Procès Thomas Sankara : « J’étais contre le coup d’Etat », l’accusé colonel Tibo Ouédraogo

A l’audience du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons à la Chambre de jugement du Tribunal militaire délocalisé dans la salle des banquets de Ouaga 2000, l’accusé Tibo Ouédraogo et les témoins Thérèse Kationga et Ismaël Abdoulaye Diallo ont comparu, le jeudi 2 décembre 2021, à Ouagadougou.

Reporté à plusieurs reprises pour raison de maladie, l’interrogatoire du colonel à la retraite, Tibo Ouédraogo (68 ans), poursuivi dans le dossier Thomas Sankara et ses douze compagnons pour des faits de complicité, d’attentat à la sûreté de l’Etat, a eu lieu, le jeudi 2 décembre 2021, à Ouagadougou, à la Chambre de jugement du Tribunal militaire. Après la lecture des charges par le président de la Chambre, Urbain Méda, le sous-lieutenant Tibo Ouédraogo et commandant de l’Escadron motocycliste commando (EMC) basé à Pô au moment des faits, n’a pas reconnu son implication dans le dossier Sankara. « Je ne reconnais pas les faits », a-t-il lancé. Invité à mieux s’expliquer, celui-ci a déclaré que le 15 octobre 1987, il était au mess des officiers et il jouait au flipper lorsqu’il a entendu des coups de feu provenant du Conseil de l’Entente. « Lorsque j’ai entendu les coups de feu, j’étais tenté d’y aller parce que j’avais des éléments là-bas », a-t-il indiqué. En s’y rendant à moto, il est passé par le camp de la gendarmerie ou il a été bloqué malgré qu’il s’est présenté comme étant lieutenant.

Sur son chemin de retour, il a rencontré son promotionnaire Kabéa Kambou et ils ont échangé avant qu’il ne poursuive sa route. Arrivé au mess des officiers, il a appelé en vain commandant Boukary Lingani pour savoir quelle conduite tenir face à la situation. Entre temps, le commandant Lingani l’a rappelé et rassuré que ses éléments se portent bien. « Il m’a dit : prenez des éléments et allez neutraliser la Force d’Intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS) », a-t-il soutenu. Après les échanges, il a appelé le général Gilbert Diendéré pour qu’il mette à sa disposition des hommes pour sa mission car il était son chef de corps. Il a aussi appelé des éléments et leur a donné rendez-vous devant le Conseil. A l’Ecole nationale de la police où le QG de la FIMATS était logé, il a expliqué qu’il a fait tirer en l’air et ils sont entrés en ami pour pacifier les lieux et non neutraliser. Il y est resté maitre des lieux jusqu’à la levée du couvre-feu en 1988 et organisait des patrouilles avec les éléments de la police. La mission terminée, l’accusé Ouédraogo est retourné à l’EMC qui a été dissous quelques temps après et il a été nommé commandant de la production de la Ve région militaire où il n’a jamais pris service. En 1989, il a été arrêté et menotté pendant deux ans sous prétexte de préparer un coup d’Etat avec Boukari Kaboré dit le Lion. Dans sa déposition, il a relevé qu’il avait de bonnes relations avec Thomas Sankara et qu’il n’a jamais tué quelqu’un dans l’armée. « J’étais contre le coup d’Etat et pourquoi, c’est moi qu’on a désigné pour aller neutraliser la FIMATS ? », s’est-il interrogé. « Il n’a pas agi de son plein gré » Les termes exacts de la mission à la FIMATS et sa menace pour le nouveau pouvoir, le sens de « neutraliser » et si la mission visait à tuer Vincent Sigué…ont été les questions du président Méda à l’accusé. Pour le parquet militaire, l’inculpé tente de se faire passer pour une victime en évoquant sa détention et son manque de gratification et de promotion après le 15 octobre 1987.

L’accusation a signifié que sa détention est liée à une autre affaire qui n’a pas un lien direct avec celle de Sankara. Pour l’avocat des parties civiles, Me Julien Lalogo, la conséquence à tirer des déclarations de Tibo Ouédraogo est qu’il était bel et bien complice de l’attentat à la sûreté de l’Etat car il a lui-même dit qu’il a reçu la mission d’aller neutraliser la FIMATS. « C’est exactement ce qu’il a fait. Alors dans quel but, il fallait neutraliser la FIMATS ? (…) Dans le mode opératoire des exécutants du président Thomas Sankara, ils redoutaient trois unités notamment l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) de Kamboinsin dirigé par Michel Koama, la FIMATS commandée par Vincent Sigué et le Bataillon d’intervention aéroportée de Boukari Kaboré », a-t-il précisé. A l’entendre, cette neutralisation a été faite respectivement par Gaspard Somé pour l’ETIR et Tibo Ouédraogo pour la FIMATS. « Pour nous, le colonel Tibo a confirmé sa participation active dans les événements du 15 octobre », a-t-il noté. Cet avis n’est pas partagé par le conseil de l’accusé, Me Irène Victoria Nébié. Celle-ci a estimé que son client a reçu des instructions du commandant Lingani. « Il n’a pas agi de son plein gré ni de son propre chef. Il n’a fait qu’exécuter des missions qui lui étaient données et en sa qualité de commandant de l’EMC, il les a exécutées à sa manière », a-t-elle relativisé. Selon elle, le colonel Ouédraogo s’est « débrouillé » pour limiter les dégâts et contenir la violence et le sang qui avaient déjà coulé. « Je pense que c’est plutôt à son honneur et j’espère que cela va vraiment toucher le tribunal qui en tiendra compte lorsqu’il rendra son verdict », a-t-elle plaidé.

Un coup d’Etat fait par Blaise Compaoré

Après l’accusé Tibo Ouédraogo, deux témoins qui ont aussi prêté serment comme les autres, sont passés à la barre pour expliquer ce qu’ils savent du dossier Sankara. La première, Thérèse Kationga (60 ans), restauratrice et membre d’un Comité de défense de la révolution (CDR) à Ouagadougou au moment des faits, a affirmé que le 11 ou 12 octobre 1987, l’accusé Bossobé Traoré, membre de la garde rapprochée de Thomas Sankara est passé lui dire au revoir dans son restaurant. En voulant comprendre le sens de son ‘’au revoir’’, il lui a expliqué qu’il y aura un coup d’Etat le 15 octobre qui sera fait par Blaise Compaoré. Il lui a dit détenir cette information de son ami N’Sony Nabié qui l’a conseillé de ne pas se rendre au Conseil ce jour-là. Elle a demandé à Traoré d’en parler au président Sankara et celui-ci lui a signifié qu’il avait déjà l’information. Après la tuerie, elle a confié s’être rendue au cimetière de Dagnoën dans la matinée du 16 octobre. Sur les lieux, elle a vu le sang des victimes dans des flaques d’eau et elle a pleuré. Appelé pour une confrontation par le parquet militaire, l’accusé Traoré a dit ne pas se reconnaitre dans les déclarations de dame Kationga.

A l’écouter, c’est le témoin qui est à l’origine de son inculpation. Elle se serait fâchée d’après lui quand il a perçu son dédommagement en 2004 sans lui donner une partie. Sur ce point, le président de la Chambre l’a recadré en lui expliquant que le témoin n’a pas ce pouvoir de le faire inculper. Mais elle a seulement estimé que Bossobé Traoré a des informations pour le juge d’instruction, a-t-il dit. L’avocat des parties civiles, Me Guy Hervé Kam, a précisé que Bossobé Traoré a été inculpé avant le passage de Thérèse Kationga devant le juge d’instruction. Dans sa déposition, le témoin Ismaël Abdoulaye Diallo (77 ans) a indiqué que dans la matinée du 15 octobre vers 8h, il a appelé Thomas Sankara pour lui parler de la situation qui prévalait et qui allait connaitre un dénouement violent. Sans être satisfait à l’issue des échanges, il a appelé Blaise Compaoré pour la même chose. Celui-ci lui a indiqué qu’il était malade et à domicile. Il s’y est rendu et lui a suggéré une déclaration pour calmer la tension. Interloqué et sans une entente, il a pris congé de M. Compaoré. Dans l’après-midi vers 15h, il a téléphoné à Sankara sans l’avoir. Voulant attendre un quart d’heure avant de relancer, il a reçu un coup de fil qui lui a annoncé des coups de feu au Conseil. Rentré chez lui, vers 17h30, un journaliste l’a appelé et annoncé la mort du père de la Révolution burkinabè. Après quelques questions du parquet militaire, l’audience a été suspendue. Elle va se poursuivre, le lundi 6 décembre 2021, avec la suite de l’interrogatoire de M. Diallo et la comparution d’autres témoins tels que Laurent Ilboudo, Drissa Sow, Claude François Zidouemba, Issouf Sawadogo, Boubié Bamouni, Sansan Hien dit Kodjo, Alexis Zongo…

Timothée SOME timothesom@yahoo.fr

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