Production de l’anacarde à Bodadiougou dans les Cascades: sortir les femmes des « griffes » de la pauvreté

Dans la région des Cascades, la culture de l’anacarde se conjugue désormais au féminin. Déjà présentes dans les maillons de la transformation et de la commercialisation, des femmes s’illustrent, avec brio, dans la production de la noix de cajou à Bodadiougou, village situé à 30 km de Banfora.

Le village de Bodadiougou ou « mauvaise issue » (en français) pourrait aussi s’appeler la bourgade de l’anacarde. Dans ce hameau de culture, perché sur une colline et situé à 30 km à l’ouest de Banfora (région des Cascades), des vergers d’anacardiers séparent les concessions. Dans les périphéries, des exploitations de pommiers-cajous s’étendent à perte de vue. A près de 5 km des habitats, à la sortie est du village, Assétou Diarra, 45 ans, possède un champ de sept hectares, un don de son époux. Depuis 15 ans, elle s’évertue à la mettre en valeur. « Nous n’avons pas de rizières. Nous ne sommes pas dans la vannerie, ni dans la poterie, encore moins dans le jardinage », dit-elle. Son choix pour sortir de la pauvreté s’est porté sur la culture de l’anacarde, habituellement réservée aux hommes. Une option qui s’avère payante. Durant les cinq premières années de production, Mme Diarra a récolté entre 500 et 1000 kilogrammes (kg) de noix de cajou, vendues entre 200 et 300 FCFA le kg. Ce qui lui a rapporté entre 100 000 FCFA et 250 000 FCFA par saison. Aujourd’hui, ses rendements ont presque doublé. La saison écoulée, Assetou Diarra a eu plus de 1 800 kg de noix dont la vente lui a permis d’empocher plus de 450 000 FCFA. La rente tirée du verger permet à Mme Diarra, de s’occuper d’elle, de payer la scolarité des enfants, et d’épargner.
A l’instar de Assétou Diarra, plusieurs autres femmes de Bodadiougou, décidées à vaincre la pauvreté, se sont converties dans la production de la noix de cajou, au même titre que les hommes. A un jet de pierre du domaine de Mme Diarra, Moussokoura Soura exploite une quinzaine d’hectares d’anacardiers dont 10 hectares sont entrés déjà en production. Dans la culture, depuis 10 ans maintenant, elle a agrandi son verger au fil du temps. Aujourd’hui, ses efforts sont récompensés. En effet, Moussokoura Soura a palpé près d’un million FCFA cette année. Au cours de la campagne précédente de commercialisation de la noix de cajou, elle a vendu, de manière groupée, 3 120 kg de noix, à raison de 300 F CFA le kg. Ce qui lui a rapporté plus de 936 000 FCFA. « Je n’ai pas comptabilisé ce que j’ai vendu au passage de quelques commerçants. Ça vaut également une tonne de noix», explique-t-elle, avec un brin de fierté.

L’or des femmes

A Bodadiougou, l’anacarde, c’est l’« or » des femmes. Propriétaires d’anacardiers, nombreuses sont celles qui ont pu changer leur vie. A l’ouest du village, sur la route de Moussodougou, une plantation d’anacardiers s’impose par sa superficie, l’allure gigantesque des arbres et la splendeur des pommes-cajous. La propriété appartient à Fatoumata Siritié. A 63 ans, elle arpente toujours les pistes escarpées de Bodadiougou pour s’y rendre. « Mon champ fait 20 hectares. J’ai 16 hectares qui produisent à plein régime et 4 hectares de jeunes plants qui donneront des fruits l’année prochaine », explique-t-elle avec un brin de fierté. Ce vendredi 26 février 2021, cinq femmes l’aident à ramasser les noix de cajou, contre quatre kilogrammes (kg) de noix pour chacune, au terme de la journée de travail. Ce qui équivaut à 1 000 FCFA, si le kg est vendu à 250 F CFA. Il y a une décennie, elle a débuté l’aventure avec deux hectares, sur les conseils de son défunt mari. Au bout de trois ans de dur labeur, Mme Siritié récolte environ 240 kg de noix de cajou, qu’elle vend à 60 000 F CFA. « J’ai su que je pouvais avoir beaucoup d’argent dedans », ironise-t-elle. Elle agrandit son champ. 5 … 10 … 16 … puis à 20 hectares. Veuve et mère de neuf enfants, Fatoumata Siritié s’est imposée, comme une productrice d’anacarde de référence dans la localité, la «cheffe » de famille est une « opératrice économique ». Sur les 16 ha d’anacarde, elle a récolté plus de 3 840 kg de noix l’année dernière. Vendu à 300 F CFA le kg, dame Siritié a empoché au moins 1 152 000 FCFA. Elle affirme avoir « liquidé » aux colporteurs plus de 2 tonnes, entre 400 et 200 F CFA le kg. Il y a peu, la sexagénaire n’avait aucune source de revenus. Grâce à la production des pommes-cajous, elle « porte » sa famille, en l’absence de son époux. «J’ai onze personnes à ma charge. Si elles mangent, se soignent, se vêtissent… c’est moi. Il y a cinq enfants dont j’assure la scolarité », dit-elle. Fatoumata Siritié dit avoir également construit une maison au village et acquis des parcelles pour ses enfants en ville avec l’argent de l’anacarde. Elle a aussi pu se constituer un cheptel d’une trentaine de bovins, de caprins et d’ovins et de la volaille.

« Moins de 10% de productrices »

L’argent de la noix de acajou a sorti de nombreuses femmes des « griffes » de la pauvreté. Pour mieux s’organiser et tirer profit de leur travail, les productrices d’anacarde de Bodadiougou, au nombre de 90, se sont regroupées en 2018 en coopérative, dénommée « I y a, i go » (Entendons-nous en français). Pour la présidente, Sita Siri, c’est le lieu pour elles, d’échanger sur les meilleures pratiques agricoles, les opportunités de vente et l’amélioration de leurs conditions de vie. «Ensemble, on peut faire beaucoup de bonnes choses », se convainc-t-elle. Pour la campagne 2019-2020, dame Siri et ses consœurs étaient propriétaires de 161 hectares d’anacardiers et ont récolté plus de 48 tonnes de noix de cajou, marchandées à plus de 12 millions F CFA. Cette saison, elles affirment occuper plus de 300 hectares et projettent « moissonner » une centaine de tonnes de noix, estimées à moins de 25 millions FCFA. La noix de cajou a un fort potentiel économique. En 2019, la noix de cajou formait avec le coton, le sésame et le karité, le quatuor des principaux produits agricoles exportés par le Burkina Faso, selon le ministère du Commerce et de l’Artisanat. 45 000 ménages ont produit sur 255 000 hectares, 95 000 tonnes de noix de cajou. En 2018, la noix de cajou a généré 117,11 milliards FCFA.
Le Directeur général (DG) du Conseil burkinabé de l’anacarde (CBA), Joseph Zerbo, reconnaît aux femmes une « place très importante » dans la chaîne de valeurs de la filière. Toutefois, elles sont faiblement représentées dans le sous-secteur production. Déjà présentes dans les maillons de la transformation et de la commercialisation, « moins de 10% de femmes produisent l’anacarde », déplore le coordonnateur du projet Développement économique des femmes par l’innovation dans l’anacarde (Défi-anacarde), Badiané Diane. «Pourtant, ce sont les femmes qui mènent tous les travaux champêtres. De l’entretien des vergers, au ramassage et au séchage des noix, elles occupent toute la chaîne de la culture de l’anacarde. Mais l’argent va dans la poche des hommes », se désole M. Diane.

Propriétaires terriennes de fait

Cependant, le village de Bodadiougou fait exception à cette règle. En effet, les domaines mis en valeur par les dames leur ont été rétrocédés par leurs époux. Assetou Diarra, Moussokoura Soura, Fatoumata Siritié, et leurs consœurs n’ont déboursé aucun kopeck pour accéder à la terre. De facto, elles sont devenues des propriétaires terriennes. Autrefois utilisées comme « main d’œuvre» uniquement dans les champs de leurs maris, les femmes de Bodadiougou ont créé leurs propres vergers d’anacarde, sur des superficies parfois plus grandes que celles de leurs conjoints. « Je n’ai pas hérité. J’ai planté les pieds d’anacarde moi-même. De son vivant, mon mari venait rarement dans mon champ. Au contraire, c’est moi qui travaillait dans le sien. Ce ne sont que les vendredis et samedis que j’étais libre de travailler dans mon champ », soutient Mme Siritié. Un fait qui réjouit le directeur provincial de l’Agriculture, des Aménagements hydro-agricoles et de la Mécanisation de la Comoé, Mathias Bado. Il qualifie de « rare » et d’« atypique ». «Culturellement, les femmes ont accès à la terre pour des productions vivrières (riz, arachide, sésame…), mais le fait qu’elles aient de grands espaces allant de 5 à 30 hectares pour faire leurs propres vergers d’anacarde dans les exploitations familiales est spécifique à Bodadiougou dans toute la Comoé », explique M. Bado. Certes, il s’agit d’une pratique ancienne d’autant plus que certaines plantations ont plus de 10 ans d’existence, mais la pratique demeure localisée à Bodadiougou, foi de Mathias Bado. Pour le chef du village de Bodadiougou, c’est l’organisation sociale qui consacre que lorsqu’une femme est mariée, son époux lui trouve un lopin de terre. «C’est un devoir pour le mari de le faire. Je dirai que cela fait partie de la dot », insiste le septuagénaire. Il explique la « spécificité » de son village par le fait que les femmes sont les principales animatrices de la vie économique et par conséquent, elles sont d’un soutien important pour leurs conjoints.
Pour lui, l’accès des femmes à la terre présente de nombreux avantages pour la famille. «Dans le mariage, l’homme et la femme se complètent, s’entraident. Si nous leur refusons la terre, toutes les dépenses seront à notre charge. Même si elles ne nous donnent rien, au moins qu’elles puissent être un peu autonomes, financièrement», argue le patriarche.

Un exemple d’accès des femmes à la terre

Ousman Son témoigne de l’assistance financière dont il bénéficie de son épouse, Assétou. Hospitalisé en septembre 2020, il a bénéficié de son coup de main pour honorer ses frais de soins et la scolarité des enfants. Mme Son possède 11 hectares de pommiers-cajou dont 6 ha produisent de la noix. Au cours de la saison de production 2019-2020, elle a « ramassé » au moins 1 800 kg de noix de cajou qu’elle a vendus à 450 000 F CFA. « j’arrive à m’occuper de moi-même. Je fais une tontine de 1000 FCFA chaque semaine. J’ai payé des chèvres et des poules. Avant, il fallait tout le temps demander au mari ou s’endetter. C’est encore lui qui remboursait la dette. Il ne peut pas tout faire seul. Je l’aide », confie-t-elle.
A en croire le Directeur régional (DR) en charge de la femme des Cascades, Drissa Tou, les hommes de Bodadiougou ont gagné le pari de la participation à l’autonomisation économique de l’autre moitié du ciel, contrairement à certains qui utilisent la pauvreté pour maintenir les femmes dans une certaine servitude dans d’autres contrées. Il affirme que le cas de cette bourgade est une bonne initiative de promotion de l’accès des femmes à la terre et d’épanouissement de la femme. Le coordonnateur de Défi-anacarde, Badiané Diane, estime, quant à lui, qu’aider les femmes à accéder à la terre et à devenir des propriétaires de domaines des pommiers-cajou est
un impératif. C’est la «meilleure façon » pour les femmes rurales d’être autonomes et de participer au développement de leurs communautés, rassure-t-il. Pour ce faire, son équipe veut sécuriser les exploitations des femmes de Bodadiougou. De concert avec les hommes et la mairie de Banfora, elle a entrepris d’établir des titres fonciers pour Sita Siri et ses «sœurs». «Bodadiougou est un exemple de réussite que nous tentons de dupliquer dans d’autres localités », indique le coordonnateur de Défi-anacarde.
En attendant, Assetou Diarra, Moussokoura Soura, Fatoumata Siritié… ont du mal à écouler leurs productions. Perché sur une colline, le village est inaccessible. A seulement 30 km de Banfora, pour y accéder, les commerçants passent par Moussodougou, soit un détour de 65 km. « Cela joue sur le prix d’achat de la noix», soutient Mme Siritié. Faute d’acheteurs réguliers, les prix varient au gré des commerçants, foi de dame Soura. Ce qui ne permet pas aux femmes de Bodadiougou de tirer le meilleur profit de leur labeur.
Au Burkina, le prix bord- champ de l’anacarde est fixé à 330 FCFA le kg. Ignoré des femmes de Bodadiougou, les commerçants le foulent au pied et imposent leurs prix. L’autre handicap, c’est la conservation des noix de cajou. Ne disposant pas de magasins, elles stockent les noix dans leurs maisons. «C’est lors de la vente qu’on se rend compte
que la noix est gâtée,
parce qu’elle n’a pas été conservée dans les meilleures conditions », regrette Fatoumata Siritié. Toutefois, la coopérative
«I y a, i go » voit grand. Elle compte installer la toute première unité d’extraction du jus de pomme-cajou du Burkina Faso. De quoi, créer des emplois et améliorer les revenus de ses membres.

Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com

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Le faux bond des acheteurs
Au cours de la saison 2019-2020, les femmes de Bodadiougou ont connu une mésaventure qu’elles n’oublieront pas de sitôt. Alors qu’elles vendaient leurs récoltes à compte-gouttes aux commerçants qui se rendaient au village, elles ont été contactées par une société de transformation de noix de cajou. Celle-ci leur demande de ne plus vendre leurs productions, car elle les achètera à la fin des récoltes, peu importe la quantité. Les femmes stockent plus de 4 800 kg de noix de cajou. A la fin de la récolte, la société leur annonce qu’elle ne pourra plus honorer son engagement. Elles étaient obligées de liquider leurs productions à vil prix.
D. S.

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Répudiée à cause de 2 kg de noix de cajou
Le coordonnateur de Défi-anacarde, Badiané Diane, nous a conté l’histoire d’un divorce plutôt étrange. A Tatana, quartier périphérique de Banfora, un homme se serait séparé de sa femme, l’accusant d’avoir volé 2 kg de noix de cajou. «C’est la femme qui allait ramasser des noix que le mari revendait sans lui donner un kopeck », explique M. Diane. Une fois, elle aurait caché 2 kg, pour vendre et avoir un peu d’argent. Son époux, l’ayant surprise, a divorcé d’elle, sous prétexte qu’il ne peut pas vivre avec une « voleuse ».

D. S.

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