Perspectives économiques en 2023 : « Il faut assoir une économie fondée sur nos réalités en comptant sur nos propres forces », Pr Idrissa Mohamed Ouédraogo, économiste

Dans cette interview accordée au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, Pr Idrissa Mohamed Ouédraogo économiste, par ailleurs président du comité directorial du centre de formation, d’orientation et de recherche en gouvernance économique en Afrique (FORGE Afrique) et directeur de l’école doctorale de l’université Aube-nouvelle, revient sur les faits marquants des économies nationale, africaine et internationale au cours de l’année 2022. Il fait également une esquisse de ce qui pourrait caractériser l’activité économique en 2023 et dégage des pistes d’actions pour y faire face, surtout sur le plan national.

Sidwaya (S) : Sur le plan économique, comment caractérisez-vous l’année 2022 à l’échelle mondiale et africaine ?

Pr Idrissa Mohamed Ouédraogo (I.M.O.) : Il est peut-être un peu trop tôt pour donner des chiffres relatant de façon précise la situation économique des nations du monde et de l’Afrique. On peut cependant, au regard des faits et des tendances observées tout au long de l’année 2022, faire un point presque fidèle de ce que l’économie a été en 2022 au niveau mondial et africain. Les faits laissent observer que de façon générale, l’activité économique a connu un ralentissement inédit. Un ralentissement plus important que ce qui était prévu, avec des taux d’inflation jamais égalés depuis des décennies. Selon les données du FMI sur les perspectives de l’économie mondiale 2022, la croissance mondiale qui était de 6,0% en 2021 devrait connaitre une baisse et passer à 3,2%, en 2022. Les prévisions du FMI laissent percevoir une forte hausse de l’inflation mondiale qui passera de 4,7 % en 2021 à 8,8 % en 2022. Il est bien évident, que du fait des mêmes causes, l’Afrique est, elle aussi touchée par la morosité ambiante de l’économie mondiale. En 2022, le continent a connu une période de stagflation qui a consisté en une combinaison de croissance lente et d’inflation élevée. En effet, le taux de croissance du PIB réel était estimé à 4,2% contre 7% en 2021, avec des taux d’inflation à deux chiffres dans de nombreux pays. Les principaux facteurs de ralentissement de la croissance mondiale tiennent à la crise du coût de la vie, conséquence de l’inflation exacerbée par la guerre en Ukraine, au resserrement généralisé des politiques monétaires et des conditions monétaires, à la guerre russo-ukrainienne et des réminiscences de la COVID-19.

S : Sur le plan national, quels sont les faits marquants de l’économie burkinabè au cours de l’année écoulée ?

I.M.O. : L’économie burkinabè a été fortement éprouvée en 2022 au point que l’on pourrait penser à une économie exsangue presque en naufrage. La croissance économique a été compromise par l’instabilité sociopolitique due aux deux coups d’Etat de 2022 et la dégradation de la situation sécuritaire. A cela, il faut ajouter le ralentissement de la croissance mondiale, la hausse de l’inflation exacerbée par la guerre en Ukraine, les conditions climatiques défavorables, le resserrement des conditions financières mondiales et le désintérêt des investisseurs à l’égard de notre pays. La croissance escomptée est de l’ordre de 5% en 2022 contre une croissance de 6,9% en 2021. L’inflation a atteint des niveaux record en 2022 avec des taux de l’ordre de 18%. Il convient de retenir que la situation sécuritaire affecte fortement la situation économique, notamment à travers les pressions qu’elle a sur l’offre et la demande. Il est maintenant de notoriété publique que dans les zones à forts risques d’insécurité, d’importantes terres cultivables ont été abandonnées par les populations fuyant les terroristes pour se réfugier dans les zones plus sécurisées. Ces abandons entrainent une baisse de la productivité et donc, d’importantes pertes en termes de productions de produits agricoles. L’offre de produits agricoles est ainsi réduite alors que le nombre de plus en plus croissant des Personnes déplacées internes (PDI) engendre des tensions sur la demande. La conséquence logique de cette situation (une forte demande face à une faible offre) est une hausse des prix des biens et services agricoles. Un autre fait économique marquant de l’année 2022 est la suspension du Burkina de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) et du Millennium Challenge Account MCA à la suite du coup d’Etat du 24 janvier 2022. Ces suspensions vont indéniablement porter un coup dur sur les perspectives de croissance de notre économie. La loi sur la croissance et les opportunités économiques, en anglais African Growth and Opportunity Act (AGOA), est une loi américaine sur le commerce, adoptée en mai 2000 qui offre un avantage substantiel en termes d’accès au marché américain des pays éligibles d’Afrique subsaharienne. La suspension du Burkina Faso de cette loi prive le Burkina des avantages qu’elle offre au pays. Il faut retenir que c’est le 31 janvier 2022, le Millennium Challenge Corporation annonçait la suspension de ses activités liées au second Compact d’un montant de 450 millions de dollars (plus de 270 milliards FCFA) avec le Burkina Faso. Le Compact dont l’entrée en vigueur était prévue pour août-septembre 2022, visait à, (i) réduire le coût du service de l’électricité et accroître la satisfaction de la demande, (ii) réduire le coût de la production d’électricité et accroître la fiabilité de toutes les sources de fourniture d’électricité et (iii) améliorer l’extension et la fiabilité du réseau électrique et accroître la consommation d’électricité. Le Millennium Challenge Account – Burkina Faso II (MCA-Burkina Faso II) est l’entité responsable créée par le gouvernement pour la mise en œuvre et l’exécution du Compact. Comme on peut le noter, ce deuxième Compact était concentré sur le secteur énergie qui est un secteur crucial et important pour notre économie tant il est vrai que l’énergie constitue l’un des facteurs de production les plus coûteux au Burkina Faso et qui, de ce fait, affecte négativement la compétitivité de notre économie.

S : L’un des faits marquants de l’année 2022 a été la hausse de l’inflation, entrainant un renchérissement des coûts des produits de grande consommation. Quel a été l’impact de cette inflation sur le panier de la ménagère et l’économie nationale de manière globale ?

I.M.O. : Comme je l’ai indiqué plus haut, la hausse des prix au Burkina Faso a atteint des niveaux imprévisibles en 2022. La hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, liée entre autres à la guerre en Ukraine, a eu de fortes répercussions sur les prix à la consommation et a fait grimper l’inflation à des niveaux record. Pour revenir à votre question, ce qu’il convient de retenir est que l’inflation est un signe de fébrilité et d’instabilité macroéconomique. Ces effets peuvent être très désastreux du fait qu’elle affecte la qualité du bien-être des agents économiques. Dans nos pays, plus de 40% des dépenses totales de la grande majorité des ménages sont consacrées à l’alimentation. Vous comprendrez que des hausses de prix qui concernent essentiellement les produits de première nécessité auront des effets néfastes sur le bien-être des agents économiques. De façon plus globale, la décélération de la croissance économique et la hausse des prix ont compromis la réduction de la pauvreté dans notre pays renforcé en cela, par les effets persistants de la pandémie de COVID-19. La forte inflation a affecté négativement l’activité économique du pays en déprimant l’investissement des entreprises et la consommation des ménages.

S : La fin de l’année 2022 a aussi été marquée par la pénurie du carburant. Quelles sont les conséquences de ces quelques jours de manque de carburant sur l’économie et comment le Burkina Faso doit-il s’y prendre pour adresser de manière structurelle cette question stratégique qu’est la gestion des stocks de carburant par la SONABHY ?

I.M.O. : Oui, nous avons tous entendu courant décembre 2022, les alertes sur la pénurie de carburant dans notre pays. Nous avons aussi observé les longues files que ces annonces ont engendrées dans les différentes stations d’essence à Ouagadougou, notamment. Pour répondre à votre question de savoir si ces quelques jours de manque d’essence ont, ou auront un impact sur l’économie du Burkina, je dirais qu’indéniablement, cela aura des effets sur l’activité économique mais, il reste cependant difficile de déterminer l’ampleur de ces effets. Intuitivement, on pourrait retenir que pour de nombreuses entreprises, la production a vraisemblablement baissé du fait d’arrêt surtout pour celles qui ne se sont pas constituées des stocks de carburant. On pourrait aussi noter que les entreprises de transport ont certainement connu un ralentissement de leurs activités et que de nombreux travailleurs n’ont pas pu se rendre à leurs lieux de travail, faute de carburant. Mais, à mon avis, ces effets peuvent être considérés comme marginaux. Ils ne peuvent pas avoir un impact majeur et préjudiciable sur l’économie surtout que la situation s’est très rapidement rétablie.

S : Comme les années précédentes, le Burkina Faso a eu à faire face à une conjonction de crises sanitaire, sécuritaire et humanitaire. Peut-on dire que malgré tout, l’économie nationale, surtout le secteur privé, a fait preuve de résilience au cours de 2022 ?

I.M.O. : Je n’aime pas tellement le terme résilience qui me fait penser à une posture de résignation face à un problème donné. Pour revenir à votre question, et comme dit plus haut, du fait de la situation sécuritaire difficile et une situation sociopolitique instable et porteuse de nombreux risques, l’activité économique du Burkina Faso a connu un ralentissement en 2022 avec une croissance qui est estimée à 5% contre 6,7% en 2021. Mais en dépit de cela, on pourrait considérer que le secteur privé burkinabè a fait preuve d’une relative résilience en ce sens que c’est grâce aux activités de ce secteur que la croissance ne s’est pas affaiblie plus que ce qui est observé. Les principaux moteurs de croissance en 2022 étaient le commerce et l’extraction de l’or. La croissance a été essentiellement tirée par les services et le secteur secondaire. Ce sont ces secteurs qui résistent le mieux au contexte actuel d’insécurité et d’instabilité sociopolitique.

S : Du regard de l’économiste, quelles sont les perspectives pour 2023, sur le triple plan international, africain et national ?

I.M.O. : Pour répondre à votre question, il est peut-être important d’indiquer que l’environnement économique en cette année entrante n’a pas beaucoup évolué par rapport à ce qu’il était en 2022. De ce fait, il y de fortes chances que les économies mondiale, africaine et nationale connaissent les mêmes situations de léthargie que celles de l’année écoulée. Ainsi, selon les dernières perspectives économiques mondiales publiées par la Banque mondiale, la croissance mondiale risque de connaitre une forte stagnation du fait de l’effet de l’inflation, de la hausse des taux d’intérêt, de la diminution des investissements et des perturbations causées par la guerre Russie – Ukraine. Il est même considéré que la précarité de la situation économique est si importante que toute nouvelle évolution défavorable (inflation plus élevée que prévu, hausse brutale des taux d’intérêt, résurgence de la pandémie de COVID-19, escalade des tensions géopolitiques) pourrait faire entrer l’économie mondiale en récession. Pour ce qui est du Burkina Faso, comme dit plus haut, notre pays vit dans un contexte de fragilité et d’incertitude. Dans un tel contexte, l’activité économique aura tendance à se rétrécir. La croissance va ralentir et même baisser du fait d’une baisse anticipée des investissements privés (y compris dans le secteur minier), de la propagation de l’insécurité dans certaines zones minières et agricoles et aussi de la guerre russo-ukrainienne qui, très certainement, va aggraver les tensions inflationnistes (hausse des prix des denrées alimentaires, des engrais et des produits pétroliers).

S : Le Burkina Faso est dans une phase de Transition politique où il est question de refondation de l’Etat. Sur le plan économique, quelles sont les réformes structurelles majeures que les nouvelles autorités doivent mener pour réussir cette refondation au niveau économique ?

I.M.O. : A mon humble avis, les réformes structurelles à entreprendre pour relancer notre économie seront difficiles à réaliser dans le contexte actuel. La situation d’insécurité et d’incertitude dans laquelle les agents économiques vivent n’est pas de nature à favoriser la mise en œuvre de réformes structurantes d’envergure. Cela étant dit, on comprendra que la première des choses à laquelle il faut penser, est la question de la lutte contre l’insécurité et l’instauration d’un climat plus propice aux affaires. Un travail de fond doit être fait pour instaurer un climat sain, propice à la production. Il conviendra aussi d’entreprendre des actions dans le cadre de la gouvernance. Une gouvernance économique et financière vertueuse doit être de mise de sorte à rassurer le secteur privé qui est considéré comme le moteur de notre économie. De ce fait, il faut assoir une économie fondée sur nos réalités en comptant sur nos propres forces et en orientant l’économie vers nos besoins. L’offre doit être centrée sur les besoins réels de nos populations. Ce faisant, la production doit être orientée pour la satisfaction de ces besoins. En un mot, il faut produire ce dont on a besoin à partir de nos ressources à nous. C’est ce qu’il est convenu d’appeler développement endogène.

Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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