Le dialogue de l’espoir

Le dialogue national inclusif tchadien, initialement prévu le 15 février et reporté au 10 mai 2022, aura-t-il lieu à bonne date ? Cette question n’est pas anodine, au lendemain de la non- tenue du prédialogue avec les 26 mouvements politico-militaires recensés. Cette rencontre d’intérêt, annoncée pour le 27 février dernier à Doha au Qatar, n’a pas eu lieu, alors que le président de la Transition, le général Mahamat Idriss Déby, avait donné toutes les assurances.

C’était sans compter avec des impératifs, que le fils du défunt président tchadien, semble avoir minimisé, notamment des problèmes logistiques et de coordination avec les autorités qataries, rompues pour ce genre de négociations. Les deux parties ne se sont pas entendues sur le nombre de participants. Le Qatar souhaite moins d’acteurs, un choix que le général Déby ne partage pas. Pour le patron de la junte militaire au pouvoir, aucun Tchadien ne doit être écarté, ni au prédialogue ni aux assises nationales.

L’autre raison qui explique la non- tenue du prédialogue, c’est la situation administrative des rebelles, pour la plupart résidant à l’étranger. Placés sous contrôle judiciaire, certains ne peuvent pas quitter leurs pays d’accueil, tandis que d’autres ne disposent pas de passeports pour voyager. Ce sont autant de détails qui compromettent l’organisation du prédialogue, sans lequel, le dialogue inclusif national, censé asseoir les bases d’une véritable réconciliation et définir le calendrier pour les futures élections, serait biaisé.

A moins de trouver une autre formule, les écueils doivent être levés, pour que le rendez-vous de Doha, très capital à nos yeux, soit une réalité. Une nouvelle date n’a pas été fixée, mais selon certaines indiscrétions, les lignes ne devraient pas bouger avant le 12 mars prochain.

Il ne faut pas exclure, dans ces conditions, un nouveau report du dialogue national inclusif, très attendu des Tchadiens de l’intérieur ou vivant librement ou par contrainte hors du pays. Pour qui connait l’histoire du Tchad, pays miné par une instabilité politique depuis son accession à l’indépendance en 1960, une réconciliation sans les mouvements politico-militaires ne saurait être fiable. Nombre d’entre eux ont perpétré plusieurs attaques contre le régime autoritaire d’Idriss Déby Itno, qu’ils ont échoué à renverser, jusqu’à le tuer.

Le Tchad est coutumier des coups d’Etat et des guerres civiles, alimentés par des clivages ethniques nord-sud, avec parfois des implications extérieures. L’esprit de rébellion habite les Tchadiens depuis le règne de François Tombalbaye, le père de l’indépendance, assassiné en 1975 à la suite d’un putsch. La répression, qu’il a exercée contre les opposants et les civils, à l’image des paysans révoltés contre les agents des Impôts en 1965, a nourri les haines et les rancœurs.

L’autoritarisme de Tombalbaye avait d’ailleurs suscité un mouvement révolutionnaire, le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), d’Ibrahim Abatcha. Malgré la répression, le Frolinat avait résisté, avant de se fissurer à cause des dissensions internes, pour donner naissance à plusieurs groupes politico-militaires. La fronde avait aussi gagné les rangs de l’armée. Depuis lors, la lutte pour le pouvoir politique a toujours divisé les Tchadiens, au point de maintenir leur pays en bas des classements mondiaux pour le développement, malgré sa rente pétrolière.

Le rapport sur le développement humain 2020 du PNUD place le Tchad à la 187e place sur 189 pays. De Tombalbaye à Félix Malloum en passant par Goukouni Oueddei, Hissène Habré et Idriss Déby Itno, aucun président n’a pu gérer le Tchad dans la quiétude ou incarner l’unité nationale. Ils ont plutôt régné sans partage. Le président de la junte militaire, déterminé à ramener la paix dans le pays, s’engage dans une mission historique.

Le souhait est qu’il réussisse à réconcilier les Tchadiens et à rompre définitivement avec le cycle interminable d’instabilité. Le général Déby avait déjà balisé le terrain pour le dialogue tchado-tchadien, avec l’adoption, en décembre 2021, d’une loi d’amnistie générale pour les rebelles et les opposants tchadiens.

Il lui reste à libérer les prisonniers politiques et de guerre, qui croupissent toujours dans les prisons, avant le dialogue national inclusif, pour montrer sa détermination à tirer un trait sur le passé. Amener les filles et fils du pays à regarder dans la même direction permettra de conduire le pays vers des lendemains plus enviables et de mieux faire face au terrorisme. Aucun pays ne peut se construire dans la division.

Kader Patrick KARANTAO

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