Le mystère Macky Sall

Le président sénégalais, Macky Sall, a promis de ne pas poser un acte contraire à la Constitution de son pays. Mais encore faut-il faire confiance aux politiciens, surtout aux chefs d’Etat africains qui ne tardent pas à tourner casaque. En plein second mandat, l’homme fort de Dakar, appelé en principe à céder sa place dans deux ans, garde le silence sur sa succession.

Au pouvoir depuis 2012, cet ingénieur géologue de 61 ans va-t-il prendre une retraite méritée ou solliciter un troisième, comme l’ont fait certains de ses pairs, au risque de s’attirer des ennuis? Pour le moment, Macky Sall entretient le mystère, alors que l’élection présidentielle de février 2024 est déjà dans les esprits. S’il est préoccupé par les législatives du 31 juillet prochain, ultime test électoral, le chef de l’Etat sénégalais ne donne pas l’impression de vouloir quitter le pouvoir de sitôt.

,N’a-t-il pas récemment confié à nos confrères de Jeune Afrique que « son travail de président est loin d’être terminé » ? De tels propos en disent long sur les ambitions de Macky Sall, que rien ne semble l’arrêter dans son rêve de « Sénégal émergent ». Certains constitutionnalistes sénégalais, à l’image d’Ababacar Guèye, le soupçonnent de vouloir miser sur l’absence d’une disposition transitoire dans la Constitution, pour se représenter sans être inquiété en 2024.

En effet, la loi fondamentale sénégalaise a été révisée en 2016, avec entre autres innovations, la réduction de la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans. Une élection présidentielle devait être organisée en 2017, en vertu de cette réforme constitutionnelle, mais Macky Sall avait tenu à achever son mandat de 7 ans, malgré la polémique. Aussi s’est-il fait réélire en 2019. Cependant, aucune disposition transitoire n’indique que son premier mandat de 7 ans est pris en compte par l’article 27 de la Constitution qui autorise deux mandats successifs.

Evidemment, Macky Sall a rempilé, mais il n’est pas question de deux mandats consécutifs de 5 ans. L’absence d’une disposition claire relative à cette situation, croient savoir nombre de constitutionnalistes, pourrait profiter au chef de l’Etat sénégalais. Certes, il y a la loi, mais il y a aussi le contexte. A l’heure où la jeunesse sénégalaise, prête à envahir les rues au moindre mécontentement, s’érige en défenseur de la démocratie et de la bonne gouvernance, Macky Sall court des risques à vouloir s’éterniser au pouvoir.

Un tel projet va ternir davantage l’image de la démocratie sénégalaise, déjà écornée par des affaires politico-juridiques à répétition. A en juger par certains dossiers, la justice au Sénégal semble être inféodée à l’exécutif, pour ne pas dire qu’elle apparait comme un instrument pour nuire à des opposants. Même si elles ont connu des fortunes diverses, les affaires de détournement de deniers publics impliquant Khalifa Sall et Karim Wade et celle dite de « mœurs » incriminant l’opposant le plus en vue et potentiel successeur à Macky Sall, Ousmane Sonko, laissent jusqu’à présent songeur.

Ces dossiers semblent avoir été montés de toutes pièces, pour ternir la réputation de ces personnalités, voire les discréditer dans l’opinion, au seul motif qu’ils ne regardent pas dans la même direction que le régime en place. Macky Sall, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine (UA) qui donne des leçons aux putschistes de la sous-région ouest-africaine, gagnerait à préserver l’image de son pays, considéré comme le « Saint-Siège de la démocratie ».

Depuis son accession à l’indépendance le 4 avril 1960, le Sénégal n’a jamais connu de coup d’Etat, ce qui fait de ce pays un exemple sur le continent. Macky Sall doit prendre soin de cet héritage et éviter de tomber dans le même piège que ses prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui avaient échoué à se faire des mandats de trop. L’alternance n’est pas un vain mot au Sénégal. L’histoire l’a démontré.

Kader Patrick KARANTAO

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