Pesticides non homologués : les « alliés » nuisibles des paysans du Nahouri

Au Nahouri, dans le Centre-Sud du Burkina Faso, des paysans utilisent des pesticides pour protéger leurs cultures et réduire la pénibilité du travail. Mais ces produits, pour la plupart non homologués, sont aussi des « tueurs silencieux » pour l’homme et l’environnement. Ils constituent également une plaie pour l’économie locale.

Le sexagénaire, Mahama Adouabou, laboure son champ de maïs avec l’aide de ses fils. La famille traite avec soin les plants, au stade de montaison, dans ce patelin situé à 20 kilomètres de la ville de Pô, chef-lieu de la province du Nahouri. Les conditions s’y prêtent, ce lundi 10 août 2020. La veille, il est tombé des trombes, toute la nuit. M. Adouabou est l’un des producteurs agricoles de la localité, fidèles aux techniques culturales sans pesticides ni engrais. Son choix est cependant dicté par son portefeuille plutôt que ses convictions. « Je n’ai pas assez de moyens pour les acheter », assure-t-il. Indexant le champ de son frère à proximité, le sexagénaire ne cache pas son admiration pour la physionomie des plantes qui y poussent. Le maïs, sur presque quatre hectares et le coton sur trois hectares, sont dressés jusqu’à hauteur du genou, avec des feuilles épaisses et une verdure prononcée. Sur une autre aile du champ, s’étendent deux hectares de soja et de sorgho, de bonne physionomie également. « La différence est nette comparée à mes cultures », observe-t-il. Harouna Adouabou, le cadet, admet avoir suffisamment délié les cordons de la bourse. Il dit avoir misé sur l’engrais et les pesticides pour que ses plants atteignent ce stade, à peine un mois après les semis.

« Tous mes produits sont homologués »

En agriculture, les pesticides ou encore « médicaments des végétaux » se composent d’herbicides utilisés contre les mauvaises herbes, d’insecticides contre les rongeurs (insectes, chenilles légionnaires…) et de fongicides pour combattre les champignons nuisibles. Au Nahouri, leur usage est passé dans les habitudes de presque tous les producteurs, estime Harouna Adouabou. « Même ceux qui ont des petits champs d’arachide ou de haricot louent des services pour les traiter », argue-t-il, ajoutant que sans pesticides ni engrais, « on ne peut pas récolter grand-chose. » Pour le directeur provincial de l’Agriculture et des Aménagements hydroagricoles du Nahouri, Gaoussou Nadié, si les additifs chimiques sont très prisés des agriculteurs, c’est pour des nécessités économiques. Les producteurs usent de techniques modernes, explique-t-il, pour agrandir les superficies exploitées, réduire les pertes pendant la production et augmenter les rendements. Les pesticides servent de tremplin pour cela, ajoute-t-il. « Actuellement, nous assistons aussi à des attaques de nuisibles comme la chenille légionnaire qui ne peut être combattue que par les produits phytosanitaires », souligne M. Nadié. L’année 2004 a marqué l’adoption des pesticides par Harouna Adouabou. Mais sur leur qualité, il est formel : « tous mes produits sont homologués. Je n’ai jamais utilisé un qui ne l’est pas ». L’homologation en question est un processus de certification d’achat, de vente et d’utilisation accordée par le Comité sahélien des pesticides (CSP).

Elle est basée sur l’évaluation de données scientifiques qui doivent démontrer que le produit contribue efficacement aux objectifs fixés et ne pose pas de risques pour la santé humaine, animale et environnementale. En novembre 2018, 434 produits phytosanitaires étaient autorisés de vente au Burkina Faso, selon la Direction régionale de l’agriculture et des aménagements hydroagricoles du Centre-Sud (DRAAH-CS). Sur l’ensemble du territoire provincial cependant, très peu de producteurs agricoles sont dans la même dynamique que Harouna Adouabou. L’absence de données chiffrées ne permet pas de connaître leur nombre avec exactitude, mais le directeur provincial estime qu’ils sont « juste une poignée ». D’après les constatations de ses services, « ce sont surtout les motoculteurs qui utilisent les pesticides homologués parce qu’ils bénéficient de l’appui de structures partenaires. Les autres producteurs optent davantage pour des produits non homologués vendus sur la place du marché ».

Vendus comme de petits pains

Nayorobou Bassouendin, distributeur d’intrants agricoles, est l’un des deux vendeurs de produits homologués de la ville de Pô, répertoriés par la direction provinciale de l’Agriculture. Concernant sa clientèle, il est catégorique : « Sur 100 producteurs au Nahouri, seulement 1% utilise les produits homologués. Les 99% utilisent les produits
non homologués ». Pour Soumbaïla Tiétiambou, le second vendeur, les pesticides non homologués sont devenus un fléau au Nahouri, au point que les vendeurs à la sauvette sont les seuls à faire de bonnes recettes.

« Nos produits sortent rarement, pourtant presque tous utilisent les pesticides dans les champs », se lamente-t-il. La situation au Nahouri est le reflet de ce qui prévaut sur l’ensemble du territoire national. Une étude réalisée en 2010 révélait que 68% des pesticides sur le marché ne sont pas homologués, tandis qu’une autre effectuée en 2015 précise que 87% des producteurs choisissent eux-mêmes leurs pesticides sans recourir aux techniciens. « Nous regardons seulement les images et les symboles qui sont sur la boîte », indique Alphonse Nayiré, qui reconnaît faire usage de pesticides non homologués aussi bien dans son jardin potager que dans son champ de maïs et de sorgho. Pour lui, pas besoin de savoir lire ou écrire,
encore moins d’avoir des connaissances techniques ou scientifiques pour identifier le bon pesticide. Jeanne Akouandanbou, la quarantaine, utilise également les produits non homologués. Pour choisir son produit, elle se fie aux conseils de tierces personnes. « Ce sont les vendeurs qui nous disent ce qu’il faut prendre pour traiter les plants. On a souvent recours à des personnes qui ont déjà les mêmes produits », explique-t-elle.

Un marché « noir » en plein jour

Au centre-ville de Pô, quartier des affaires, les pesticides non homologués sont exposés à tout bout de rue, au vu et au su de tous. C’est un marché « noir » en plein jour, qui constitue pour plusieurs vendeurs improvisés, une source de revenus. Ali Ada est dans le circuit depuis 20 ans. Devant sa boutique non loin du marché central de Pô, trônent des boîtes variées de pesticides sur un étal. Il assure disposer de tout ce qu’il faut contre tout type de ravageur susceptible de nuire aux champs. Comme les autres vendeurs de pesticides non homologués, sa source d’approvisionnement est le Ghana voisin. Le Nahouri et les provinces limitrophes de l’ancienne Gold Coast entretiennent des liens séculaires sur les plans social, culturel et économique. Des relations qui ont aussi favorisé l’importation des intrants dont les pesticides dans les marchés et les champs de la province méridionale du Burkina Faso. Le flux des importations est favorisé également par le coût, relativement bas des pesticides dans ce pays.

« Ici, les produits coûtent en général entre 3 500 et 4 000 F CFA, alors qu’au Ghana on les achète à 1 000 ou 1 500 francs CFA », détaille Ali Ada. Le vendeur est ainsi convaincu que l’engouement pour les pesticides non homologués est guidé par un choix purement économique aussi bien pour ceux qui les achètent que ceux qui les écoulent. Et ce n’est pas de gaieté de cœur, assure-t-il. « A chaque jour de marché, ce sont des millions que nous leur apportons aux villes frontalières du Ghana, alors que l’argent aurait pu profiter aux Burkinabè », se désole-t-il. Alphonse Nayiré et Jeanne Akouandanbou sont, eux aussi, peinés. Pour le premier cité, c’est une perte pour l’économie locale et nationale. « Si tous les produits achetés provenaient de nos usines, ça ferait du travail pour des gens », renchérit Mme Akouandanbou.

Un danger pour l’homme

« Homologués » ou « non homologués », les pesticides représentent un danger potentiel pour les utilisateurs, insiste le responsable en charge de la question à la Direction régionale de l’agriculture et des aménagements hydroagricoles du Centre-Sud, Boukari Raogo Ouédraogo. En tenant compte des voies de pénétration dans l’organisme humain (orale, dermique ou respiratoire), l’Organi-sation mondiale de la Santé (OMS) classe les produits phytosanitaires en cinq niveaux de dangerosité : non dangereux en usage normal, peu dangereux, modérément dangereux, très dangereux et extrêmement dangereux. En fonction du niveau d’absorption, les pesticides sont responsables de problèmes cardiovasculaires, respiratoires, digestifs, hématologiques et urinaires. Ils s’attaquent aussi aux reins, aux muscles, aux os, aux organes génitaux et sensoriels, selon les spécialistes. Au Nahouri, les cas de consultation et d’hospitalisation liés à l’intoxication aux pesticides sont très souvent signalés, selon le médecin-chef du district sanitaire de Pô, Dr Daouda Bamba. Les symptômes sont, le plus souvent, des difficultés respiratoires, des dermatoses et quelquefois des complications allant jusqu’à l’évanouissement.

Outre les formes aiguës et instantanées liées à l’absorption directe du produit par inadvertance, les maladies se déclenchent généralement à la suite d’une accumulation à long terme des substances dans le corps, détaille le médecin-chef. Des cas de décès dont la cause probable serait les pesticides ont même été constatés dans les formations sanitaires de la province, indique Dr Bamba. A ce sujet, Jeanne Akouandanbou ne cesse aujourd’hui de remercier le Tout-Puissant pour avoir sauvé son neveu après une grave crise liée à l’intoxication par les pesticides, selon les analyses médicales. « Nous avons tous eu peur pour sa vie. Par la grâce de Dieu, il va beaucoup mieux maintenant mais on lui a interdit de travailler désormais avec les produits », relate-t-elle. Selon le premier responsable du district sanitaire de Pô, la prise en charge des problèmes sanitaires dûs aux pesticides est parfois difficile à cause de la mauvaise qualité des produits utilisés. « Déjà l’intoxication par les pesticides n’est pas facile à traiter. Et quand il s’agit d’un produit dont on n’a pas la traçabilité, c’est encore compliqué », argue-t-il.

Une calamité pour la nature

Au-delà des hommes, les pesticides agricoles laissent aussi des stigmates sur la nature. Les animaux paient souvent le prix fort de cette action anthropique. En effet, les conditions d’utilisation des produits n’étant pas toujours respectées, il arrive que les pluies drainent les substances jusqu’aux retenues d’eau, entraînant la mort d’espèces aquatiques comme les poissons, explique le Directeur provincial en charge de l’agriculture. « Même si elles ne meurent pas, ces espèces peuvent ingérer les substances qui vont remonter la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme », fait-t-il observer. Au Nahouri comme sur le plan national, les dommages sur la biodiversité sont également importants et insidieux, révèle Gaoussou Nadié. « Certaines espèces animales comme les crapauds, les caméléons et les abeilles sont devenues rares dans certains endroits. Le non-respect des règles d’utilisation des pesticides y est pour beaucoup », souligne-t-il. Sur le plan environnemental, l’air, les eaux de surface, les nappes phréatiques et les sols sont sujets à des agressions permanentes. « Quand nous étions petits, nous nous abreuvions souvent dans les petites retenues d’eau. Aujourd’hui, sauf à vouloir se retrouver sur un lit d’hôpital, personne n’ose boire cette eau encore en brousse », plaisante Nayiré Alphonse.

« Il y a des localités actuellement au Nahouri où à force d’utilisation des herbicides, le sol est complètement dénudé et l’herbe n’y pousse plus », regrette, pour sa part, le Directeur provincial de l’agriculture. M. Nadié rappelle également que la destruction des microorganismes nuit à la fertilité du sol. Concernant les conséquences environnementales néfastes de l’utilisation des pesticides, le Directeur régional de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique (DREEVCC) du Centre-Sud, Moïse Sia, se fait encore plus de soucis pour le Nahouri. « L’utilisation des pesticides non homologués est très répandue dans la localité. Leur degré de toxicité n’étant pas connu, l’emploi de ces produits comporte plus de risques de pollution pour l’environnement », analyse-t-il.

« Toujours s’attacher les services d’un technicien »

Pour limiter les effets néfastes des insecticides, en l’occurrence ceux non homologués, le protocole d’utilisation doit être scrupuleusement respecté, note le Directeur provincial de l’agriculture. Selon lui, il faut, entre autres, s’assurer que l’on connaît le ravageur, choisir le produit adapté et s’entourer d’un équipement adéquat à savoir une combinaison, des lunettes, un masque, des gants et des bottes. « Le mieux serait de toujours s’attacher les services d’un technicien en la matière pour être orienté », suggère-t-il, avant de souligner que l’utilisation des pesticides doit être évitée dans certains cas. « Les méthodes de lutte contre les ravageurs ne sont pas toutes chimiques.

Il y a la méthode mécanique. Pour une simple chenille, on peut par exemple éviter de déverser un litre de pesticides dans le champ en l’écrasant à la main », conseille-t-il. En attendant que tous les producteurs rentrent dans les rangs, la Direction provinciale de l’agriculture mène des actions pour réduire l’usage des pesticides non homologués au Nahouri. « Nous offrons aussi à certains producteurs, des pesticides homologués pour que le résultat final incite les autres à les adopter et à abandonner les autres pesticides », explique le DR Nadié. Des équipes dépêchées par le département de l’agriculture procèdent aussi à des sorties de contrôle pour s’assurer du respect de la règlementation par les vendeurs et les distributeurs. Gaoussou Nadié affirme qu’après la sensibilisation, il n’est pas exclu d’user la méthode forte pour sortir les vendeurs surtout de l’illégalité.

Mais pour l’heure, cela n’est pas à l’ordre du jour car, dit-il, il faut réunir d’abord les conditions permettant aux producteurs de s’approvisionner conséquemment au besoin pour mener à bien leurs activités. « Nous travaillons toujours à une prise de conscience progressive », se résume-t-il, non sans préciser que les résultats engrangés quoique insuffisants sont encourageants.

Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com

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