires, elle rôde toute nue le long des trottoirs. Au-delà de la crise de l’essence, c’est notre essence même qui est en crise, notre intégrité !

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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