Sansan Kambou, adjudant-chef décoré, 40 ans après la retraite : « Pour ramener la paix, il faut que les Burkinabè soient unis »

Sansan Kambou, adjudant-chef à la retraite : « j’ai combattu aux côtés du capitaine Thomas Sankara pendant la guerre de 1974 ».

40 ans après sa retraite, l’adjudant-chef Sansan Kambou a été élevé au rang de Grand-croix de l’ordre du mérite burkinabè, le 11 décembre 2022, à Gaoua, pour service rendu à la Nation. Cet ancien soldat incorporé dans l’armée française le 26 novembre 1952, y a passé 9 années, avant d’être reversé dans l’armée voltaïque en 1961 après l’indépendance. Une équipe de Sidwaya s’est entretenue, le vendredi 30 décembre 2022, avec l’homme de 90 ans sur son parcours dans les armées française, voltaïque et burkinabè, et sur la situation sécuritaire au Burkina Faso.

Sidwaya (S) : Comment avez-vous intégré l’armée française ?

Sansan Kambou (S.K.) : Tout d’abord, je tiens à remercier les responsables des Editions Sidwaya pour l’intérêt porté sur ma modeste personne. Je suis parti à l’école le 10 octobre 1945. Mais, comme ça ne suivait pas, en 1948 je suis allé dans les plantations en Côte d’Ivoire. C’est au retour de la Côte d’Ivoire que j’ai été incorporé le 26 novembre 1952 dans l’armée française à Gaoua.

Nous étions 42 soldats à être incorporés dans l’armée française volontaire dont 12 soldats à Gaoua-ville, 10 à Diébougou, 10 à Dano et 10 à Batié. Nous avons embarqué dans le convoi militaire pour Bobo-Dioulasso. De là-bas, nous sommes allés à Abidjan en Côte d’Ivoire. Après une semaine en Côte d’Ivoire, nous avons embarqué par bateau en direction de Marseille en France.

S : Dans l’armée française où avez-vous servi ?

S.K. : Arrivé à Marseille, nous avons été conduits à Biskra où nous avons assuré la sécurité d’un prince arabe pendant 6 mois. Après ces 6 mois, nous avons été remplacés par un autre détachement. Après cette mission, nous sommes revenus en Haute-Volta. Par la suite, j’ai combattu en Algérie de 1954 à 1957.

De l’armée française, j’ai été reversé dans l’armée voltaïque le 21 novembre 1961 avec le grade de sergent et le certificat de bonne conduite de l’armée française. J’ai fait 9 ans 11 mois 5 jours dans l’armée française. J’ai combattu 9 fois dans l’armée voltaïque et quand la Haute- Volta est devenue Burkina Faso, j’ai combattu 3 fois dans cette armée burkinabè.

S : Quelles ont été vos différentes distinctions durant votre carrière ?

S.K. : Pour avoir la médaille militaire dans l’armée française, il fallait faire 10 ans et un jour. Moi j’ai fait 9 ans, 11 mois et 5 jours mais j’ai eu la médaille militaire. Après, j’ai eu la médaille du Mérite voltaïque, la médaille de l’Officier voltaïque et la médaille du Commandeur voltaïque. La mission d’Algérie de 1954 à 1957 m’a valu aussi une médaille.

S : Quarante ans après votre retraite, vous venez d’être fait Grand-croix de l’ordre du mérite pour service rendu à la Nation. Quel sentiment vous anime ?

S.K. : Je ne peux que remercier tout le peuple burkinabè. Je félicite tous les chefs d’Etat que j’ai servis. Que la terre soit légère à ceux qui sont décédés et longue vie aux autres et à leurs familles. Je remercie ceux qui ont reconnu la sueur que j’ai versée dans les armées française, voltaïque et burkinabè à travers cette décoration. Je souhaite au capitaine Ibrahima Traoré qui est actuellement le responsable du pays et aux membres de son gouvernement, longévité, santé et paix.

S : Depuis plusieurs années, le Burkina Faso vit une crise sécuritaire. En tant qu’ancien soldat, quelle lecture faites-vous de la situation ?

S.K. : En tant qu’ancien militaire, je sais ce que c’est qu’un combat. Les chefs d’Etat qui étaient à la tête du pays n’ont pas pu gérer la situation sécuritaire. L’armée doit être apolitique. Mais malheureusement, l’armée, de nos jours, fait la politique, ce n’est pas normal. Quand un pays est en guerre, il n’y a plus lieu de s’amuser.

Une fois qu’un pays est en danger, tout est arrêté. Les bars et autres sont fermés. Or ici, ce n’est pas fait. Les djihadistes continuent d’avancer. Et puis, qui sont les terroristes ? C’est nous, les Burkinabè qui leur donnons des renseignements. Le Blanc est méchant et l’Africain est plus méchant que le Blanc. Pendant la période coloniale, lorsqu’un commandant de cercle demandait 10 poulets à un chef de canton, ce dernier partait dire que le Blanc exige 20 poulets.Lorsque les poulets étaient rassemblés, souvent par force, le chef de canton prenait 10 poulets et remettait les 10 autres au commandant de cercle. Ça, c’est de l’escroquerie.

S : Le pays a enregistré deux coups d’Etat dans l’intervalle de 8 mois. Chacun de ces coups d’Etat était-il prévisible ?

S.K. : C’était prévisible. Il y a la vérité, et cette vérité ne se nie pas. D’abord le racisme, l’égoïsme et la méchanceté. Tous ces maux régnaient, c’est pourquoi le coup d’Etat est survenu. Normalement, un Burkinabè n’est pas sale. Le capitaine Ibrahim qui est là, a bien fait. Il a fait le Sahel et tout ce qu’il a dit n’a pas été exécuté. Damiba n’a pas fait ce que ses camarades d’armes voulaient. C’est pourquoi il est tombé. Ibrahim Traoré a pris le pouvoir dans l’objectif de redresser tout ce qui était mal fait.

S : De nombreuses réformes ont été engagées, notamment la création de nouvelles régions militaires. Le maillage du territoire peut-il être la solution ?

S.K. : Pourquoi pas ? On a quatre bornes (ndlr : bornes frontalières) qui dessinent le Burkina Faso. Si nous avons un détachement dans chaque coin du pays, nous pourrons intervenir plus rapidement et porter un coup dur à l’ennemi. C’est une bonne initiative.

S : Les nouvelles autorités ont recruté 50 000 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Est-ce une solution pour venir à bout du terrorisme ?

S.K. : C’est normal parce que les terroristes sont partout. Ils sont payés avec de grosses sommes. Ces volontaires peuvent aider dans le renseignement et les combats. Tout bon Burkinabè devrait dénoncer toutes les personnes suspectes qu’il croise. Si une personne n’est pas claire dans ses actes, il faut signaler d’abord au chef de terre qui doit rendre compte au chef de canton et le chef de canton donne l’information à la gendarmerie, à la police ou à l’armée. Voilà ce qu’il faut faire pour que le pays soit libre.

S : Plusieurs villages du Sud-Ouest ont mis en déroute les hommes armés. Comment cela s’explique-t-il ?

S.K. : On dit que les Lobi sont des guerriers, des chasseurs. Nous sommes toujours prêts. Nous avons nos carquois et nos flèches. Nous sommes forts côté ‘’wack’’, nous sommes forts côté fétiches. Actuellement, les gens sont corrompus. Sinon, un bon Lobi ne prend pas de l’argent pour trahir son pays.

S : Une partie de la jeunesse burkinabè exige aujourd’hui le départ de l’armée française et une coopération militaire avec la Russie. Est-ce que vous êtes de cet avis ?

S.K : Non ! C’est zéro ! C’est par manque d’intelligence. Ils peuvent nous aider en combattant avec nos militaires sur le terrain. Nos responsables doivent être capables de dire à l’armée française de se mettre en avant pour les combats. Il ne faut pas qu’elle parte mais il faut qu’elle soit au front. La coopération avec la Russie n’est pas une bonne solution, ils sont tous les mêmes.

S : A votre avis, qu’est-ce que les autorités doivent faire pour venir à bout de l’insécurité ?

S.K. : Pour ramener la paix, il faut que les Burkinabè soient ‘’même père, même mère’’. Ils doivent être unis. De plus, les autorités ont le devoir de lutter contre l’ethnicisme et le régionalisme. Il ne doit pas y avoir d’ethnie ni de religion qui vaille mieux que les autres. Il faut que les Burkinabè se disent qu’on est même chose. Qu’on soit animiste, musulman, catholique ou protestant.

Entretien réalisé par Noufou NEBIE

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