Offrande lyrique : Que disent pour nous burkinabè les doctrines politiques élaborées « ailleurs » ?

Le libéralisme politique reste l’une des doctrines politiques les plus populaires et s’est vue progressivement érigé en modèle, affectant de manière prégnante la signification de l’État et de son rôle mais aussi divulguant des valeurs propres à lui.

Pendant des décennies s’est posée la question de l’exportabilité des doctrines politiques d’un espace à un autre et d’une époque à la suivante. Cette question est plus présente aujourd’hui du fait de critiques persistantes concernant l’impact des doctrines politiques étrangères en ce qui concerne les pays africains. En même temps, de nouvelles doctrines viennent s’ériger en contrepartie, face aux « doctrines déchues » comme le communisme, le fascisme, et même de plus en plus le modèle néolibéral et la doctrine développementaliste (Easterly, 2009).

Pour toutes ces raisons, il est utile de se demander en quoi les doctrines politiques en viennent à être importées, certains diraient même tropicalisées, et dans quelle mesure affectent-elles les structures existantes. Au-delà de leur impact, quel serait le bilan à en tirer, succession après succession de doctrines politiques afin de comprendre si le Burkina-Faso devrait-il, lui aussi suivre une certaine trajectoire prédéfinie.

L’histoire des doctrines politiques dans l’époque contemporaine est marquée par une succession de ‘ismes’ – néolibéralisme, marxisme, nihilisme, anarchisme, socialisme etc. – qui se veulent décrire chacun une vision d’organisation de la société et un ensemble de valeurs. Mais comment en viennent-elles à être reconnues comme telles? L’une des manières d’acquérir de la reconnaissance pour une doctrine est de chercher à asseoir sa légitimité auprès du peuple ou de la société.

Quelle que soit la doctrine politique, celle-ci est presque toujours affiliée à une idéologie. Donc, une doctrine est essentiellement une idéologie structurée ou qui se veut structurante, un modèle d’organisation de société et donc elle ne peut se défaire du caractère presque partial d’une idéologie, même si elle se veut objective. Puisqu’une doctrine politique, dans son application empirique, a toujours un impact économique, politique, social et culturel, elle ne peut non plus se défaire de son caractère
« impérialiste », dans le sens que lui donne Hannah Arendt (Arendt, 1951).

C’est-à dire que lorsqu’elle cherche à s’installer quelque part, elle vient dans un espace indigène pour s’y étendre, que cela soit littéralement ou figurativement. Et donc, le contexte est extrêmement important pour tenter de comprendre ce processus de légitimation ainsi que le caractère disruptif ou catalyseur d’une doctrine politique. Une doctrine politique présente ainsi le plus souvent un idéal qu’elle cherche à faire accepter et à résoudre des problèmes dans un contexte bien particulier.

Il est donc normal de se questionner sur leur exportabilité d’un contexte à un autre et d’une période historique à une autre. Lorsqu’une doctrine politique est expérimentée ou exportée ailleurs, elle affecte toutes les couches de l’organisation sociale, aussi bien sur le plan politique, économique, culturel que scientifique. Le libéralisme politique est l’une des doctrines les plus communément appliquées dans le monde et une de ses variantes – le social-libéralisme ou libéralisme de gauche est très populaire, défendant un système avec une économie libérale, capitaliste mais accompagnée d’un État providence (Les Blogs, 2013).

Aujourd’hui, la question de l’exportabilité des doctrines politiques se pose principalement en rapport aux pays “dits en développement” ou les pays émergents et très souvent par rapport à l’impact sur le développement économique et social. Pour le Burkina Faso comme beaucoup d’Etats africains, il s’agira de l’importation de la vision française ou occidentale de la démocratie dans un contexte marqué par la Guerre Froide, dans un climat d’anti-communisme à l’échelle mondiale. De toute façon, la conditionnalité de l’aide, les plans de restructuration économique du FMI et de la Banque mondiale qui eurent d’importants impacts politiques dans les pays destinataires de l’aide au développement ne lui laissaient pas le choix.

Cela va au-delà du volet économique et de l’aide mais concerne également des accords de défense militaires. Au niveau économique, toutes ces mesures obligèrent le Burkina à libéraliser et privatiser son marché dans un contexte politique et social incompatible à ce moment précis. Au niveau politique, la doctrine libérale a produit un discours et un espace politique différent qui a été restructuré en affectant l’accession aux pouvoirs politiques et rendant plus difficile à résoudre la question de la représentation. Cependant, il ne serait pas juste de peindre un tableau entièrement sombre. Au plan social, le libéralisme politique a permis l’émergence d’une société civile plus forte.

Ces changements ont pu être possibles grâce à une adaptation – une tropicalisation – dira-t-on de la doctrine libérale. Mais ne perd-t-on pas l’essence de la doctrine en l’adaptant à un contexte différent, et que signifie tout ceci pour le Burkina? L’importation de nombreuses doctrines politiques, que cela soit une forme du libéralisme, du socialisme ou du communisme, s’est accompagnée d’une tropicalisation, dans le sens où elles ont cherché à s’adapter aux structures et institutions existantes mais avec des résultats mitigés. Pour la plupart, ces tentatives de tropicalisation de doctrines politiques conçues ailleurs se sont soldées par des échecs car ayant servi à asseoir le pouvoir de leaders politiques et abouti à un système avec une carapace libérale mais un contenu doctrinal bien plus compliqué et incohérent face au contexte post indépendance.

De manière générale, cette tropicalisation est d’autant plus flagrante, du fait de la non-compréhension par les populations des doctrines qui leur ont été proposées, de la barrière de la langue et de l’incohérence avec les institutions présentes. La population s’est donc naturellement opposée aux idéologies présentes, qu’elles soient religieuses avec l’influence du christianisme, traditionnelles avec les ordres sociaux communautaires, ou révolutionnaires (Sankara) qui proclamait une rupture totale avec l’extérieur par crainte d’un néocolonialisme ou d’un impérialisme.

In fine, ces tropicalisations ont pour la plupart vidé ces doctrines de leur essence en favorisant un phénomène d’extraversion, visible dans le besoin du pays de produire pour l’étranger, que ce soit en termes de politiques économiques élaborées dans les bureaux du FMI et de la Banque mondiale pour s’intégrer dans le système international, dans les domaines social et culturel avec une littérature produite pour un public étranger, tout ceci dans un système asymétrique. Cela ne signifie pas non plus qu’un pays comme le Burkina devrait se refermer sur lui-même.

Le problème est lié à la nature même de la doctrine, de surcroît la doctrine politique ici car elle est toujours contextuellement et temporellement imaginée. Il n’est pas possible de choisir certains piliers d’une doctrine et d’en délaisser d’autres sans affaiblir sa structure intégrale. Tout ceci nous amène également à s’interroger sur la pertinence des doctrines politiques aujourd’hui, dans un monde où il est devenu difficile d’imaginer la gouvernance en dehors d’un système de pensée et d’une idéologie.

Une doctrine, qu’elle vienne d’ailleurs ou qu’elle soit conçue par des autochtones n’est pas la réponse universelle aux problèmes des sociétés et l’idée de principes politiques codifiées tend progressivement à reculer (Muller, 2015). Pour conclure, l’histoire de l’exportation et de la conception des doctrines politiques est celle de la recherche d’un modèle de gouvernance pouvant répondre aux défis rencontrés par les sociétés contemporaines. On ne peut répondre à cette problématique de manière globale car le succès d’une doctrine politique dans un contexte spatial et temporel bien particulier ne garantit aucunement son infaillibilité.

Bien au contraire, la pertinence d’une doctrine politique réside dans la possibilité qu’elle puisse être confrontée constamment à d’autres. Autant une doctrine politique a des influences sur son environnement, autant les paramètres de cet environnement façonnent les doctrines. Finalement, les doctrines venues d’ailleurs devraient peut-être juste être considérées pour ce qu’elles sont: une histoire philosophique des idées politiques d’une époque, à dissocier d’une réponse pragmatique aux défis d’une génération.

Mamadou Banakourou TRAORE

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